Texte d’orientation du XIIIe congrès de la CGT-Culture – novembre 2023
Quelle politique culturelle dans le secteur du cinéma ?
La CGT et le cinéma ont une histoire commune. Le Festival de Cannes a été pensé pendant le Front populaire pour concurrencer le Festival de Venise de l’Italie fasciste de Mussolini. La guerre déclarée en 1939 stoppe la création du projet et à la Libération la première édition du Festival de Cannes a lieu. La participation de la CGT y est prépondérante : la Fédération nationale du spectacle siège au Comité d’organisation du Festival, des ouvriers CGT construisent bénévolement le premier palais de la Croisette.
L’exception culturelle du cinéma français, c’est‐à‐dire l’instauration de mécanismes de protection du cinéma face aux règles commerciales du libre‐échange, s’appuie sur le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Cet établissement public, créé en 1946, est placé sous l’autorité du ou de la ministre de la Culture et gère un principe redistributif complexe, consistant à reverser les recettes de différentes taxes sous forme d’aides aux créateur.ice.s, producteur.ice.s, exploitant.e.s et distributeur.rice.s afin de favoriser notamment la diversité et la production française. L’ordonnance du 24 juillet 2009 a modifié l’organisation du CNC et son fonctionnement : il devient le Centre national de la cinématographie et de l’image animée, se voit doté d’un conseil d’administration et est dirigé par un.e président.e désigné.e par la ou le président de la République. Conformément à l’ordonnance, le CNC assure « l’unité de conception et de mise en œuvre de la politique de l’État dans les domaines du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée, notamment ceux de l’audiovisuel, de la vidéo et du multimédia, dont le jeu vidéo ». Depuis 2023, les parties législative et réglementaire ainsi que le règlement général de ses aides ont été intégrés au Code du cinéma et de l’image animée.
Le budget du CNC provient de taxes affectées (principalement celles sur les entrées en salles de cinéma, sur les services de télévision et sur la vidéo et les services de vidéo à la demande). Près de 40 % des dispositifs d’aides du CNC vont au secteur du cinéma et près de 36 % à celui de l’audiovisuel.
Il assure depuis 2011 la tutelle financière et technique de la Cinémathèque française (CF).
Fin 2020, le CNC employait 464 agent.e.s (en baisse constante : 479 en 2019 et 483 en 2018) dont 84 % de contractuel.le.s sous statut d’établissement, réparti.e.s comme suit : 60 % de catégorie A, 30 % de catégorie B et 10 % de catégorie C. Depuis 2008, le CNC ne perçoit plus de subvention du ministère de la Culture pour son fonctionnement : tous les personnels, même les fonctionnaires affecté.e.s, sont payé.e.s sur crédits de l’établissement.
Absence de réelles politiques de soutien à la création, de démocratisation et de démocratie culturelle
Un des constats que nous pouvons faire est l’absence concrète de politiques culturelles dans le secteur du cinéma par le ministère de la Culture. Le CNC, malgré ses objectifs de conception et de mise en œuvre des politiques de l’État dans le ce secteur, n’impulse pas de véritable ambition, son approche étant principalement économique, basée notamment sur le nombre de dispositifs financés ou d’aides octroyées à la production.
