Bal tragique à Carnac – 39 menhirs sous le tapis !

A Carnac, l’aménagement d’un magasin de l’enseigne Monsieur Bricolage a détruit un site mis au jour par l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (Inrap) dans le cadre d’une opération de diagnostic archéologique. Ce site méritait pourtant de figurer « en bonne place dans la cartographie des monuments mégalithiques locaux * ».

Autopsie d’une procédure d’urbanisme

En 2014, le propriétaire d’un terrain dans une ZAC fait une demande volontaire de diagnostic archéologique afin de lever toute contrainte pour les aménageurs futurs de son bien immobilier. Bien qu’hors des zones de présomption de prescription archéologique soumises à instruction obligatoire, le terrain est situé dans l’environnement proche des alignements de Carnac. Le Service Régional de l’Archéologie (SRA) de la DRAC Bretagne a donc, dès 2015, prescrit un diagnostic puis une fouille en vue de sauvegarder, par l’étude scientifique, les structures archéologiques mises au jour.

Le projet de construction initial étant abandonné, la fouille n’a pas lieu et un autre permis est déposé en 2022. Ce nouveau permis n’annule pas la prescription de fouille que par ailleurs, l’aménageur doit faire réaliser – la loi libérale de 2003 ayant transféré la maîtrise d’ouvrage des fouilles archéologiques au pétitionnaire. Il est en donc pleinement responsable.

Mais les documents locaux d’urbanisme qui ont évolué entre temps n’intègrent pas cette information. La commune, qui a reçu le rapport de diagnostic, n’en a ainsi visiblement rien fait. La mairie ne transmet pas ce nouveau permis au Service régional d’Archéologie de la DRAC puisqu’elle n’en a pas l’obligation. Elle le communique par contre comme elle le doit à l’Unité Départementale d’Architecture et du Patrimoine (UDAP) du Morbihan, autre service de la DRAC Bretagne, qui l’instruit sur les questions relevant de ses attributions.

Aucune faute ou manquement n’apparait donc dans l’instruction du dossier par les agents du SRA et de l’UDAP, mais la destruction d’un site prescrit a bien eu lieu.

Quelle politique de protection du patrimoine voulons-nous ?

Des mesures simples et les moyens de les mettre en œuvre auraient permis d’éviter la destruction d’un site :

  • Le retour à la maîtrise d’ouvrage de l’Etat et l’acquisition de réserves foncières dans le périmètre « Unesco » en préparation sur les 27 communes concernées ;
  • Une extension des zones de présomption de prescription archéologique dans le périmètre « Unesco » en préparation sur les 27 communes concernées. Ce zonage archéologique qui oblige à une instruction systématique des dossiers d’aménagement est un instrument majeur des politiques de protection des vestiges archéologiques ;
  • Un renforcement dans les services patrimoniaux des effectifs et des moyens, à la hauteur des missions, indispensable pour une coordination entre les services.

Ces moyens doivent concourir à une politique ambitieuse au service du citoyen de mise en valeur du patrimoine coordonnée par la DRAC, en lien avec les collectivités territoriales et les établissements du ministère, notamment le Centre des Monuments Nationaux et l’INRAP.

Dossier d’inscription du site de Carnac sur la liste du patrimoine mondial

de l’impossibilité de glisser le menhir sous le tapis !

Au moment où la France s’engageait dans une démarche visant l’inscription du site de Carnac sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, l’Etat se devait d’être rigoureux.

Conscient que ce timing catastrophique ruine sa crédibilité, le ministère de la Culture continue de porter le dossier à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

La ministre a demandé à la sous-direction de l’Archéologie de proposer des mesures correctives en vue d’éviter à l’avenir de tels dérapages. Dans son plan d’action, le ministère devra intégrer des propositions en vue de mieux prendre en compte la spécificité des objets patrimoniaux complexes tel que Carnac.

Il faudrait y ajouter un apprentissage de la communication de crise.

Le communiqué de la Préfecture et de la DRAC Bretagne en date du 7 juin est en effet mauvais. Les propos sur le « caractère encore incertain et dans tous les cas non majeur des vestiges tels que révélés par le diagnostic », énonçant que « l’atteinte à un site ayant une valeur archéologique n’est pas établie », sonnent comme un désaveu injustifié de l’opération de diagnostic et donc comme un possible encouragement à d’autres destructions.

La notion poussiéreuse de « site majeur » oublie que la fouille de vestiges parfois ténus a considérablement fait avancer de nombreuses problématiques archéologiques ces dernières décennies.

L’archéologie, une science très très participative !

Le retentissement que suscite la destruction du site, et l’attachement des citoyens à leur patrimoine dont il témoigne, doit rappeler à la ministre de la Culture les attentes de la société en matière d’archéologie et l’ampleur de ses responsabilités car, à Carnac comme ailleurs, la destruction du patrimoine n’est pas admissible.

Si comme le prétend l’Élysée, « La préservation du patrimoine (est) une priorité » que l’Etat commence par donner, tant à services qu’à l’opérateur national d’archéologie, des moyens et des effectifs suffisants pour garantir la protection du patrimoine et sa transmission aux générations futures !

Paris, le 13 juillet 2023


* Rapport de diagnostic Inrap, Hinguant 2015

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