Œuvrer pour l’ensemble de la population et contre les inégalités culturelles
En promettant que la culture sera une priorité du quinquennat, le candidat Macron s’est engagé sur une voie ambitieuse mais dont nous savons tous qu’elle est fragile et périlleuse. En vous nommant ministre de la culture, le président Macron se donne les moyens d’ouvrir un dialogue constructif sur les enjeux actuels. Plus citoyenne de culture que technocrate, vous aurez la lourde charge d’apporter un souffle et un élan nouveaux aux politiques publiques culturelles pour les rendre plus démocratiques. L’oeuvre est immense et, dans cette tâche, vous savez pouvoir compter sur les personnels du ministère qui, toujours, ont l’ambition intacte de rapprocher les plus éloignés de la culture, de protéger le patrimoine pour mieux le transmettre et de soutenir la création et les artistes. Vous connaissez aussi la force des réseaux qui constituent le ministère et qui irriguent l’ensemble du territoire métropolitain et des Outre-mers, toutefois hélas de manière inégale.
Une conception plus démocratique des politiques
Concevoir des politiques publiques plus démocratiques exige de développer des échanges avec tous les acteurs de la culture et avec les collectivités. Réduire les fractures de notre société nécessite de les connaître, d’avoir du temps, d’avoir l’expertise, de coopérer en interdisciplinarité et d’avoir les moyens d’agir et de partir à la rencontre de nos concitoyens. Cela implique aussi de changer de paradigme : concrètement, il s’agit de faire vivre les droits culturels qui ne doivent pas être considérés à l’aune de la seule fréquentation des musées mais au regard d’une diversité culturelle reconnue comme un principe fondamental. C’est par le dialogue que la singularité des cultures peut se conjuguer avec l’émergence d’une culture commune, capable de rassembler la société et d’en réduire les fractures.
Comment permettrez-vous au service public de la culture de jouer tout son rôle dans ce projet indispensable de développement de la démocratie culturelle ?
Les DRAC, avec l’administration centrale, pilotes du développement culturel
Avec soixante-cinq millions d’habitants et une multiplicité de collectivités, la cohérence des politiques publiques est un défi. Le service public de la culture se doit d’y répondre sans faille, au travers de l’administration centrale et au travers des DRAC, qui sont les outils du pilotage de l’action culturelle dans les territoires. La diversité de nos métiers, qui répond à celle des missions du ministère, doit à tout prix être sauvegardée pour qu’il puisse demeurer capable de faire droit à toutes les sollicitations sans restrictions de moyens, notamment en régions. Or, tout emploi supprimé dans une DRAC impose aux usagers un service public qui ne répond plus, ou mal, à leurs attentes.
Les collectivités territoriales rencontrent des difficultés faute de moyens, mais aussi de plus en plus en raison de choix politiques locaux qui écartent nos concitoyens de la culture.
C’est à l’État de garantir à chacun, en tout point du territoire, un droit à l’accès à la culture et la possibilité de jouir de ses droits culturels. Faire culture, c’est faire société.
Redonner un élan aux DRAC
Les politiques publiques culturelles sont en retrait sur le terrain. Délégations de compétences ici, manque de moyens là, directive nationale d’orientation (DNO) sans aucun élan culturel, désorganisation post-réforme et risques psycho-sociaux encore et toujours, reconcentration des moyens sur les sites des Drac-siège de régions au détriment d’un service public de proximité et du renforcement de son expertise, carrières bloquées et régime indemnitaire indigent sont le quotidien des collègues en DRAC.
Garantir le droit à la culture
La DNO devrait être placée sous le signe de la coopération avec les collectivités et les acteurs locaux de la culture, institutionnels comme associatifs. Elle devrait être un outil visant à renforcer les responsabilités de l’État et lui permettre de les assumer, et d’être en mesure de s’emparer des nouveaux enjeux relatifs aux inégalités culturelles. Le ministère de la culture n’a pas vocation à agir seul mais, s’il le faut, il doit en avoir la capacité. Un ministère de la culture de plein exercice est la garantie de l’État, face à la Nation, du droit à la culture pour tous.