Cette approche purement économique est visible dans la politique conventionnelle territoriale du CNC avec les DRAC et les collectivités couvrant les domaines de l’aide à la création, à la production et à l’accueil des tournages, de l’éducation à l’image, de la diffusion culturelle, de l’exploitation cinématographique et du patrimoine cinématographique. Jusqu’en 2017, des crédits du ministère de la Culture permettaient un soutien spécifique par les DRAC au secteur du cinéma et de l’audiovisuel. Fin 2017 a été acté le transfert de charge de ces crédits au CNC puis, courant 2018, une note du SG stipulait un transfert implicite de ces crédits aux régions, décision pourtant contraire à la charte de déconcentration et aux préconisations du dernier rapport d’inspection des DRAC. Ce transfert de moyens de l’État aux régions en deux temps cache une délégation de compétences qui ne dit pas son nom, alors que l’expérimentation en Bretagne dans le domaine du cinéma n’a entraîné qu’un surcoût de gestion, sans simplification administrative avérée pour les porteur.euse.s de projets, et la perte de visibilité de la politique du ministère de la Culture. Depuis 2018 les conseillers cinéma en DRAC ont perdu la pleine maîtrise des crédits au profit du CNC. Le travail des conseillers s’en trouve invibilisé et les DRAC perdent la maîtrise territoriale des politiques publiques du cinéma. Ce dispositif consacre le délitement des missions des conseiller.ère.s cinéma en DRAC dont le réseau est à présent piloté par le CNC et donne un très mauvais signal pour les conseiller.ère.s des autres disciplines, risquant en outre de provoquer une rupture d’égalité de traitement des territoires (critères locaux vs critères nationaux d’attribution des aides) et de percuter les acteur.rice.s de la filière cinématographique et audiovisuelle, dont les projets sont soumis à la seule appréciation des élu.e.s ou des services régionaux.
Politique de conservation et de valorisation patrimoniale
Parmi les missions du CNC, la direction du patrimoine cinématographique « couvre l’ensemble des actions de collecte, de conservation, de sauvegarde, de traitement physique et documentaire ainsi que la valorisation de ce patrimoine qui concerne le “film” et le “non‐film”, soit l’ensemble des documents se rapportant au cinéma ».
De son côté, la CF, association créée en 1936 sous tutelle financière et technique du CNC et sous tutelle administrative du ministère de la Culture (SG), a pour but « d’assurer dans l’intérêt de l’art et de l’histoire, la constitution en France des Archives et du Musée de la cinématographie, et de leur utilisation la plus complète ». La CF a fusionné avec la Bibliothèque du Film en 2007 et s’est dotée en 2008 d’une charte du patrimoine qui définit les priorités d’enrichissement. Elle collecte des films anciens, les sauvegarde et les montre au public « afin de contribuer au développement de la culture cinématographique ». Elle recueille également des objets et des documents ayant trait à l’histoire du cinéma et est devenue l’une des archives les plus célèbres dans le monde. La subvention générale du CNC en 2022 était de 19 M€ et ses ressources propres s’élevaient à 6 M€. Elle emploie 210 CDI et 3 CDD. Elle fait face à une diminution progressive des effectifs du département du Patrimoine, qui recouvre toutes les missions publiques de la Cinémathèque (conservation, valorisation, diffusion des collections patrimoniales), contre laquelle luttent les délégué.e.s du personnel, en particulier CGT.
Un autre acteur phare en termes de conservation et de valorisation patrimoniale de l’audiovisuel est l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), créé en 1975 à la suite de l’éclatement de l’ORTF. Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) placé sous la tutelle du ministère de la Culture, l’INA est « chargé notamment de la conservation des archives, des recherches de création audiovisuelle et de la formation professionnelle ». Cet établissement était financé jusqu’en 2021, à l’instar des autres opérateurs de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde) par la contribution à l’audiovisuel public (ex‐ redevance). La CAP a été supprimée par loi de Finances rectificative du 16 août 2022, et est provisoirement remplacée par l’affectation d’une fraction du produit de la TVA, jusqu’à fin 2024. En 2021, la CAP de l’INA s’élevait à 88 M€, les ressources propres à 22 M€ et le nombre de salariés à 900.
Le CNC et la CF, ainsi que de nombreuses associations ayant exclusivement des missions de service public, poursuivent des objectifs pédagogiques, de transmission et de démocratisation culturelle. La politique d’éducation à l’image portée par le CNC passe à travers le financement de plusieurs dispositifs nationaux, portés notamment par de petites associations de moins de 30 salarié.e.s, dont les marges de négociation avec l’employeur sont très faibles et où les conditions de travail sont souvent difficiles.
Impact des nouveaux acteurs et des modes de production
L’apparition de nouvelles et nouveaux acteurs du monde de l’internet et la mutation profonde des modes de production et de diffusion bousculent les mécanismes de financement et d’accès à la création cinématographique et audiovisuelle.
