L’intersyndicale Culture soutient les personnels des écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA), ainsi que les étudiants dans leurs revendications pour obtenir une ambition ministérielle de haut niveau et des moyens à la hauteur des enjeux de l’enseignement de l’architecture.
Depuis 2018, date de promulgation des textes relatifs à la réforme de l’enseignement supérieur de l’architecture, le ministère de la Culture ne se donne pas les moyens qu’il faudrait pour répondre à l’urgence de la situation des écoles. Pas plus tard que lundi 20 mars, l’administration a présenté au cours d’une réunion technique des projets mélangés de textes relatifs à l’enseignement supérieur de l’architecture et des arts.
La fusion des classes de maîtres de conférences dans le corps des enseignants chercheurs des ENSA, promise et planifiée dans un agenda en 2017, est actée après six ans… L’intersyndicale Culture s’est adressée à la Ministre de la Culture pour lui exprimer son fort mécontentement quant au fond et à la forme des questions abordées au cours de cette réunion, qui laissent apparaître un cruel manque d’ambition pour l’enseignement supérieur culture de la part du ministère.
Pour faire simple, sur le fond :
- L’ambition politique qui doit porter la spécificité de ces enseignements est illisible, ce qui crée des tensions importantes dans les communautés enseignantes, administratives et étudiantes des écoles, qui s’échinent à porter à bout de bras des enseignements pourtant essentiels. Le nécessaire équilibre entre l’enseignement du projet architectural et urbain et les disciplines qui l’entourent, de la construction aux sciences humaines, n’est pas pensé. Il est plus simple de laisser les enseignants se déchirer entre eux sur l’importance de leur discipline, et les étudiants sur les charrettes qui en découlent.
- La vision d’ensemble du ministère est enfermée dans un carcan unique, alors que l’enseignement national supérieur de l’architecture n’a pas connu la même évolution que l’enseignement national supérieur artistique. Cette différence nécessite de distinguer nos deux enseignements nationaux supérieurs, celui de l’architecture et celui des arts, lesquels exigent des stratégies distinctes et lisibles avec une vision claire pour répondre à l’ensemble des communautés de travail et étudiante.
- La réforme des écoles nationales supérieures d’architecture en 2018 a consisté à rapprocher, à juste titre, leur organisation de celle de l’enseignement supérieur, ce qui est une bonne chose et permet de reconnaître l’excellence des formations dispensées. Ce qui ne va pas, en revanche, c’est l’absence ou la très grande insuffisance des moyens qui ont été mis en face des nouvelles ambitions – moyens qui avaient pourtant été évalués par le ministère lui-même. L’exemple le plus criant est la décision de déléguer au niveau local, des écoles, les concours de recrutement des enseignants, et ce contre l’avis unanime de nos organisations.
Ce choix du ministère de la culture a été opéré au nom d’un rapprochement avec ce qui se fait au MESRI, alors que le rapport d’échelle en nombre d’étudiants et de personnel est de 1 à 100 !! Cette décision est payée à un prix d’or pour l’ensemble des écoles qui ne dispose pas des ressources d’une université, en termes de budget, de personnel mais aussi de vivier des membres de jurys. Ce choix se fait aussi au risque du développement d’une forme d’endogamie, là où la liberté d’enseigner est plus que jamais un principe requis pour faire face aux enjeux architecturaux actuels. Un débat politique avec la ministre doit s’engager pour permettre d’apporter une alternative au niveau national, sans tabou. Là aussi, la vision politique doit permettre d’offrir une trajectoire lisible par tous et partagée.
- Au manque d’ambition politique s’ajoute un manque préjudiciable de moyens humains et financiers dans l’enseignement national supérieur de l’architecture. Cette politique de coupes budgétaires nous mène droit dans le mur et autorise l’administration à développer des politiques de précarité qui se nichent à différents niveaux.
Ces coupes budgétaires autorisent aussi les administrations de certaines écoles nationales supérieures d’architecture à développer une politique de ressources propres et donc de marchandisation de l’offre universitaire qui accaparent des moyens humains dévolus aux missions de formation initiale. Cette trajectoire n’a fait l‘objet d’aucun débat politique avec la ministre, alors qu’il s’agit d’une question qui dépasse de loin le financement. Là encore, si rien n’est clarifié et encadré, les dérapages éthiques sont à craindre.
- Le projet de renforcer le conseil pédagogique et scientifique (CPS) des écoles dans un contexte de forte contrainte sur les moyens (pas de décharge en matière de recherche à la hauteur des estimations ministérielles de 2018, voire une réduction du volet d’heures de décharges de recherches disponibles si les décharges administratives envisagées sont prises sur la même enveloppe, pas de poste prévu pour les décharges pour participation aux instances que les nouveaux textes instaurent, possibilité d’heures complémentaires sans limitation, opacité des critères d’attributions, approximations dans l’encadrement doctoral, etc. ) ne pourra qu’accroître les conflits qui plombent le travail serein et collectif de la communauté enseignante. Le caractère approximatif des projets de textes sans aucune vision d’ensemble est problématique. En effet, le risque de voir renforcées les prérogatives des directeurs des écoles dans ce contexte est réel et n’augure rien de bon pour la qualité des enseignements, conséquence du désengagement croissant du ministère sous couvert de la sacro-sainte indépendance des établissements.
