Monsieur le ministre,
Madame la directrice de cabinet,
Madame la directrice générale de la création artistique,
Monsieur le directeur général des patrimoines,
Monsieur le directeur général des médias et des industries culturelles,
Monsieur le délégué à la langue française et aux langues de France,
Monsieur le secrétaire général,
Qu’il nous soit tout d’abord permis de souhaiter la bienvenue et beaucoup de courage à celles et ceux qui viennent de prendre leurs fonctions – car il vous en faudra et ô combien !
Mais s’agissant des postes qui demeurent désespérément vacants – la direction des musées de France et le service interministériel des archives de France – allez-vous, Monsieur le ministre, nous faire l’honneur d’une annonce en séance, ce jeudi 22 novembre. Ces nominations, les personnels des archives et des musées, ainsi que les grands réseaux concernés, les attendent depuis maintenant plus de neuf mois, rien que cela.
Après ce petit hors-d’œuvre sympathique, vous comprendrez, Monsieur le ministre, que nous passions de suite au plat de résistance.
La première question qui nous vient inévitablement à l’esprit dans le climat actuel concerne les raisons de votre nomination à la tête de ce beau ministère, hélas si souvent attaqué, et terriblement affaibli par vos prédécesseurs.
Nous savons à peu près pourquoi Madame Nyssen a dû tirer sa révérence dix-sept mois seulement après son arrivée dans le sillage de l’élection d’Emmanuel Macron. On a cru comprendre que les problèmes de charpente et de maçonnerie pouvaient lézarder la plus belle des maisons. Soit !
Faute d’un discours de politique générale qui donne de réelles perspectives et ouvre au sursaut et à l’ambition dont ce ministère et ce pays ont tant besoin, nous sommes en droit de nous interroger sur votre feuille de route et vos réelles intentions. Pour l’instant, il faut les lire en creux et entre les lignes de vos premiers pas.
Voilà moins de deux ans que nous vivons dans le « nouveau monde ». Le temps qu’il faut pour comprendre que les « corps intermédiaires », dont nous sommes, ne font pas partie d’un paysage gouvernemental façonné par la centralisation du pouvoir et la distanciation avec la société réelle. Le mépris et la morgue réservés aux organisations syndicales et aux représentants du personnel, ici comme aux quatre coins du pays, font d’une certaine façon tous les jours la une de l’actualité en direct ou en différé. Il faut être aveugle et sourd ou sous le charme nocif du pouvoir, pour ne pas voir et ne pas entendre que le dialogue, les libertés, la démocratie et in fine notre volonté de vivre ensemble et de fraternité crient au secours.
Nous, la CGT, celle du ministère de la culture, de votre ministère qui commence, nous vous parlons, que cela vous plaise ou non, à partir de la légitimité incontestable qui nous est conférée par la confiance des personnels.
Celle-ci nous autorise à vous alerter avec beaucoup de franchise et de détermination. Entendrez-vous que ce ministère et les agents qui le servent avec un dévouement et une abnégation admirables n’en peuvent plus de cette espèce de fascination technocratique et de soumission triste à la culture du chiffre qui les empêchent de travailler. Entendrez-vous par ailleurs que ce ministère est un ministère de mission, d’engagement, de création et d’innovation au service de la population, partout où elle se trouve, en métropole comme en outre-mer, et sans aucune exclusive.
Il ne doit pas y avoir l’ombre d’une feuille de papier à cigarette entre une société en mutation et le ministère. La situation générale est inédite et préoccupante à plus d’un titre. Votre responsabilité est par conséquent très particulière. Si nos territoires ont reçu en héritage des potentialités et des savoir-faire inouïs, les attentes sont immenses.
On ne peut différer la refondation des politiques publiques de la culture. Partout des projets passionnants méritent d’être soutenus et encouragés. Les professionnels, les acteurs et les relais d’une démocratie culturelle en mouvement n’attendent qu’une chose : agir et travailler ensemble. Il appartient donc au ministère, à votre ministère de faire unité, de fédérer et rassembler ces énergies et ces capacités considérables.
Chacun peut mesurer aujourd’hui l’ampleur et la gravité des multiples fractures qui traversent et divisent notre pays. Vous devriez inscrire chaque jour à votre agenda l’impérieuse nécessité de la démocratisation de la culture et, en même temps, celle de la reconnaissance et de l’expression essentielles des droits culturels. Entendrez-vous ces urgences sociales et politiques. Êtes-vous venu pour cela…
Ou serez-vous le ministre de la marchandisation de la culture et des biens culturels, celui de la défiscalisation et en miroir de l’injustice fiscale, et des intérêts privés.