Aux États‐Unis les acteur.rice.s et scénaristes sont en grève depuis début mai 2023 afin d’obtenir des revalorisations salariales et de dénoncer le recours croissant à l’intelligence artificielle en lieu et place des acteur.rice.s et scénaristes.
Les revendications de la CGT-Culture :
La CGT‐Culture se coordonnera pour faire dialoguer les syndiqué.e.s du CNC, de la Cinémathèque française, des associations sous tutelle du CNC et du ministère, des DRAC et de l’administration centrale, et pour organiser régulièrement des réunions d’information avec les personnels de ces structures.
- La CGT‐Culture exige que la DGMIC définisse, coordonne et évalue la politique de l’État dans le secteur du cinéma, en travaillant étroitement avec les directions/délégations d’administration centrale et en particulier avec la DG2TDC. Le CNC se centrera exclusivement sur ses missions d’étude, de réglementation et de financement du secteur.
- En ce sens, la CGT revendique le retour de ces crédits en administration centrale afin de garantir l’application nationale des mesures de service public culturel cinématographique.
- La CGT‐Culture exige le retour en administration centrale de l’animation du réseau des conseiller.ère.s cinéma des DRAC.
- La CGT‐Culture s’oppose à toute délégation ou tout transfert de compétence afin de préserver l’égal accès à la culture à travers des DRAC remplissant pleinement leur rôle de représentant de l’État en région.
- La CGT‐Culture estime que la direction du patrimoine du CNC doit créer des ponts avec les autres institutions patrimoniales du ministère afin de s’intégrer aux discussions sur la conservation et la restauration des collections, ainsi que sur les politiques de valorisation et de transmission. Pour ce faire, la CGT‐Culture exige la création d’une structure administrative, en particulier un service à compétence nationale, qui réunisse les missions patrimoniales du CNC et de la Cinémathèque française, ainsi que les associations de délégation de service public (DSP). Ce regroupement permettrait d’harmoniser les politiques publiques et les pratiques et de proposer un cadre administratif mieux‐disant à l’ensemble des personnels concernés. Ce SCN aurait donc pour mission l’acquisition, la conservation, l’étude et la valorisation de collections cinématographiques à valeur patrimoniale. La CF et le département du patrimoine du CNC ne seraient plus en concurrence et agiraient de concert pour réaliser une même mission de service public. Ce SCN accueillerait un service de restauration et de recherche dédié, avec des conservateur.rice.s restaurateur.rice.s spécialisé.e.s dans les documents cinématographiques (film et non‐film) et deviendrait à terme une source de référence sur les questions de conservation et restauration de films.
- Dans la continuité de cette revendication, la CGT‐ Culture demande de légiférer sur les règles d’acquisition, de conservation et de restauration des collections nationales du CNC, des cinémathèques et services d’archives audiovisuelles et cinématographiques.
- L’avenir de l’INA va dépendre de la future réforme de l’audiovisuel public qui, au‐delà de la question de son financement, s’appuie sur la création d’une holding regroupant les différents opérateurs. Cette réforme risquerait de contraindre l’INA à changer son statut pour devenir une société anonyme et par conséquent
- s’éloigner davantage de ses missions patrimoniales au profit de produits et services commerciaux. La CGT‐ Culture propose de travailler avec la CGT‐Spectacle et en particulier le syndicat CGT de l’INA sur le devenir patrimonial de l’institut et des alternatives le recentrant sur ses missions premières de service public.
- La CGT‐Culture maintient que la culture ne doit pas être soumise aux règles du marché et exige une application stricte de l’exception culturelle (exclusion totale des accords commerciaux internationaux).
- Avec la Fédération du Spectacle, la CGT‐Culture appelle le ministère de la Culture à l’aménagement du droit de la concurrence aux spécificités du secteur Culturel afin de garantir la diversité des acteur.rice.s et des expressions artistiques, face au phénomène de concentration et de position dominante de certains opérateurs (GAFAM).
- La CGT‐Culture revendique un encadrement strict de l’utilisation de l’IA afin qu’elle demeure un outil d’aide à la création sans remplacer les professionnel.le.s du secteur. L’humain est et doit rester au cœur de la création et de sa mise en œuvre.