Déclaration de la CGT-Culture au Comité technique ministériel du 3 octobre 2017

Madame la ministre,

Chacun peut reconnaître que vous ne ménagez pas vos efforts, dans votre communication, pour réduire l’horizon de la politique culturelle à l’éducation artistique et culturelle ; une chorale dans chaque établissement scolaire et le Pass Culture pour les jeunes de 18 ans, ce ne sont certainement pas ces sujets qui marqueront les mois comme les 2-3 ans qui viennent, ni votre action à la tête de ce ministère.

Une nouvelle RGPP XXL

Alors que le ministère de la Culture ne s’est pas encore remis de la funeste RGPP de Sarkozy, vous avez en effet reçu le 26 septembre, du Premier ministre, l’instruction d’engager et conduire un nouveau dépeçage de la politique culturelle de l’Etat et des structures qui la servent : administration centrale, services déconcentrés et établissements publics.

Vous n’avez pas perdu de temps puisque le lendemain, en présentant votre budget pour 2018, vous annonciez entre 160 et 200 emplois en moins pour fonctionner, dans un ministère déjà « saigné à blanc » pour reprendre les mots d’une Ministre qui vous a précédée. A ce rythme, et sur 5 ans, nous sommes partis sur une trajectoire de 800 à 1000 suppressions d’emplois.

Le démentez-vous Madame la Ministre ?

Et ces suppressions viendraient s’ajouter au près de neuf cents réalisées dans le précédent quinquennat.

Cette offensive de grande envergure porte un nom : le Programme « Action publique 2022 ». Elle sera encadrée, comme l’indique le Premier ministre, par un Comité « composé de personnalités qualifiées françaises ou étrangères, de chefs d’entreprises, de parlementaires, d’élus locaux et de hauts fonctionnaires » qui « s’interrogera sur l’opportunité du maintien et le niveau de portage le plus pertinent de chaque politique publique. Cela pourra notamment le conduire à proposer des transferts entre les différents niveaux de collectivités publiques, des transferts au secteur privé, voire des abandons de missions. Il identifiera également les chevauchements et les doublons de compétences qui sont source de coûts injustifiés. ».

Vous avouerez que la politique du Président Macron n’est ni d’une grande modernité, ni d’une grande originalité !

Elle consiste à copier-coller celle de Sarkozy, à marcher dans ses traces jusqu’à désigner auprès de lui un nouveau « Monsieur Patrimoine », en la personne de Stéphane Bern, dont nous attendons toujours la lettre de mission, comme Sarkozy l’avait fait en son temps avec Marin Karmitz pour la création artistique.

Elle est aussi singulièrement plus brutale : le Comité Action publique 2022 rendra son rapport en mars prochain, et toutes les décisions seront annoncées avant l’été. Vous serez donc probablement auditionnée avant Noël, Madame la Ministre.

Cet intervalle, vous le savez madame la ministre, ne laisse aucune place pour conduire la moindre réflexion approfondie au sein des services, des établissements, des réseaux professionnels comme avec l’ensemble des acteurs avec lesquels travaille le ministère. Quant à la concertation avec les personnels et leurs représentants, nous nous orientons sûrement vers un scenario à la nord-coréenne ! Quelques démiurges claquemurés à l’ombre des regards et taillant dans la masse au mépris des conséquences concrètes de leurs actes. Les personnels du ministère connaissent par cœur ces lamentables méthodes, qui sont peu éloignées de ce qu’Edgar Morin nomme « la barbarie du calcul et du chiffre » !

Ne vous a-t-on pas dit que « La RGPP a durement éprouvé le ministère de la Culture (…) Elle a, au sens propre, inversé les relations entre objectifs et moyens, produisant par sa méthode même une série d’impacts négatifs. Dans sa gouvernance, l’opacité des méthodes de la RGPP, leur empirisme associé à un maniement permanent de l’urgence ont engendré un sentiment général d’arbitraire et une grande méfiance. Les réductions d’emplois effectuées sans évaluation de leur impact réel sur les services ont  détérioré l’ajustement entre missions et effectifs, parfois sévèrement. (…) le regroupement des directions en Directions générales a produit de grandes faiblesses dans l’articulation entre transversalité et expertise, un allongement excessif des chaînes hiérarchiques, des rapprochements sans synergies réelles. (…) Les DRAC ont été affectées de sévères baisses de moyens, humains et matériels. (…) Alors qu’elle prétendait procéder à l’analyse des politiques publiques et des missions ministérielles de façon fine et raisonnée, la RGPP a négligé les contenus des politiques et, plus largement, l’exercice concret de missions qui concernent des milliers d’agents. »

Ces propos, la CGT-Culture pourrait les signer. Ils ne sont pas de nous, mais de la collégialité des Inspecteurs généraux des affaires culturelles qui a produit, à la demande de la Ministre Filippetti, un rapport d’évaluation très instructif sur « les effets de la mise en œuvre de la RGPP au ministère de la Culture et de la Communication » , après avoir entendu plus de 400 personnes (des acteurs du ministère principalement).

Auriez-vous quelque considération pour ces travaux ?

Si le ministère de la Culture est encore debout, il le doit à l’attachement remarquable et remarqué des agents à leur travail, à leurs missions, et à leur sens du service public et ce, malgré les réorganisations et déménagements incessants, le sous-effectif endémique et la perte de sens dans leur travail qui en découle. A leurs luttes acharnées aussi !