Un réel schéma directeur de l’aménagement du territoire des politiques culturelles est un moyen de lutter contre les inégalités en matière de culture. Les délégations de compétences sont un dispositif qui prétend promouvoir la proximité mais, mal conçues et mal évaluées, elles fossilisent les coopérations indispensables à la co-construction des politiques publiques. Les personnels en régions seront naturellement très attentifs au positionnement politique de la ministre quant à la place et au rôle des services déconcentrés et des établissements nationaux.
Madame la ministre, comment allez-vous redonner un espoir légitime aux personnels du ministère et renforcer leur place et leur rôle sur l’ensemble du territoire ?
Les établissements nationaux de la culture comme outil culturel
L’autre point de développement du service public de la culture réside dans la qualité des établissements nationaux. Forts de leur implantation sur l’ensemble du territoire, de leurs missions et expertises, ils sont à même, sous l’égide des DRAC, de porter les politiques de l’État, de leur donner une cohérence et de développer le service public au plus près de la population.
Les réseaux du ministère sont inestimables pour faire droit à l’accès à la culture : archives, archéologie, manufactures, bibliothèques, librairies publiques, monuments historiques, musées, écoles, conservatoires, radio, audiovisuel, théâtres, résidences d’artistes, opéras, cinémas, danse et musique, etc. … sont au service de tous. Par là, ils sont constitutifs de l’exception culturelle. Il est indispensable de les protéger de la brutalité du marché qui lorgne sur cette richesse publique.
Madame la ministre, comment allez vous protéger l’exception culturelle que constitue ce réseau du service public de la culture, réseau unique en son genre ?
Service public et dumping social : l’exemple de l’archéologie
La création de toutes pièces d’un marché de l’archéologie préventive et son maintien de la manière la plus artificielle qu’il soit nuit au bon exercice des missions de protection par l’étude et de mise en valeur du patrimoine archéologique. Le dumping social qui s’y développe anéantit les garanties collectives ; le dumping scientifique ronge les règles déontologiques les plus élémentaires et alimente la dispersion des données scientifiques au profit de leur marchandisation. Dans un autre registre, le phénomène est identique pour la Réunion des Musées Nationaux.
Madame la Ministre allez-vous laisser encore longtemps cette politique de dumping se développer alors qu’il y a urgence à agir ?
La conception démocratique des politiques doit déterminer la nature des financements
Il n’y a pas de service public sans financement public, que ce soit sous forme de crédits budgétaires ou d’exonérations fiscales. Le ministère, champion en matière de fiscalité, n’opère pas toujours dans la transparence, secret fiscal oblige … ! Depuis de nombreuses années, les financements privés défiscalisés ont pris une place de plus en plus importante dans le budget des établissements publics. Le mécénat, lorsqu’il est associé au désengagement de l’État, porte en germe une privatisation de la culture au détriment de tous et loin du droit à l’accès à la culture pour tous.
En lieu et place, on préférerait voir se développer des actions culturelles en direction des populations éloignées de la culture comme celle, mal nommée, intitulée « convention de jumelage entre grands établissements culturels et les zones de sécurité prioritaires en Ile-de-France ». Mais, pour cela, il faut des moyens humains et financiers. Le ministère doit cesser ses perpétuelles injonctions paradoxales dans les relations qu’il entretient avec les services et établissements. Il lui faut admettre que faire autrement dans les politiques culturelles exige de repenser le modèle économique qui s’appuie pour le moment sur le développement des ressources propres et une fiscalité occulte.
Madame la ministre, allez-vous, pour asseoir des politiques culturelles démocratiques, revisiter les modèles économiques des établissements pour les adapter aux nouveaux enjeux culturels ?
