Madame la Ministre, vous avez rendez-vous avec les personnels et leurs revendications, vous avez rendez-vous avec leurs représentants, avec le dialogue et la démocratie sociale
Madame la Ministre,
Nous tenons tout d’abord à saluer votre présence au comité social d’administration ministériel (CSA-M) ce vendredi après-midi. Nous attachons en effet le plus grand prix à ce que vous présidiez cette instance et au fait de pouvoir échanger très directement et le plus librement possible avec vous.
Votre nomination à la tête du ministère de la Culture comme vos premières déclarations n’ont laissé personne indifférent et elles ont particulièrement retenu notre attention. Dès votre arrivée, vous avez donné le ton en exprimant votre volonté de défendre une culture populaire, une culture pour tous. Dans la lettre ouverte que nous vous adressions le 15 janvier dernier, nous pointions la nécessité impérieuse de poursuivre l’objectif de la démocratisation culturelle. Nous soulignions également l’urgence de transformer les politiques culturelles afin qu’elles soient en parfaite adéquation avec les nouveaux usages et répondent réellement aux besoins immenses de la population et de tous nos concitoyens.
Chacun voit bien qu’il faut franchir une nouvelle étape dans la construction d’une démocratie culturelle. Or si le ministère est désormais armé pour avancer dans ce sens, nous en appelons à votre détermination pour faire entendre bien mieux encore la cause des droits culturels, le droit de chacune et chacun d’entre nous à la dignité et à l’émancipation. Notre organisation est prête à y travailler avec vous et votre équipe.
Militer pour que la démocratie culturelle et la démocratisation culturelle progressent dans un même élan n’est pas une utopie, c’est un impératif social et politique.
Comment dans le contexte actuel, alors que notre société se fracture et vacille sous le poids des injustices, comment pourrions-nous faire l’impasse sur ce terrible paradoxe ? Car c’est au moment même où vous fixiez le cap de la culture pour tous que les grands établissements publics et les monuments nationaux annonçaient des hausses tarifaires telles qu’elles constituent un frein supplémentaire à l’accès du plus grand nombre à la culture.
Marchandisation de la culture et marginalisation d’une part croissante de nos concitoyens ou démocratisation, les termes du débat sont posés. Il faudra bien aussi, et le plus tôt sera le mieux, accepter d’interroger le modèle économique de nos opérateurs aujourd’hui à bout de souffle, avec les conséquences sociales que l’on connaît hélas trop bien : emplois sous tension, smicardisation des salaires, dégradation des conditions de travail et banalisation du recours à la précarité sous couvert d’agilité contractuelle.
Vous avez devant vous la délégation d’une organisation qui a recueilli 41,5% des suffrages aux dernières élections professionnelles. Une délégation qui pourrait faire la liste exhaustive des dossiers brûlants et des revendications portées jour après jour au nom des personnels. Ce n’est pas l’envie qui nous en manque ni donc la légitimité mais nous y serions encore ce soir et peut-être plus.
Nous sommes résolus à nous y consacrer pleinement ensemble et avec votre cabinet, même si force est de constater que vous n’avez pas jugé utile à ce stade de nommer un conseiller ou une conseillère sociale. Qu’il nous soit permis de le regretter et d’en former le vœu instamment.
