Madame la Ministre,
Nous vous remercions d’ouvrir cette séance du CHSCT Ministériel du 2 novembre.
Malgré un train de dispositifs hors normes depuis le printemps, la situation sanitaire connaît une dégradation très importante et l’épidémie de covid-19 constitue une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population et donc celle des travailleurs.
C’est ainsi qu’au plan législatif et réglementaire des lois et des décrets d’urgence relatifs à l’état d’urgence sanitaire, à la prorogation de l’état d’urgence ou érigeant un régime transitoire pour sortir de l’état d’urgence, et pas moins d’une soixantaine d’ordonnances pour répondre à des mesures ayant un caractère d’urgence économique et sociale ont été promulgués depuis mars dernier.
Des mesures de soutien à l’économie et un plan de relance s’élevant à plusieurs centaines de milliards ont été mis en œuvre ou sont en passe de l’être.
Au plan scientifique, dès le début de l’été le conseil scientifique COVID-19 institué en mars dernier par le ministre des Solidarités et de la Santé a rendu plusieurs avis alertant le gouvernement quant à la circulation estivale plus active du virus et à un net recul des mesures de distanciation et des mesures barrières. Il mettait en garde contre une reprise à moyen terme de la circulation du virus à un niveau élevé à l’automne 2020 et incitait fortement les autorités à préparer et anticiper tous les scénarios possibles quelles qu’en soient les difficultés. Le conseil précisait en outre très clairement que les décisions devraient faire l’objet d’une discussion avec la société civile et qu’une nouvelle politique de communication devrait être menée. Il précisait aussi qu’il n’existe pas à ce jour d’étude prospective ou rétrospective importante permettant de connaître les modes de contamination des personnes à risque ayant dû être prises en charge en hospitalisation. Il soulignait enfin que les réunions familiales ou entre amis jouent probablement un rôle important dans la contamination de ces personnes se protégeant pourtant habituellement plus que les autres.
D’un point de vue épidémiologique, au début de l’été, les cas positifs augmentent avec le développement des tests alors que dans le même temps un phénomène de propagation à l’ensemble des groupes d’âge est constaté ; la contamination des tranches d’âge plus âgées se traduit par une augmentation significative du nombre d’hospitalisations et de passages en réanimation dans les semaines qui suivent. En septembre, entre 9 000 et 13 000 cas confirmés sont rapportés par jour. En octobre, on dénombre entre 45 000 et 50 000 cas positifs quotidiens. Le 1er novembre, les chiffres atteignent un niveau record : 20% de taux de positivité des tests COVID-19, 2448 clusters en cours d’analyse, 36 788 décès dont 224 dans les dernières 24 heures, 16 685 nouvelles hospitalisations dans les 7 derniers jours dont 2507 en réanimation.
Sur le site santé publique France, le point épidémiologique rappelle une très forte augmentation de l’ensemble des indicateurs nationaux, notamment des hospitalisations, admissions en réanimation et décès, une forte accélération de l’épidémie de COVID-19 sur l’ensemble du territoire et, en termes de santé mentale et de prévention (Etude CoviPrev du19-21 octobre), une augmentation significative des troubles dépressifs et une amélioration de l’application des mesures de réduction des contacts.
Ensemble, nous faisons le constat que la politique et les mesures mises en œuvre par le gouvernement sont inaudibles pour la population qui n’est associée ni de près ni de loin aux décisions. Que celles-ci sont très souvent en décalage avec la réalité constatée et les préconisations du conseil scientifique. La situation sanitaire est particulièrement dégradée et constitue une situation de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé des agents du ministère, pour rester dans notre champ de compétence.
A la lecture du projet de texte qui est soumis à notre avis ce jour, nous faisons le constat que le ministère de la Culture n’est guère à la hauteur des dispositions à prendre pour protéger les personnels. Une nouvelle fois, nous nous interrogeons sur la pertinence de nos échanges alors que ce projet a déjà été envoyé aux établissements et services sous tutelle du ministère. Nous déplorons ce dialogue social tronqué où systématiquement un projet de texte de l’administration centrale est envoyé au réseau avant avis de l’instance ministérielle compétente.
