4 décembre 2018 – Intervention du Sénateur Pierre Ouzoulias lors de la séance consacrée au budget de la mission Culture (Patrimoine, transmission des savoirs)

Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Cher·e·s collègues,

J’entends la satisfaction quasi générale de nos rapporteurs qui se félicitent du niveau relativement stable des crédits de la mission « Culture » dans ce projet de budget. Vous me permettrez donc de tempérer ce contentement rassuré d’une représentation nationale qui craignait le pire par des inquiétudes relatives aux défauts de prévisions de ce budget. Autrement dit, je crains que le financement, à peu près préservé, du fonctionnement courant du ministère n’ait été obtenu qu’au prix d’une sous-évaluation ou d’un renoncement des investissements nécessaires pour assurer la pérennité et le développement de grands équipements ou la restauration de monuments importants.

Je pense par exemple à la Bibliothèque nationale de France qui doit impérativement trouver une solution pour étendre ses réserves qui seront saturées en 2023. Toujours pour cette institution, je regrette que nous n’ayons aucun bilan sur l’achèvement des travaux de rénovation du site de Richelieu, de son affectation future et des moyens dont il disposera pour assurer son fonctionnement. Sur le même front patrimonial, je rappelle ici que nos deux collègues Messieurs Vincent Éblé et André Gattolin avaient considéré, dans un rapport remis au Sénat l’an passé, qu’il était absolument impératif de mettre en chantier rapidement une extension du centre des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine pour accueillir les 90 kilomètres linéaires d’archives du site de Fontainebleau et les 17 kilomètres linéaires de versements annuels. Nos deux estimables collègues considéraient que la première tranche des travaux devrait être réalisée en 2023 pour un montant qu’ils évaluaient à plus de 75 millions d’euros. Je n’ai pas vu dans le projet annuel pour 2019 de programmation budgétaire pour ces travaux et c’est même l’absence de nouveau projet à Pierrefitte-sur-Seine qui vous permet d’expliquer la forte baisse de près de 18 % des crédits des archives. À ces impasses budgétaires, j’ajoute, avec notre rapporteur spécial de la commission des finances, Vincent Éblé, l’absence de financement du schéma directeur du centre Pompidou, de la rénovation des toitures du Mont Saint-Michel et de la façade du Panthéon.

Dans ces conditions budgétaires, au mieux imprévoyantes et au pire d’une sincérité amendable, on peut se demander s’il était raisonnable pour le ministère de la culture de se lancer dans la restauration très coûteuse du château de Villers-Cotterêts et la future installation dans ses murs d’un centre de la francophonie qui exigera des moyens de fonctionnement supplémentaires et importants. Je partage l’ambition présidentielle de consacrer plus de moyens à la défense et illustration de la langue française. Néanmoins, il serait fâcheux qu’elles s’accompagnassent d’un repli de son usage, notamment dans la communication gouvernementale au profit d’un sabir empruntant ses formules à l’anglais de la technocratie. Près d’un quart de siècle après la promulgation de la loi relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon, il serait utile de dresser un bilan de ses usages dans les administrations, la science et l’entreprise.

Le château de Villers-Cotterêts devrait devenir un centre de promotion de la langue française. J’aimerais rappeler, qu’en matière de francophonie, nous devons agir avec humilité. Le français n’est pas seulement notre langue, mais la cinquième la plus parlée dans le monde, avec 274 millions de locuteurs. En 2050, l’Afrique regroupera, à elle seule, environ 85 % des francophones. Ce futur centre se doit donc d’être ouvert à toutes ces cultures francophones. Soucieux de la cohérence du discours adressé à celles et ceux qui souhaitent poursuivre leurs études du français et en français, je ne comprends donc pas le message très négatif que vous venez de leur délivrer en annonçant la hausse des frais d’inscription pour les étudiant·e·s non communautaires.

L’une des grandes opérations de mécaniques administratives, pour l’année 2019, consiste au transfert de la gestion des emplois à trois opérateurs : le Centre des monuments nationaux, l’établissement public du domaine national de Versailles et l’établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie. Je veux rappeler ici que l’absence de compensation de l’augmentation de la CSG et du GVT aurait coûté 2,2 millions d’euros à la Bibliothèque nationale pour maintenir sa masse salariale. Dans l’impossibilité de trouver ces financements, elle a été obligée de baisser ses effectifs ce qui risque de dégrader le service rendu aux usagers. Je suppose que le transfert de la gestion du personnel à ces trois nouveaux établissements publics se fera dans les mêmes conditions budgétaires et je crains vivement qu’il produise les mêmes effets. Cette façon de reporter sur les opérateurs la responsabilité des suppressions d’emploi est politiquement discutable et compromet malheureusement les conditions du dialogue social à l’intérieur de ses établissements.

Une cinquantaine d’emplois seront transférés de l’administration centrale vers les DRAC. On ne peut s’opposer aux renforcements des capacités de gestion et d’action des services déconcentrés du ministère de la culture. Néanmoins, la séquence difficile au cours de laquelle les moyens juridiques de l’architecte des bâtiments de France ont été considérablement amoindris, sous le regard passif de votre ministère, a montré qu’il était indispensable qu’une instance nationale continue d’assurer l’homogénéité des modes de gestion du patrimoine sur tout le territoire. Je doute que l’administration centrale de votre ministère ait encore les moyens de cette politique.

Pour toutes ces raisons et vous alerter sur les risques qui pèsent sur votre ministère nous ne voterons pas ce budget.