Les effets de la concurrence ont un impact désastreux sur les possibilités de recherche en archéologie préventive et sur le rendu scientifique des opérations. Les dernières années sont catastrophiques en termes d’éparpillement de la donnée archéologique. La spirale du dumping scientifique hypothèque fortement les possibilités d’une véritable recherche archéologique.
L’archéologie préventive, un acte de recherche
La mise en concurrence commerciale des opérateurs de fouille a comme première conséquence scientifique une dispersion croissante des données archéologiques. On ne compte plus aujourd’hui les opérations de fouilles menées par des équipes différentes pour un même site étendu sur l’emprise de plusieurs projets, les équipes travaillant sur une ville ou une région depuis des années qui se trouvent évincées de leur sujet d’étude par les « lois » du marché. Les participants d’un projet collectif de recherche (PCR) n’ont que très difficilement accès aux dernières données concernant leurs problématiques au simple motif qu’un marché de fouille aura échappé à leurs employeurs. Avec autant de spécialistes que d’opérateurs, les méthodes et les protocoles utilisés se sont multipliés qui, loin de faire progresser la recherche par des approches innovantes, rendent pratiquement impossible la rédaction de synthèses régionales ou thématiques.
La recherche en archéologie préventive (diagnostics et fouilles) est une chaîne insécable, nécessitant des décisions scientifiques à toutes les étapes de la chaîne et impliquant tous les personnels du pôle public, ainsi qu’une certaine stabilité des équipes et des programmes de recherche (SRA, Inrap, collectivités territoriales, Universités, CNRS).
Aujourd’hui, les contraintes et pressions exercées sur l’opérationnel conduisent trop souvent à ignorer la connexion forte entre les activités de terrain et la recherche propre (PAS, ARC, UMR…) et à limiter la première à un acte technique permettant de lever l’hypothèque archéologique. La concurrence effrénée que se livrent les opérateurs, spirale à laquelle l’Inrap a participé, a conduit à une détérioration accrue des conditions de travail et à une perte de sens certaine des missions exercées au quotidien. De manière générale, ces situations conduisent à une dégradation de la santé physique et psychique des personnels mais également de la qualité de la donnée produite. Revaloriser les phases de collecte des données (diagnostics et fouilles) est donc indispensable pour affirmer, puisqu’il en est encore besoin, que l’archéologie préventive est un acte de recherche. Nul n’est besoin de démontrer à quel point elle a permis de renouveler les connaissances et les problématiques ces dernières décennies.
La politique d’aménagement du territoire a clairement évolué et entraîne une transformation marquée des types d’opérations réalisés par les opérateurs du service public. Les grands travaux ont fait long feu et une part non négligeable de l’activité archéologique se concentre maintenant dans les centres urbains et périurbains, sur des surfaces beaucoup plus petites. Tout en étant aussi coûteuses à mettre en place et à réaliser (contextes sédimentaires complexes, pollués…), ces petites opérations ont un coût beaucoup plus élevé rapporté à la surface en m² et au système de redevance… En nombre, les prescriptions ne baissent pas nécessairement, par contre en surfaces cumulées, c’est l’effondrement. En revanche, ce morcellement apparent des opérations n’est pas nécessairement celui des données scientifiques et permet un rééquilibrage de la connaissance dans des secteurs peu ou pas explorés quand la tendance était aux grands travaux.
Pour autant, la synthèse territoriale, régionale ou thématique de ces données nécessite un effort accru pour faire sens. Elle doit nécessairement passer par une reconnaissance forte des missions et des temps de recherche et d’échanges au sein de l’Inrap, des SRA et des collectivités territoriales et entre ces différents acteurs du pôle public.
Au sein de l’Inrap, la DST avec les DAST doivent mener une politique active de mise en réseau des agents entre eux et favoriser le partage et la diffusion des données chronologiques et thématiques. Des moyens doivent être alloués à cela. Il faut abandonner les décomptes en jour/homme. Les DAST doivent être repositionnés sur leur cœur de métier qui est d’accompagner la recherche scientifique auprès des agents, et les formes d’organisation envisagées à l’avenir doivent permettent de dégager du temps pour cette mission essentielle.