Nous ne sommes pas là pour insulter l’avenir mais il faut bien dire que vos premiers arbitrages et décisions sont les marqueurs d’une politique libérale qui se poursuit et s’accentue. Au demeurant pour un ministre qui souhaite prendre son temps, vous n’en avez pas perdu :
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Poursuite des chantiers de démolition ouverts par Françoise Nyssen dans le cadre d’Action Publique 2022, entre autres : administration centrale stratège ; projet de fusion des SCN-musées avec les établissements publics ; nouvelles suppressions d’emplois au PLF 2019 à hauteur de 160
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Poursuite du projet de restructuration immobilière « Camus »
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Amputation des dépôts d’archives à hauteur de 12 000 m² au moyen du projet « Camus »
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Poursuite de la réforme de l’administration territoriale avec le projet d’expérimentation dans le département de la Dordogne de fusion de l’UDAP 24 dans une seule direction départementale interministérielle, le tout sous l’autorité directe du préfet de département.
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Abandon de la gratuité le dimanche au Louvre
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Augmentation substantielle des tarifs du droit d’entrée au musée Picasso et au musée d’Orsay
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Mise en extinction de la direction des publics et du développement à Picasso au profit de la communication
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Mise en extinction de l’observatoire des publics au CMN au profit de la politique du marketing
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Fermeture programmée des librairies et des comptoirs de vente de la RMN-GP au profit du marché et du dumping social « libre et non faussé »
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Plan social ou plutôt, pour parler « nouveau monde », projet de rupture conventionnelle collective pour tous les personnels de la RMN-GP à l’aune des travaux de rénovation du Grand Palais
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Arrêt de la communication des ouvrages aux usagers le samedi matin à la BNF, mesure qui s’accompagne d’un recours généralisé aux contrats courts en lieu et place du CDI
Monsieur le ministre, voilà malheureusement la réalité objective et implacable des faits et de votre politique pour votre galop d’essai.
En ce qui concerne les conditions de travail et la situation sociale des personnels, nous nous tuons à vous le dire, comme à vos multiples prédécesseurs, mais c’est notre devoir de le répéter encore une fois et nous le ferons aussi longtemps qu’il le faudra : trop de précarité, trop de pauvreté, trop d’inégalités et trop d’injustices sont encore la réalité quotidienne des agents.
Vos prédécesseurs avaient cassé le « baromètre social », quel sera votre plan pour répondre à cette urgence sociale et en finir avec cette stigmatisation permanente des personnels de la culture.
Cerise sur le gâteau, pour le premier comité technique ministériel de votre mandature, vous nous gratifiez d’un ordre du jour marqué du sceau de l’entêtement et de la surdité.
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Au point 4 : au mépris de l’opposition des personnels concernés, vous entérinez le transfert des actes de gestion qui consacre l’autonomie sans frein et la logique entrepreneuriale des établissements publics, et ce n’est pas un cavalier législatif déposé par le gouvernement en catimini sur le projet de loi de finances préparé par ses soins qui va améliorer le dialogue
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Au point 5 : sans plus de discussion et d’expertise juridique sérieuse, vous entérinez la création d’une mission de recherche et de restitution des biens spoliés entre 1933 et 1945, sans considération pour les familles et les ayants-droit
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Au point 7 : vous nous informez que vous allez continuer à supprimer des emplois en 2019 alors que pour 2018 vous avez refusé de manière constante dans les instances de proximité, CT et CHSCT, de nous dire avec précision où vous comptiez le faire
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Enfin au point 8 : non content de nous refuser systématiquement les points pour avis relatifs à la stratégie ministérielle immobilière, vous nous offrez, pour information, « le calendrier prévisionnel de la concertation autour du projet Camus »… Comprenne qui pourra
…Et pendant ce temps-là, nous n’avons toujours pas d’espace de dialogue dédié pour évoquer le rapport Bélaval et ses préconisations…
Bref, nous n’avons pas d’autre choix que de vous demander le retrait de ces points de l’ordre du jour du présent CTM puisque vous en êtes le président.
En outre, pouvez-vous nous confirmer que le protocole d’accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est toujours assorti de 500 000 euros de crédits destinés à corriger les inégalités salariales ?
Nous avons bien conscience que cette entrée en matière manque cruellement de convivialité, mais vous devez comprendre qu’après cinq ministres en six ans le crédit « état de grâce » a été copieusement épuisé par vos prédécesseurs.
Vive la culture et que vive le ministère de la culture
Paris, le 22 novembre 2018