Mais dans l’immédiat, nous souhaitons revenir en votre présence sur les points de vigilance les plus prégnants et les alertes sociales suivantes :
- L’enjeu crucial et explosif
- des effectifs dont l’étiage est un peu partout en dessous de la ligne de flottaison (cf. notamment la situation alarmante des EP) ;
- des salaires dans un contexte inflationniste inédit et délétère pour les personnels ;
- de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qui mérite l’ouverture d’une négociation comme la loi l’exige et comme nous vous l’avons expressément demandé
- L’urgence de sortir de l’enlisement incompréhensible dans lequel se trouve la négociation relative au cadre de gestion des contractuels alors même que les organisations syndicales unanimes ont signé un accord de méthode explicite avec votre prédécesseure ; nous vous renvoyons à notre dernier courrier intersyndical demandant des éclaircissements et réaffirmant que l’introduction d’un régime indemnitaire ne saurait se faire au détriment d’une refonte du cadre indiciaire prévue dans l’accord de méthode ;
- S’agissant de la négociation ministérielle en cours sur la protection sociale complémentaire, la reconduction à son poste de votre homologue à la Fonction publique doit vous permettre d’obtenir rapidement un engagement formel sur la modification de l’arrêté fixant la cotisation des enfants de moins de 21 ans. Si cet arrêté reste en l’état, il engendrera comme nous vous l’avons signalé une situation de solidarité inversée où les enfants sur-cotiseraient au bénéfice des actifs, ce qui représenterait une profonde injustice pour les cotisants ;
- La fermeture du Centre Pompidou jusqu’en 2030 : dossier dans lequel la signature d’un protocole d’accord ne suffit pas à apporter toutes les garanties pour l’avenir ; situation évidemment prioritaire où notre organisation – responsable et légitime – entend bien continuer à être aux côtés des agents comme elle n’a cessé de le faire depuis plus de trois mois ;
- Le déménagement de la BPI – en raison de ces mêmes travaux – qui révèle une grande précarité de l’emploi, un malaise social profond, avec en toile de fond une expertise attendue sur les risques psychosociaux et une discrimination syndicale larvée ;
- Le rapprochement ou la fusion dans le cadre d’un nouvel établissement public de type « fédéral » des deux établissements publics – Mobilier national et Cité de la céramique – Sèvres et Limoges : rapprochement qui ne va pas du tout de soi tant du point de vue des collections, que de la continuité et de la préservation des missions et des métiers, qu’au plan social stricto sensu ; nous n’avons pas besoin « d’un nouvel organigramme qui pourrait faire peur aux directeurs dans le couloirs » ;
- La mise en danger voire l’extinction de nombreux métiers de la filière statutaire des métiers d’art en raison de l’absence de concours et donc de recrutements nécessaires à un renouvellement vital ;
- Les menaces qui pèsent sur les services déconcentrés, sur les liens et les partenariats, sur le tissu culturel local et aussi sur les équilibres territoriaux fragilisés par la mainmise inquiétante des Préfets sur les DRAC et les DAC en Nouvelle Aquitaine, en PACA ou dans les Outre-mer. Par ailleurs les instrumentalisations politiques à l’œuvre sont tout aussi inacceptables, comme en témoigne la situation en Auvergne Rhône-Alpes ;
- L’exigence d’aboutir au mieux et au plus vite au repyramidage des filières accueil, surveillance et magasinage et métiers d’art tout en préservant une structure d’emploi équilibrée entre toutes les catégories ;
Sur le haut de la pile, parmi les toutes premières priorités, il y a bien sûr le dossier des Jeux Olympiques et Paralympiques qui nous réunit ce vendredi et sur lequel nous avons fait connaître publiquement nos inquiétudes, nos questionnements et nos propositions et revendications le lundi 5 février. Dossier sur lequel nous avons déjà pris beaucoup trop de retard et sur lequel les principes d’exercice de la tutelle sur les opérateurs et d’égalité de traitement de tous les agents doivent s’exercer pleinement, sans lanterner ni se cacher derrière le sacrosaint principe d’autonomie des EP car, l’autonomie n’est pas l’indépendance et la tutelle en droit est un régime d’autonomie très relative.
Comme vous pouvez le constater, Madame la Ministre, il y a de nombreux dossiers en cours qui s’accumulent mais aussi de nombreuses sollicitations de votre cabinet restées sans réponse.
Car enfin, et, après avoir noté que « votre porte est ouverte », nous tenions à terminer par cela : il est grand temps d’ouvrir une nouvelle séquence du dialogue social qui mobilise non seulement l’administration mais aussi votre cabinet. Si la liste des alertes sociales et des griefs est si longue et même un peu effrayante, c’est bien parce que vos prédécesseurs étaient fermés à l’idée du débat et incapables de comprendre ce que l’on a à gagner à un dialogue social riche, nourri et loyal ou ce qu’il en coûte à l’inverse de s’enfermer dans le mépris, l’entre-soi et la surdité.
Vous dites assez souvent, Madame la Ministre, que vous n’avez pas peur et que vous n’accepterez aucun procès en légitimité quant au ministère qui vous a été confié. Ce langage n’est pas pour nous déplaire, nous qui abhorrons le mépris de classe, les préjugés et les discriminations de toutes sortes et d’où qu’elles viennent.
Nous ne sommes pas non plus du genre à avoir peur. Vous inviter au dialogue le plus franc et direct, à ouvrir en grand et sans tabou tous les débats utiles, c’est notre façon de vous souhaiter la bienvenue au ministère de la Culture tout en souhaitant également que ce ministère et ses agents se portent mieux.
Paris le 9 février 2024