Un pôle public pour favoriser le développement des coopérations
Le maintien d’une archéologie de service public impose une réforme en profondeur des relations entre les services dont la mission principale est liée à l’archéologie préventive (SRA, Inrap, collectivités territoriales), réforme à laquelle doivent naturellement être associés le CNRS, les Universités et les Musées, dans le cadre d’une politique ambitieuse de développement des coopérations.
Refonder une archéologie de service public, sortir d’une opposition désastreuse entre services de l’État (SRA, Inrap) et services archéologiques de collectivités, ne se fera pas sans évolutions législatives et réglementaires. La construction d’un « pôle public de l’archéologie préventive » impose de revoir les règles qui régissent l’intervention des services publics d’archéologie préventive, et notamment :
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De redonner aux services régionaux de l’archéologie les moyens d’animer et de coordonner la recherche publique en archéologie ;
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De rompre avec la concurrence commerciale entre services publics (Inrap / collectivités ou collectivités entre elles), au profit de logiques de coopérations, de programmation scientifique (y compris des opérations de diagnostic) et de complémentarités ;
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D’engager les réformes statutaires nécessaires pour faciliter les passerelles entre services publics, favoriser les déroulements de carrières et combattre la précarité des personnels.
Les services régionaux de l’archéologie, l’Inrap et les services archéologiques de collectivités n’ont pas les mêmes missions, les mêmes territoires d’intervention, ni les mêmes obligations de service public. La clarification du rôle des uns et des autres, la réaffirmation du principe de spécificité territoriale qui fonde la légitimité des collectivités comme la reconnaissance de la contribution de chacun au service public de l’archéologie doivent permettre de lever, progressivement, les blocages et les oppositions qui nuisent aux coopérations. Dans la réalité, l’Inrap et les services archéologiques de collectivités sont bien souvent plus complémentaires que concurrents en termes de couverture territoriale, de maîtrise des contextes locaux, de spécialités chronologiques, ou en termes de politique de recherche, de diffusion et de valorisation.
Les conventions-cadre signées entre l’Inrap et les collectivités territoriales dotées de services archéologiques, lorsqu’elles sont effectivement mises en pratique, se limitent trop souvent à des « accords opérationnels » destinés à organiser les réponses en groupement à des marchés de fouille ou à l’encadrement des « prestations de services » que les uns ou les autres sont susceptibles de proposer. Elles doivent être étendues à tous les aspects de la recherche, du développement de projets collectifs à une réelle mutualisation des compétences des spécialistes, en passant par la convergence des protocoles d’acquisition et d’étude qui rendent possible la réalisation de synthèses territoriales. Toutes les possibilités offertes par le droit européen autour des coopérations public-public dites « horizontales » doivent être explorées, afin de conclure des accords en dehors du cadre contraignant et inadapté des marchés publics.
Le SGPA-CGT doit donc tout faire pour remettre la production de données, et leur exploitation, d’une part, et tous ceux qui y travaillent dans les services publics, d’autre part, au centre du dispositif. La logique de marché est incompatible avec la recherche archéologique. En rompant la continuité de la chaîne opératoire de recherche, la mise en concurrence des fouilles empêche une politique de recherche cohérente qui ne peut être qu’une mission de service public.
Cette bataille se mène à tous les niveaux, de la compréhension de l’aménagement du territoire jusqu’aux exploitations des données, dans toutes leurs composantes.
Cette politique de retour aux fondamentaux de la recherche en archéologie préventive doit continuer à être portée par le syndicat auprès et au sein du conseil scientifique de l’Inrap qui doit être largement impliqué dans la définition des politiques scientifiques de l’établissement et ne peut pas être une vulgaire chambre d’enregistrement.
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