Pour tout dire, nous sommes des organisations syndicales en colère et nous représentons des personnels en colère.
Le projet de texte communiqué par votre administration n’est qu’une adaptation de celui qui avait été débattu lors du Chsct ministériel du 17 juin et qui concernait les phases de déconfinement. Cherchez l’erreur !
Pour nous, il est inacceptable en l’état et dénote un niveau d’impréparation de la part de l’administration, alors qu’elle aurait dû être prête, et ceci pour les raisons suivantes :
1° il n’évoque jamais les scénarios de reconfinement qui auraient été élaborés dans le plus grand secret par des cellules de crise aussi obscures qu’hors-sol alors que les organisations syndicales ont maintes fois exigé d’être associées à ces travaux ;
2° il ne donne pas la stricte priorité aux mesures de prévention primaire pour tous les agents alors que nos organisations syndicales n’ont cessé de marteler ce point incontournable dès le mois de juillet auprès de votre directrice de Cabinet et de vous même le 27 août lorsque vous nous avez rencontrés,
3° il écarte tout nouveau plan de continuité d’activité alors que la situation sanitaire, économique, sociale et réglementaire l’exigerait ;
4° il méconnaît la réalité de travail de milliers d’agents en ne proposant que des mesures de prévention primaire liées au télétravail pour une seule catégorie d’agents, ceux dont les missions/tâches sont télétravaillables, ignorant les contraintes des autres, comme si ces derniers n’étaient pas exposés au risque épidémique et alors que la crise sanitaire redouble ;
5° il s’arc-boute sur une réalité d’équipement informatiques restant très en deçà des besoins alors qu’en pareilles circonstances, et pour protéger les personnels qui ont des missions/tâches télétravaillables, il faudrait exiger de la souplesse et faire confiance aux agents même si la fourniture d’équipements informatiques se fait attendre pour certains ;
6° il ignore tout de l’intelligence collective préférant faire la part belle aux archaïsmes de management alors que les agents ont déjà moult fois fait la démonstration de leur engagement au travail, sur leur lieu de travail mais aussi à domicile quand les circonstances l’exigent et de leur participation active à la résolution de difficultés pour peu qu’on les sollicite ;
7° il rabaisse l’encadrement à une forme de caporalisation en exigeant la présence de ce dernier sur le lieu de travail coûte que coûte alors que son rôle est de définir les priorités au mieux en mobilisant les personnels sur des objectifs clairs et porteurs d’avenir, et en mettant en œuvre une organisation du travail garantissant des mesures de prévention primaire, encore faudrait-il que l’administration lui donne les capacités à agir ;
8° il méconnaît l’augmentation significative des troubles dépressifs et une dégradation de la santé mentale qui pourrait avoir des conséquences sur l’adoption d’habitudes de vie défavorables (consommation d’alcool et autres substances psychoactives, nutrition, sommeil…), ou contribuer à l’augmentation des violences (notamment intrafamiliales) ou encore alourdir le fardeau économique (arrêts de travail…) comme le précise l’enquête de Santé Publique France « CoviPrev » ; au demeurant, vous pourriez admettre qu’une enquête au sein même du ministère permettrait de mieux appréhender la situation des collègues et d’élaborer un plan d’action adéquat en matière de prévention des risques psycho-sociaux mais ce n’est là encore pas le cas ;
Pour aller directement au but, et profitant de votre présence à la présidence du CHSCT M de ce jour, nous vous demandons de rectifier le tir au plus vite – vous seule pouvez encore le faire – pour garantir à chaque agent de ce ministère, quels que soient son statut, son affectation, son grade et son métier, des mesures de prévention primaire qui le protègent du risque épidémique ainsi que ses proches.
