La démocratisation culturelle a du plomb dans l’aile

Les modèles économiques des établissements publics culturels à bout de souffle  

Les augmentations tarifaires continues dans les grands établissements publics et les monuments nationaux du ministère de la Culture constituent un obstacle insupportable à la démocratisation culturelle.

La nouvelle ministre de la Culture, Madame Rachida Dati, a très justement rappelé lors de la passation de pouvoirs la mission que le ministère de la Culture s’est assignée depuis sa création en 1959 : « rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France ».

Cependant, dans un double mouvement continu depuis 30 ans, les gouvernements successifs ont découpé le ministère de la culture en une multitude de structures dotées d’une autonomie de gestion, les établissements publics (EP), tout en diminuant la part des subventions de l’État pour charge de service public. Aujourd’hui, leurs modèles économiques reposent principalement sur la recherche de moyens pour compenser le désengagement de l’État afin d’assurer la continuité du fonctionnement du service public de la Culture (augmentation des tarifs d’entrée, mécénat, location, concession ou vente d’espaces, privatisation du domaine public, …).

La course aux ressources propres est devenue en quelques décennies l’alpha et l’oméga de la vie des EP, contraints de faire l’impasse sur la mission de démocratisation culturelle. D’ailleurs, l’État assume pleinement son désengagement en confirmant que « le niveau des subventions fléchées pour un établissement doit être construit sur la base d’une augmentation générale des tarifs du droit d’entrée ».

Le désengagement de l’État à l’égard des établissements publics n’est pas sans conséquence sur la vie des personnels qui constatent chaque jour à leur détriment l’hétérogénéité des conditions d’emplois et de rémunération au sein de la « maison ministère ». Pris dans une spirale de marchandisation et de dérégulation du service public de la Culture, les agents sont les premières victimes de ces ruptures d’égalité de traitement.

Pour les visiteurs, cette évolution inacceptable s’est traduite, dans le contexte fortement inflationniste que l’on connaît, par des augmentations tarifaires allant de 15% à 120% dans nombre de grands établissements du ministère entre 2014 et 2024.

Quelques établissements du ministère de la culture 2014 2016 2018 2020 2022 2023 2024 Évolution des tarifs 2014-2024
Musée du Louvre 12 € 15 € 15 € 17 € 17 € 17 € 22 € 83%
Centre Georges Pompidou 13 € 14 € 14 € 14 € 15 € 15 € 15 € 15%
Musée d’Orsay 11 € 12 € 14 € 16 € 16 € 16 € 16 € 45%
Château de Versailles 15 € 15 € 17 € 18 € 18 € 19,5 € 21 € 40%*
Musée du Quai Branly 9 € 10 € 12 € 12 € 12 € 12 € 14 € 56%
Musée Guimet 7,5 € 7,5 € 11,5 € 11,5 € 11,5 € 12,5 € 13 € 73%
Mucem 5 € 9,5 € 9,5 € 11 € 11 € 11 € 11 € 120%
Château de Fontainebleau 11 € 11 € 12 € 12 € 13 € 14 € 14 € 27%
Château de Chambord 11 € 11 € 13 € 14,5 € 14,5 € 14,5 € 16 € 45%

*pourcentage minoré car Versailles ne fournit plus l’audioguide avec le prix du billet depuis le 1er janvier 2024 ; désormais les visiteurs devront payer 5 euros supplémentaires pour avoir un audioguide.

Au Centre des monuments nationaux, les tarifs d’entrée connaissent depuis le 1er janvier 2024 des augmentations sans précédent allant de 13 à 25 %. L’établissement public justifie sa politique tarifaire par « l’érosion des réserves de l’établissement du fait de la pandémie et l’inflation (…) ainsi que les dépenses de travaux, d’énergie et de masse salariale ». En voici quelques exemples :

  • A l’Arc de Triomphe et à Notre Dame (en prévision de la réouverture au public), le tarif d’entrée passe de 13 à 16 euros soit +23 % ;
  • Au Panthéon, à la Sainte Chapelle, à la Conciergerie, au Château de Vincennes, à la Cité de Carcassonne, à Aigues-Mortes ainsi qu’à Villers-Cotterêts, le tarif individuel augmente de 13%;
  • La visite des Eyzies, de l’horloge de Besançon, de Montcarret coûtera désormais 25% de plus ;
  • A la Chapelle Expiatoire, au Puy-en-Velay, à Fréjus, à l’Abbaye de Montmajour et bien d’autres monuments nationaux, les tarifs sont tous augmentés de + 17 %!

Dans un ministère comme le nôtre, petit par la taille et le budget, mais largement devant les autres s’agissant du nombre d’opérateurs – le ministère de la culture comprend plus de 80 opérateurs -, les conséquences de telles décisions sont considérables.

L’autonomie toujours plus grande des EP à l’aune d’une marchandisation de la culture voulue au plus haut sommet de l’État et assumée voire revendiquée par les directions elles-mêmes interroge le service public culturel non seulement dans ses capacités mais jusque dans ses fondements. Une telle politique ne saurait être compatible avec la défense de l’exception culturelle.

Cette fuite en avant, qui impose de facto la mise en concurrence des EP entre eux, remet en cause la cohésion du ministère de la culture et l’égalité de traitement due à tous ses agents. Les crises que nous avons traversées ont pourtant montré qu’il nous faut plus que jamais faire ministère pour servir la population, toute la population sans aucune exclusive.

Pour ces raisons, la CGT-CULTURE :

  • exige un débat de fond et sans tabou sur :
    • de nouvelles mutualisations, péréquations et solidarités,
    • de nouvelles dynamiques de réseaux,
    • de nouvelles coopérations,
    • des financements publics à la hauteur des besoins de démocratisation et de démocratie.
  • exige un retour au financement direct par la puissance publique et non déguisé par les dépenses fiscales qui permettent aux grandes entreprises et à leurs détenteurs de peser sur les politiques culturelles de l’État et d’en tirer des avantages indécents,
  • réaffirme l’universalité des biens de la Nation,
  • revendique la gratuité pour l’accès à nos musées (a minima pour les collections permanentes) et monuments nationaux, cette gratuité devant être financée sur le budget de l’État par l’abandon des cadeaux fiscaux faits aux plus riches.

Il est grand temps de sortir des impasses culturelles et démocratiques dictées par la puissance libérale qui induisent des politiques tarifaires privilégiant les visiteurs à haut potentiel de dépense. Il en va de même avec le développement du mécénat qui favorise sans vergogne les intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. 

https://www.cgt-culture.fr/wp-content/uploads/2024/02/CGT-Culture_Augmentations-des-tarifs_202401.pdf