Mise en concurrence libre et non-faussée :
Le Service public de l’archéologie sous le coup d’une instruction
de la Commission européenne
Depuis la mise en concurrence des fouilles préventives en 2003, le paysage archéologique n’a jamais vraiment connu de phases de sérénité mais on avait connu des périodes un peu plus apaisées. C’était sans compter sur la hargne du plus gros opérateur privé. Après avoir saisi sans succès plusieurs juridictions pour obtenir la condamnation de l’Institut, EVEHA a formé en 2018 un nouveau contentieux contre l’Inrap auprès de la direction de la concurrence de la commission européenne. Cette dernière a lancé une procédure d’examen le 20 décembre 2021.
Les financements publics dans le collimateur
Le contentieux porte sur l’utilisation des fonds alloués par l’État au titre du service public, sur un soupçon de financement croisés, à savoir : l’utilisation des fonds publics pour subventionner le secteur concurrentiel, pour faire baisser ses prix de vente, et ce faisant, exercer une concurrence déloyale à l’égard des autres opérateurs. La période prise en compte va de 2008 à 2021, période pour laquelle l’Institut doit donc justifier de l’étanchéité des circuits financiers entre budgets de service public et activité concurrentielle. Le montant soumis à examen serait donc équivalent à la somme des subventions perçues par l’Inrap depuis 2008.
La comptabilité analytique mise en place depuis 2017, avec l’aval de l’Autorité de la concurrence, montre pourtant que c’est en réalité l’excédent du secteur concurrentiel qui a permis, pendant toutes ces années, de compenser le défaut de financement de la partie non concurrentielle (diagnostics, recherche, valorisation) par les tutelles, secteur toujours déficitaire, jamais abondé à la hauteur des besoins.
Le lancement de la procédure, 2 ans après la plainte, est une véritable source d’inquiétude.
On sait donc depuis janvier que le Ministère et l’établissement ont dû fournir à la Commission européenne des réponses et documents complémentaires. L’arbitrage de ce contentieux ne peut être rendu avant la fin de la présidence française de l’Union le 1er juillet ; le tout pourrait prendre 18 à 24 mois.
Mais que sait-on vraiment au juste ?
Sur ce dossier qui traîne depuis deux ans, les informations ont toujours été plus que lacunaires. La défense de l’établissement a toujours été compliquée et jusqu’à un changement de doctrine extrêmement récent (2020) contre lequel la CGT s’était manifesté en Conseil d’Administration, l’établissement avait tout juste l’autorisation de se défendre et certainement pas de contre-attaquer.
Le ministère ne communique pas sur le sujet mais n’informe pas non plus les personnels ou leurs représentants. Nos informations sont donc limitées aux infos que la direction de l’établissement veut bien nous donner oralement. Mais à moins de considérer qu’il ne s’agit que d’une histoire inrapo-inrapienne, on ne trouve pas que le ministère soit tout à fait à la hauteur du dialogue et du niveau d’information que nécessiterait un problème de cette taille-là !
Une attaque du service public de l’archéologie
Au-delà des implications financières que pourrait avoir cette énième affaire, si l’Inrap et donc l’État étaient condamnés, on s’inquiète évidemment de ses répercussions juridiques puis politiques.
Une condamnation placerait tout le dispositif préventif dans le collimateur législatif et menacerait l’ensemble des opérateurs et les services de l’État chargés du contrôle scientifique et technique.
Il s’agit belle et bien d’une nouvelle attaque du service public de l’archéologie au titre du droit européen de la concurrence. Alors que la France avait été la seule, conformément à la convention européenne dite La Valette (1992), pour la protection du patrimoine archéologique, à se doter d’un établissement public national et avoir mis en place un dispositif permettant par la loi la conservation par l’étude des données et des sites détruits par l’aménagement du territoire, la France risque de se retrouver à justifier de ces efforts pour permettre cette sauvegarde.
La mise en concurrence, en archéologie comme pour le reste, c’est de permettre le dépeçage du service public au profit des intérêts privés, concentrés sur les possibilités de profit, pas sur la protection du patrimoine commun.
S’il faut qu’on se défende et qu’on contre-attaque, on le fera ! Mais pour cela il faudrait au minimum que l’ensemble des agents du service public de l’archéologie et leurs représentants sachent exactement de quoi il retourne. Nous attendons donc que la Ministre de la Culture, son Cabinet et la direction de l’Inrap jouent franc-jeu et qu’ils informent les personnels sur ce dossier qui pourrait se transformer en véritable grenade dégoupillée.
Vive l’archéologie
et que vive le service public de l’archéologie !
Paris, le 8 mars 2022