Avec les personnels et leurs représentants, la démocratie sociale
Les représentants du personnel ne sont que l’expression de la parole de la communauté de travail ministérielle. Les personnels et leurs représentants doivent être respectés et leurs expertises reconnues. Ils sont une force de propositions, avec les usagers, pour garantir à tous un service public de la culture sur l’ensemble du territoire. Dans ce domaine, l’exemplarité vient d’en haut et, souvent, c’est la ministre et son cabinet qui donnent la tendance. Madame la ministre, les personnels et nous-mêmes attendons de votre part une forme d’exemplarité en matière de démocratie sociale pour que chacun vive ses droits de citoyens au travail sans aucune distinction. Nous attendons aussi que chaque militant puisse exercer ses droits syndicaux sans discrimination au quotidien.
Madame la ministre, comment allez-vous renforcer la participation des personnels et de leurs représentants et leurs droits d’intervention dans le champ de la démocratie sociale ? Comment allez-vous permettre que les délibérations soient le fruit d’un débat démocratique et constructif ?
Un ministère saigné à blanc
Pour relever tous ces défis, pour ne pas passer à côté de la transition numérique et l’adapter à nos problématiques, pour permettre aux plus jeunes et à la diversité d’oeuvrer pour le service public et l’intérêt général, pour permettre une meilleure adaptabilité du service public à la société et à ses mutations, pour offrir du travail et des carrières de qualité et pour cesser la détérioration des conditions de travail, il y a nécessité à ne pas supprimer d’emplois. Or le président de la République a programmé cinquante mille suppressions d’emplois dans la Fonction publique de l’État. La nécessité d’un service public de la culture en tous points du territoire, pour lutter contre les inégalités culturelles, ne nous paraît absolument pas compatible avec de telles restrictions de moyens.
Madame la ministre, allez-vous laisser supprimer des emplois au risque d’affaiblir encore plus le service public de la culture et détériorer encore plus les conditions de travail ?
Ne pas oublier la feuille de paie !
Si les personnels du ministère sont dévoués à la cause, leur feuille de paie a bien du mal à traduire cette énergie et cette expertise. Le ministère de la culture est un ministère pauvre. Si la situation s’est un peu améliorée du fait de mesures interministérielles d’alignement des grilles salariales dans toute la Fonction publique, ce qui n’est pas toujours très visible, voire vrai, le ministère est traversé par de nombreuses inégalités et disparités de traitement, tant en raison du genre, de la catégorie, de l’affectation ou des filières métiers. Il y a urgence à oeuvrer pour plus de transparence en matière d’égalité de traitement. Pour revaloriser la carrière des personnels, dont 40 % sont en catégorie C, il est nécessaire d’augmenter le nombre de promotions. Il est nécessaire aussi, pour faciliter un accès à l’emploi titulaire, de maintenir la rémunération antérieure à l’arrêté de titularisation.
Madame la ministre, comment allez-vous favoriser de bonnes conditions de travail et de carrières, valoriser l’expertise, les qualifications et compétences des personnels, promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, offrir un emploi pérenne aux précaires qui travaillent sur des besoins permanents, garantir une protection sociale complémentaire pour les rapprocher des soins, offrir des prestations sociales qui aident les personnels et leur famille au lieu de les mettre en difficulté, protéger les personnels du dumping social et faire respecter la Charte sociale pour les salariés des entreprises extérieures, pour ceux qui subissent de plein fouet le dumping social et sont les plus éloignés de droits sociaux signes de progrès social ?
Cette lettre à votre adresse n’a pas vocation a être exhaustive mais elle pose un certain nombre d’enjeux actuels qui suscitent des débats avec les personnels et dans la société. Elle est leur contribution aux nombreuses sollicitations dont vous ferez l’objet. Essayez de les entendre et d’y répondre dans le sens d’une plus grande justice sociale, dans le respect de l’égalité de traitement, et au service de la culture et de l’intérêt général.
Rappel :
Pour préparer l’avenir et pour soutenir ces idées, l’intersyndicale CGT-Culture SNAC-FSU et UNSA-Culture du Ministère de la Culture appelle les personnels à se rassembler aux Colonnes de Buren le 8 juin 2017 de 12 heures à 14 heures – Venez nombreux sous les fenêtres de la Ministre !
Paris, le 29 mai 2017
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