Archéologie préventive
Attaque sans précédent contre les services publics
Les 27 et 28 août derniers, quatre entreprises privées d’archéologie, dont deux des plus importantes au plan national, ont engagé des actions juridiques contre l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) pour contraindre cet établissement public à, « sous quinzaine […], cesser toutes candidatures à des marchés publics ou privés de fouilles archéologiques préventives ».
Sont mises en cause les subventions perçues pour charge de service public qui permettraient à l’Institut, lorsqu’il réalise des fouilles, de pratiquer des « prix prédateurs par subventions croisées ». A l’appui de ces recours, il est également invoqué un avis de 1998 du conseil de la concurrence qui considérait que le monopole public des diagnostics destinés à évaluer l’importance des sites archéologiques menacés de destruction était susceptible d’entraîner des « abus de position dominante ».
Ces attaques concertées ne visent bien évidemment pas seulement l’INRAP. Les services de collectivité qui réalisent eux aussi des diagnostics et des fouilles archéologiques tout en percevant des subventions publiques sont, également aussi en ligne de mire. De même, les universités et le CNRS qui sont financés par le budget de l’Etat ne pourraient plus, à l’avenir, être associés à l’exploitation des données si le conseil de la concurrence et les tribunaux administratifs donnaient satisfaction aux auteurs de ces recours.
Dans cette hypothèse, vu l’importance prise par l’archéologie préventive ces trente dernières années, c’est toute la recherche archéologique publique qui serait remise en cause dans notre pays. Une telle aberration n’est rendue aujourd’hui possible que par une loi votée en 2003 qui a assimilé les fouilles archéologiques préventives à des opérations commerciales, réalisées pour le compte des aménageurs.
Les conséquences de cette loi sont déjà dramatiques. La concurrence économique entre opérateurs se traduisant par une baisse de la qualité des fouilles, c’est la capacité même des archéologues à sauvegarder le patrimoine national et à faire progresser la recherche qui est remise en question.
Pratiquant, au détriment de leurs propres salariés, un dumping scientifique et social forcené pour s’accaparer des « parts de marchés » les entreprises privées ont réalisé, en 2014, plus d’un tiers des fouilles. Bénéficiant largement de subventions publiques, notamment du crédit impôt recherche, la quinzaine d’actionnaires de ces sociétés dégagent depuis des années des profits substantiels qui visiblement ne leur suffisent pas puisqu’ils veulent maintenant écarter définitivement tous les services publics.
Le rapport remis par la députée Martine Faure à la ministre de la Culture en mai dernier a dressé un constat accablant de la situation actuelle mais, comme l’ont relevé de nombreux observateurs, il reste extrêmement timide quant à ses préconisations. Dans le prolongement de ce rapport les évolutions législatives figurant dans le projet de loi « liberté de création, architecture et patrimoine », qui arrive en débat à l’Assemblée nationale, ne sont pas de nature à résoudre la crise actuelle car elles ne remettent pas en cause « la marchandisation de l’archéologie préventive » instauré par la loi de 2003.
Comme elle s’y était engagée quand elle était dans l’opposition, la majorité parlementaire doit maintenant revenir sur les principes dogmatiquement libéraux de cette loi. Pour développer le « service public de l’archéologie préventive fondé sur l’excellence scientifique et culturelle » que le Premier ministre a appelé de ses voeux, il faut en urgence que :
La maîtrise d’ouvrage des fouilles préventives revienne à la puissance publique, possibilité étant donnée à l’Etat de déléguer cette mission à une collectivité territoriale ;
Pour les opérations de terrain comme pour les recherches post-fouille, il doit être mis fin à la concurrence économique entre les différents services publics ;
Les agents de l’Inrap et les contractuels recrutés sur des besoins permanents dans les services de collectivité et au CNRS doivent être titularisés pour permettre de réelles passerelles et collaborations entre services publics.
En 1998, les archéologues s’étaient puissamment mobilisés pour faire obstacle aux conclusions du Conseil de la concurrence et obtenir la première législation française sur l’archéologie préventive. Nul doute que cette fois encore, toutes institutions confondues, ils sauront se mobiliser pour faire entendre leur point de vue auprès des parlementaires et empêcher la marchandisation généralisée et programmée de leur discipline.
Paris, le 11 septembre 2015
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- 2015 09 11 CGT Archéologie - 178 Ko