Pour ce faire :
1° Pour garantir la continuité du service, allez-vous donner instruction à l’administration de réactiver les plans de continuité d’activité sur chaque site et ordonner une consultation des instances sur les parties relatives à l’organisation du travail et aux conditions de travail des plans de continuité d’activité ?
2° Pour garantir l’égalité de traitement de chaque agent face au risque épidémique, allez-vous donner instruction à l’administration de prendre les mesures de prévention primaire qui s’imposent, à savoir le placement en télétravail ou travail à distance cinq jours sur cinq des agents dont les missions/tâches sont télétravaillables et, pour ceux dont les missions/tâches ne sont pas télétravaillables, le placement en autorisation spéciale d’absence (ASA) ?
3° Pour garantir la préservation de la santé des proches vulnérables vivant avec des agents, allez-vous donnez instruction à votre administration de placer ces agents en télétravail ou si ce n’est pas possible en ASA, au moins le temps de la crise sanitaire la plus aigüe ?
4° Pour garantir la préservation de la santé des agents, allez-vous donner instruction à votre administration d’acheter des masques à haut pouvoir filtrant de type FFP2, et en priorité pour les agents vulnérables ?
5° Pour lutter efficacement contre le risque d’insécurité économique allez-vous donner instruction à votre administration de tout mettre en œuvre pour la préservation des situations économiques et sociales des agents à savoir le renouvellement des contrats des agents dont la fin est programmée durant le confinement, le maintien des rémunérations à 100% pour les agents de droit privé en chômage partiel, le déploiement des dispositifs d’action sociale d’urgence et la continuité du service pour le paiement des prestations sociales courantes ?
6° Pour les agents exerçant des missions de sécurité et sûreté affectés dans les lieux de culte – cathédrales – et de ce fait exposés à un risque très élevé d’agression, les postures Vigipirate « urgence attentat » ou sécurité renforcée-risque attentat » nécessitent une articulation avec les autorités compétentes au niveau locale, les préfectures notamment, pour ces lieux de culte qui restent ouverts ; nous demandons une forte mobilisation de l’administration sur ce point aussi pour accompagner les collègues dans leurs missions, les situations de stress étant très fortes ;
7° Enfin, parce que le dialogue est indispensable pour lutter ensemble contre cette épidémie, nous vous demandons que toute facilité soit accordée aux représentants du personnel dans l’exercice de leur mandat ; faut-il rappeler que bon nombre d’entre eux ne disposent pas nécessairement des équipements informatiques pour participer aux instances notamment ;
Nous vous demandons d’apporter des réponses dès aujourd’hui à ces questionnements légitimes. D’une part parce qu’elles vont orienter les principes ministériels pour lesquels nous allons proposer des amendements qui ont été discutés ce week-end au niveau de l’intersyndicale culture. Ils sont de nature à protéger nos collègues du Ministère.
D’autre part, nous sommes animés par la très grande conviction que rien de bien ne se fera sans associer les personnels et leurs représentants au règlement de cette situation de crise aigüe et inédite. Cette deuxième vague ne peut être abordée comme si la première n’avait jamais existé et nous sommes dès à présent demandeurs de travaux à venir pour mettre en place une période transitoire à l’issue du confinement qui garantisse à chacun la préservation de sa santé contre un virus dont les séquelles sont encore trop mal connues, quand on a la possibilité d’en sortir vivant.
Il ne paraît pas non plus inutile de vous rappeler et de faire passer le message au gouvernement que les congés ne doivent plus être volés aux personnels comme cela l’a été au printemps.
Si les semaines à venir vont être à coup sûr difficiles, sachez que l’engagement des personnels ne faiblira pas pour assurer la continuité du service public auprès de nos concitoyens et des professionnels durement touchés par la crise. Cette crise majeure n’autorise plus les doubles langages. Vous devez dès à présent donner la stricte priorité à la préservation de la santé des personnels et à toute mesure de prévention primaire.
Paris, le 2 novembre 2020