Madame la Ministre,
Il est très important que vous présidiez le premier Conseil social d’administration (CSA) de l’histoire sociale du ministère de la Culture. Nous n’en attendions pas moins.
Cette instance d’un genre nouveau appartient d’abord et avant tout aux femmes et aux hommes qui portent à bout de bras chaque jour les missions de service public et les politiques culturelles chères à nos concitoyens. Le CSA ministériel tient sa légitimité d’une consultation générale des personnels, marquée par une belle participation. Ce qui nous oblige vous et nous.
Sur la situation de notre ministère, sur son état de santé sociale, sur les nombreux motifs de préoccupation et de mécontentement qui s’accumulent et n’ont cessé de s’amplifier depuis votre arrivée, il y a beaucoup à dire et nous y reviendrons immanquablement.
Mais nous ne pouvions pas nous adresser à vous aujourd’hui sans revenir sur la crise démocratique, la colère et, hélas, le ressentiment provoqués par Emmanuel Macron et le gouvernement auquel vous appartenez avec cette réforme des retraites injuste, injustifiable et en vérité indéfendable.
Alors que la population et le monde du travail rejettent massivement cette réforme et dénoncent une méthode autoritaire et humiliante, alors que la mobilisation et la grève ont d’ores et déjà depuis quatre mois atteint un niveau record, il n’y a qu’une demande qui vaille : l’abrogation de la loi Macron-Borne et de ses dispositions, l’abandon entre autres des 64 ans et des 43 annuités de cotisation.
L’intersyndicale nationale, après avoir encore montré son unité le 1er mai, appelle les travailleuses et les travailleurs à une nouvelle journée de grève et de mobilisation le 6 juin prochain. Vous n’en avez donc pas fini avec cette lutte majeure et historique.
Au ministère de la Culture, comme partout ailleurs, personne ne veut perdre sa vie à la gagner.
Le Président de la République a fait le choix de s’enfermer dans l’arrogance et le mépris. Il a fait le pari de réduire au silence et de tenir pour rien les corps intermédiaires et les organisations syndicales. Ce pari, il l’a perdu. Il l’a perdu dans la rue, dans l’opinion publique et il l’a perdu politiquement, avec des échos jusque sur la scène internationale.
Ce coup de force contre la démocratie est par ailleurs irresponsable dans le contexte actuel : ne voyez-vous pas depuis l’Elysée, Matignon ou la rue de Valois que l’extrême droite frappe désormais aux portes du pouvoir et que l’entêtement autoritaire de votre gouvernement la renforce de mois en mois ?
Madame la Ministre, concernant notre ministère, au moment où s’ouvre un nouveau cycle social avec l’instauration de ce CSA, allez-vous continuer comme avant ou allez-vous prendre enfin le virage du dialogue et du respect des porte-paroles des personnels ?
A l’aube des nouvelles instances et avec le début de cette mandature, le dialogue social, aujourd’hui très détérioré, se doit d’être renouvelé. Les liens avec le cabinet pourraient être aisément plus fructueux, et être de véritables échanges entre vous et les organisations syndicales. Nos attentes sont fortes sur la démocratie sociale au sein de ce ministère !
Aujourd’hui, les points à l’ordre du jour de cette séance inaugurale sont de la plus haute importance.
Nous pensons notamment au dossier des écoles d’architecture qui cristallise tous les maux d’un ministère très affaibli. L’ensemble de la communauté éducative et étudiante est vent debout contre le laisser-aller, l’abandon et le désengagement dont vous avez hérité mais que vous n’avez pas infléchi.
Qu’attendez-vous pour apporter des réponses crédibles, à la hauteur des enjeux et des besoins, des réponses durables, des réponses d’avenir, et pour le faire dans le cadre d’une authentique négociation ? Les écoles d’architecture et leurs représentants vous le demandent incessamment et le demandent depuis 2017.
Qu’attendez-vous pour impulser une véritable politique publique en matière d’architecture qui puisse soutenir et donner sens aux travaux de l’ensemble des acteurs ministériels : écoles, service de l’architecture de la DGPA, UDAP, et garantir l’unité de leur action ?
Si nous mettons ce dossier des écoles d’architecture sur le haut de la pile, c’est évidemment parce qu’il est porté par une mobilisation et un mouvement exemplaires et déjà fortement médiatisés.
Mais des sujets urgents, il y en a bien d’autres. Nous n’avons pas besoin d’un baromètre social qui ne fera que confirmer une fois encore le discrédit dont souffrent aux yeux des collègues le politique et la haute administration pour savoir qu’il faut s’attaquer tout de suite et maintenant aux questions suivantes, toutes primordiales :
- les salaires, la revalorisation en dur des salaires, du point d’indice, des grilles, autant de mesures salariales pérennes et à relier aux pensions de retraite, autant de mesures structurantes et que nous dissocions clairement des mesures indemnitaires ;
- l’emploi, l’emploi stable et statutaire qui nécessite un plan de grande ampleur, étroitement corrélé à la nécessaire résorption de la précarité, et qui doit se traduire par l’organisation de concours réguliers ;
- un examen attentif des inégalités de genre et des discriminations qui minent les parcours professionnels, les relations et les collectifs de travail ; dossier qui malgré un cadre législatif incitatif, un protocole d’accord et un comité de suivi est aujourd’hui au point mort ;
- la défense et la refondation des métiers de la culture menacés de toutes parts, notamment par l’externalisation, et qui font pourtant la force et l’originalité de ce ministère ;
- la tutelle sur les établissements et services : il n’est pas possible de continuer ainsi ; votre politique conduit en effet à l’éclatement du ministère et à une rupture d’égalité de traitement des agents inacceptable ;
- les conditions de travail, et le travail lui-même dont il faut interrompre le long mais redoutable délitement…
Avez-vous vraiment la volonté, Madame la Ministre, de renouveler le dialogue social. Nous sommes en droit d’en douter quand nous faisons le lien que chacun fait inévitablement entre la situation générale et celle particulière du ministère.
Quelles sont désormais vos marges de manœuvre. Avez-vous compris – et le souhaitez-vous au fond – qu’il est impératif de développer enfin une culture de la négociation ?
Les élu-e-s qui vous parlent revendiquent d’être entendu-e-s. Les agents et les agentes que nous représentons n’en peuvent plus de cet entre soi managérial étouffant, de cette démission et de cette absence de vision de l’autorité politique. Ils n’en peuvent plus de ce ministère qui craque de partout en s’éloignant peu à peu des attentes de la société et qui n’a plus les moyens de répondre aux besoins de la population.
Comme nos concitoyens qui manifestent depuis quatre mois, nos collègues eux aussi mobilisés et présents dans la rue attendent qu’on leur fasse confiance et que vous fassiez confiance à la démocratie.
Paris, le 15 mai 2023