Aussi, ceux-ci attendent de vous Madame la Ministre, Monsieur le Directeur de Cabinet, aujourd’hui même, les réponses et tous les éclaircissements concernant ce futur Programme « Action publique 2022 ».

Sans politique culturelle de belle envergure,

l’éducation artistique et culturelle est une coquille vide !

A peine arrivée à la tête du ministère de la culture, vous annonciez vouloir faire de l’Education Artistique et Culturelle (EAC) votre priorité. Qui pourrait être contre cette idée quand on sait l’importance des apprentissages, de la transmission et de l’acquisition des savoirs, bien sûr pour les enfants et la jeunesse, mais aussi tout au long de la vie, et tout particulièrement durant la vie professionnelle.

Pour la CGT-Culture, qui plaide incessamment pour un débat ouvert et citoyen sur les politiques de contenus de ce ministère, l’objectif de l’EAC est certes important mais largement insuffisant à lui seul. Il faut soutenir et développer toutes les politiques de la culture, des arts, du patrimoine, de la création pour nourrir et régénérer en permanence l’EAC. Sans politique culturelle de belle envergure, l’EAC est une coquille vide !

Pardonnez-nous de rappeler au passage devant cette assistance que plusieurs de vos prédécesseurs, en leur temps, ont mis en avant les questions de l’EAC avec des fortunes diverses. Bien qu’on sache avec le recul que nombre de ces expériences ont été intéressantes et qu’elles ont pu contribuer à faire bouger les lignes ici ou là, nous avons encore du mal à en évaluer la portée sur un plan plus large.

On peut aussi légitimement s’inquiéter du risque non négligeable pour notre ministère d’être aspiré dans le sillage du ministère de l’éducation nationale alors que nous devons nous battre à chaque alternance et chaque remaniement, avec les personnels et les professionnels, pour qu’il demeure un ministère de plein exercice. Quant à savoir quelles seront les modalités concrètes et pratiques de mise en œuvre de ce projet EAC nouvelle formule, ce serait commettre une lourde erreur et s’exposer de façon incompressible à un retard d’avenir que de le limiter au seul temps scolaire.

Si nous dénonçons régulièrement l’absence ou la vacuité du débat sur le devenir des politiques culturelles, ce n’est pas pour le plaisir de polémiquer mais parce que nous sommes convaincus que la crise profonde et durable qui touche notre société appelle des réponses autrement plus sérieuses que des éléments de langage au service de la performance communicationnelle.

En 2015, au cœur d’une année terrible, nous lancions, déjà, cette alerte : le ministère de la culture, notre ministère, celui-là même que les agents portent quotidiennement à bout de bras depuis des années malgré une pénurie de moyens criante, ce ministère-là doit impérativement changer de logiciel et faire, en quelque sorte, sa révolution.

La culture doit être une priorité pour notre société

En 2015, encore, puis au printemps 2016, le gouvernement réunissait trois fois le comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté. Notre pays n’était pas loin alors de regarder enfin la réalité en face. Il n’était pas loin d’accepter de nommer les difficultés et les errements qui le minent depuis bientôt quarante ans.

Allions-nous enfin parler partout, dans l’ensemble du territoire, et pas seulement depuis la position dominante de Paris et des grandes métropoles, des fractures sociales, des fractures culturelles, des fractures territoriales, de ces maux mortifères qui rongent nos campagnes comme les villes et les quartiers périurbains.

Allions-nous enfin reconnaître que des populations entières ont été laissées pour compte, sacrifiées sur l’autel des préceptes libéraux, oubliées sur le bas côté de la globalisation et des impératifs économiques, quand ce n’est pas qu’elles sont plus explicitement discriminées et stigmatisées.

Alors oui, déjà, face aux pouvoirs publics et aux dirigeants politiques responsables tour à tour des mêmes choix catastrophiques, nous lancions ce cri d’alarme : la culture doit absolument être une priorité pour notre société. Non pas la culture telle qu’on l’entend lorsqu’on se donne pour seule conduite de la faire descendre du haut vers le bas, en toute condescendance, des sachants vers les autres, comme si à l’heure des réseaux sociaux, des autoroutes de l’information, de la multiplication des échanges internationaux, du bonheur et de la richesse infinis de la diversité, nous pouvions encore seulement imaginer nous adresser à des femmes et des hommes dépourvus de culture.

Oui, Madame la Ministre, en ce début d’octobre 2017, nous continuons à nous battre pour l’accès de toutes et de tous à la culture, et la démocratisation de la culture n’est pas une vieille chose passée de mode. Mais le moment est venu, et il y a urgence, de faire droit aux droits culturels de chacune et de chacun d’entre nous. Où l’on parle en toute occasion et sur tous les tons de modernité et de modernisation, il est temps de s’atteler à la construction d’une démocratie culturelle, une démocratie dans laquelle un service public culturel du XXIème siècle trouve toute sa place aux côtés des forces et des acteurs du progrès et d’une authentique transformation sociale.

Ainsi, nous, militants de la CGT, et en même temps militants de la culture, nous sommes prêts à participer d’un telle ambition, et d’un nouveau projet ministériel si longtemps attendu mais si souvent remis à plus tard sous le poids de l’inertie technocratique, sous le poids de la reproduction sociale, d’une forme de pensée unique et d’idées bien trop à l’étroit.

Êtes-vous prête, Madame la Ministre, à discuter de tout cela avec nous ?

Paris, le 3 octobre 2017

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