Madame la Ministre,
Les organisations syndicales CGT et CFDT des Archives de France tiennent à vous exprimer leur consternation et leur mécontentement à la lecture du document de travail intitulé « Contribution ministérielle aux travaux du CAP 2022 » en date du 3 novembre 2017.
Votre constat concernant la politique archivistique de votre ministère est aussi violent qu’erroné : « une politique des archives trop coûteuse car visant à l’exhaustivité ».
Non, Madame la ministre, le budget consacré à la politique archivistique n’est pas trop coûteux puisqu’il ne représentera en 2018 que 3,5 % de celui du programme Patrimoines de la Mission Culture, soit 1 % du budget du ministère de la Culture…
Non, Madame la ministre, les archivistes ne pratiquent pas une politique de collecte qui vise à l’exhaustivité puisque environ 10 % des documents produits par l’administration deviennent des archives définitives. Les 90 % restant, dépourvus d’utilité administrative et ne présentant pas d’intérêt historique, sont éliminés sous le contrôle scientifique et technique de l’État exercé par les archivistes en votre nom.
Madame la Ministre, ce constat n’est pas acceptable. Ces kilomètres linéaires de documents, de registres, de feuillets renferment des richesses, des trésors inestimables. Produites par les administrations publiques, les archives sont notre histoire individuelle et collective, la source de ceux qui écrivent l’histoire ; elles détiennent les preuves pour établir et justifier des droits. Elles sont donc au cœur de la démocratie.
C’est pourquoi les perspectives que vous proposez sont encore plus inquiétantes que votre constat.
Il s’agirait pour vous de réduire les stocks, de baisser les coûts en limitant l’archivage aux « archives essentielles » : les gains prévisionnels sur 5 ans sont estimés à 7 millions d’euros, soit entre 50 et 100 km linéaires d’archives non collectées et environ 15 km linéaires d’archives définitives « réévaluées » et détruites.
De même la numérisation n’est évoquée que pour la manne financière qu’elle représenterait : elle permettrait d’économiser le coût du stockage ; le coût de la dématérialisation est indiqué comme amorti en 6 ans… les archives papier étant donc détruites dans la foulée…
Face aux enjeux démocratiques que constituent les archives, nous refusons que les politiques de collecte et de numérisation soient dictées par l’objectif de réduction du métrage linéaire pour des raisons de coût et de saturation des magasins.
Ainsi nous vous mettons en garde contre de nouvelles décisions de destruction d’archives définitives dans le simple but de « faire de la place ».
Nous vous demandons solennellement l’abandon du chantier des archives essentielles et de la réévaluation des archives définitives tel qu’il est énoncé dans le document du 3 novembre 2017.
Nous souhaitons qu’à l’avenir les chercheurs des services publics d’archives (qu’ils soient généalogistes, historiens ou simples administrés), les agents et leurs représentants soient associés via des instances ad hoc à la politique des archives en France, de la collecte à la numérisation, en passant par le classement et la communication.
Enfin nous vous alertons sur la saturation des magasins des services publics d’archives, tant nationaux que départementaux, sur les ressources humaines et budgétaires totalement insuffisantes pour faire face aux enjeux des cinq prochaines années.
Madame la Ministre, il y a urgence à investir dans les archives pour que la démocratie ne soit pas un vain mot.
Paris, le 15 janvier 2018