- L’absence de politique de l’emploi dans les écoles nationales supérieures d’architecture, fruit des coupes budgétaires, autorise le développement de toutes formes de précarité. Alors que près de la moitié des enseignements dans les Ensa est dispensée par des contractuels précaires, on observe qu’entre le plafond des autorisations d’emplois voté au parlement et celui de chaque école, il y a un monde d’opacité et de solutions à la petite semaine. Une politique de l’emploi dûment conduite et partagée par nos organisations commence par une évaluation des besoins. Ce travail d’évaluation des besoins permet de flécher les types d’emplois requis pour y répondre. Au lieu de cela, l’administration propose d’autoriser des heures complémentaires sans aucune limitation au prétexte que « c’est comme ça au MESRI » ! Il y a nécessité de bien évaluer les besoins des écoles nationales supérieures d’architecture pour aller demander des emplois pérennes à Bercy et non des crédits supplémentaires pour financer le recours à des intervenants extérieurs !
- Les droits sociaux liés au reclassement, à la mobilité, à la discipline, au temps de travail, à l’égalité professionnelle, etc. sont traités de manière tronquée et sans considération de critères ou de la réalité des procédures qui devraient en découler. L’administration est assez peu loquace sur le « qui-fait-quoi », tant au niveau local qu’au niveau central : service de l’architecture, sous-direction des affaires générales de la DGPA, bureau des ressources humaines de la SDAFIG, Services des Ressources Humaines, sous directions des métiers et des carrières, bureau de gestion, RH de proximité. Il y a l’embarras du choix mais les compétences et les ressources ne sont évidemment pas les mêmes. Nos organisations sont conscientes que cela demande du travail mais nous sommes prêts à y œuvrer, non à recevoir comme réponse « c’est comme ça au MESRI » !
Sur la méthode :
- Le groupe de travail du lundi 20 mars n’a pas permis de travailler comme il le faudrait faute de discussion politique préalable avec la ministre ou son cabinet. Les opérations mal conduites dès le départ ne favorisent pas le travail et le partage d’expertise avant d’exposer les motifs pour faciliter l’écriture des amendements.
- Notre approche sur le fond ci-dessus doit aussi permettre de faciliter une approche par thèmes pour éviter de se perdre. L’ambition politique, les concours de recrutement des enseignants, les moyens humains et financiers, l’organisation et le financement de la recherche, la remise à plat des prérogatives respectives des conseils pédagogiques et scientifiques et du CNECEA – pour le moins une clarification, un cadrage et les moyens afférents – le déroulement de carrière, le régime indemnitaire, etc. sont des propositions de thèmes, à hiérarchiser et à traiter avec méthode.
- Nous devons voir comment prioriser les sujets. L’administration considère qu’il y a urgence, mais l’urgence est-elle la même pour chacun des projets de textes ? Certains font consensus, et ils pourraient être examinés en priorité ; d’autres nécessitent de prendre un temps plus long pour explorer les voies possibles d’un consensus.
- Le CSA commun des ENSA n’aurait pas à examiner les projets de textes, ce que nous réfutons. Il doit jouer son rôle pour l’ensemble du réseau des écoles. A part les arguments d’autorité, l’administration n’a pas grand-chose à invoquer pour refuser un examen en CSA commun des ENSA. C’est pourquoi, en préalable, nos organisations demandent un examen des textes en CSA commun des ENSA avant celui en CSA Ministériel.
- Des questions comme le reclassement, la mobilité, le disciplinaire, les heures complémentaires, les décharges, etc… nécessitent des circulaires qui présentent des règles opposables. L’opposabilité est trop négligée par l’administration alors qu’elle permet de revitaliser le débat, de répondre aux difficultés concrètes des agents en ouvrant des droits et de mettre en œuvre l’égalité de traitement.
- Nos enseignements nationaux supérieurs sont inscrits dans les directions métiers, là où leurs constructions et évolutions sont les plus favorables, ce qui est historiquement partagé des deux côtés de la table. Pour renforcer la spécificité de nos enseignements nationaux supérieurs, la délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle a été créée. Or la DG2TDC est absente des débats. Il serait utile que cette délégation s’imprègne de la réalité concrète de la situation afin de poursuivre le renforcement de la spécificité de nos enseignements de manière globale. En clair, l’ensemble du ministère doit être engagé pour défendre nos enseignements et leur spécificité.
L’Intersyndicale Culture a demandé à la ministre de la Culture un rendez-vous, alors que le mouvement des « Ensa en lutte », porté par les étudiants et la communauté des écoles, se poursuit.
Pour le service public de l’enseignement supérieur de l’architecture
Paris, le 24 mars 2023