Monsieur le président, vous avez rendez-vous avec les personnels et leurs revendications, vous avez rendez-vous avec leurs représentants, avec le dialogue et la démocratie sociale.
Nous tenons tout d’abord à saluer la tenue de ce CSA Commun aux deux établissements publics, le Mobilier national et la Cité de la céramique-Sèvres et Limoges, obtenu après plusieurs demandes depuis le CSA ministériel du 4 octobre 2023. Plus de 5 mois se sont écoulés depuis. La séquence du CSAM du 28 décembre vous a permis, sous l’autorité de la précédente ministre, Rima Abdul Malak, de confirmer « la nouvelle architecture pour un pôle public des métiers d’art » qui prendrait la forme d’un établissement public de type « fédéral ».
Plus récemment, le 26 février 2024, vous avez rendu public un rapport de votre main intitulé « pour un pôle public des manufactures nationales et de leurs musées » dans lequel vous exposez 4 voies d’évolution organisationnelles possibles pour les deux EP en privilégiant nettement la solution de l’établissement public de type « fédéral ». L’équilibre de l’analyse des différentes possibilités d’évolution s’en ressent. Aviez-vous une idée préconçue ?
Pour commencer, les termes du débat ne sont pas d’une clarté à toute épreuve : d’abord, il s’agirait d’un « pôle public pour les métiers d’art » ; ensuite, il s’agirait d’un « pôle public pour les manufactures nationales et leurs musées » ; et enfin, vous dévoilez vos intentions : la fusion des deux EP en prétendant préserver l’autonomie de chacun par une formule magique et inédite dans les institutions de la République pour conforter chacun dans son pré-carré : le fédéralisme ! Nous comptons bien sur ce CSA commun pour que vous vous expliquiez sur l’articulation et le contenu de tous ces concepts dont la profusion sème la confusion :
- S’agissant de la stratégie nationale en faveur des métiers d’art qui s’incarnerait dans ce nouveau mécano administratif, nous vous rappelons que 60% des personnels de cette filière exercent leur fonction dans d’autres établissements (Louvre, Versailles, BNF, écoles nationales d’art, Archives nationales, …)
- S’agissant du projet de fusion dans un EP de type fédéral, nous avons de nombreuses interrogations portant sur la faisabilité, l’opportunité, l’efficacité et la soutenabilité de ce projet, ne serait-ce que, dans un premier temps, pour apporter de la clarté et des garanties aux agents sur leur devenir.
Avec beaucoup de légèreté, vous usez et abusez de toutes les arguties possibles pour orienter la décision politique en direction de la fusion. Ainsi, vous avez eu l’occasion d’invoquer des « histoires parallèles ». Vous n’êtes pas sans savoir que des droites parallèles sont des droites qui ne se croisent jamais et dont la distance les séparant restera toujours la même. Vouloir les rapprocher à tous prix, cela revient à s’engager dans une équation impossible par pure idéologie libérale et mercantile. Avez-vous bien réfléchi aux conséquences de ce mariage forcé ?
En réalité, ce projet de fusion n’est rien d’autre qu’une nouvelle restructuration imposée aux agents, en particulier ceux du Mobilier national et des manufactures, seulement deux ans après la transformation du service à compétence nationale en établissement public à gestion déconcentrée. Décidément, vous aimez jouer avec la forme des institutions de la République, même pluriséculaires, comme s’il s’agissait d’un jeu de LEGO que l’on fait et défait à souhait.
Vous savez que le Mobilier national et manufactures, dans sa forme d’EP, n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière et aurait besoin encore de quelques exercices budgétaires pour parvenir à une maturité de gestion notamment si l’on s’en réfère aux problématiques rencontrées par les services administratifs aujourd’hui en grandes difficultés. Du côté de la Cité de la céramique, vous êtes informé que ce contexte anxiogène pour les personnels incite des compétences à quitter l’établissement et ne joue pas en faveur de son attractivité.
Si nous partageons la nécessité de créer un centre de formation d’apprentis pour les métiers d’art, nous souhaitons qu’il englobe toutes les spécialités non enseignées dans l’Education Nationale afin de pérenniser des métiers rares et de haute technicité (IMOAD, restaurateur mouleur de sceaux, restaurateur de globes, doreur sur cuir, etc.). Un tel projet ne peut s’envisager qu’au niveau ministériel pour couvrir tout le champs d’application de la filière et pas seulement les métiers de ces deux institutions. Il en va de même pour l’organisation et les prévisions de recrutement par concours dont la technicité juridique et logistique exige des compétences dont les établissements publics sont dépourvus. Vous ne dérogerez pas à cette règle intangible, ni vous ni vos successeurs !
Si malgré tout cela, vous persistez dans la direction d’un établissement public de type « fédéral », il vous revient d’informer en amont les personnels par la voie de leurs représentants élus sur les conséquences des modifications d’organigramme qui vont impacter certains services, en particulier les « fonctions supports » : communication interne et institutionnelle, mécénat, gestion des ressources humaines, budget, services comptables et financiers, logistique, informatique, immobilier et bâtimentaire. Sur un total de plus 560 ETP pour les 2 EP, ces fonctions représentent a minima 200 ETP c’est-à-dire un bon tiers !
Car vous comptez bien, ou du moins c’est un de vos arguments d’efficience en faveur de la fusion, « mutualiser des compétences et optimiser des moyens ». Donc il y aura près de 200 agents dont les missions et les conditions de travail seront modifiées. Nous vous rappelons que les projets de mutualisation des fonctions support reposent sur une hypothèse théorique selon laquelle les fonctions support sont totalement interchangeables. Or, toutes les études ont montré que ces fonctions n’existent pas stricto sensu mais sont adaptées et adossées à des objets spécifiques relevant des métiers et environnements juridiques qu’elles gèrent.
Si des économies d’échelle sont peu envisageables tellement les services sont sous-dotés (Cf Rapport), imposer de nouveaux organigrammes et de nouveaux modes d’organisation, en mode « mille-feuille administratif » sous la gouvernance d’une superstructure, entrainera non seulement un éloignement des services gestionnaires des réalités de travail des agents, mais également des risques de foires d’empoigne entre les directeurs et les chefs de services qui seront fusionnés. Il s’ensuivra une dégradation des conditions de travail de tous les personnels. La centralisation de la décision au sein d’une gouvernance unique et éloignée du terrain cassera la dynamique de site dans la mise en œuvre de dispositifs aujourd’hui opérationnels comme l’éducation artistique et culturelle.
Ce dont les établissements ont besoin, ce sont des renforts d’effectifs dans les services mais pas de nouveaux échelons de validation hiérarchique !
Vous ajoutez vouloir créer des services supplémentaires dédiés à la gestion des droits d’auteur et des droits dérivés etc. Mais avec quels moyens dans un contexte d’annulation de crédits déjà actées et celles à venir ?
Monsieur le Président, et cette question n’est pas des moindre, il s’agit par-delà les dossiers de presse de donner un certain nombre de garanties aux agents quant à l’exercice de leurs missions de service public.
Premièrement, s’il s’agit bien d’une restructuration de deux EP, vous conviendrez que cela entraine un budget et une comptabilité unique. Or, la construction du budget du Mobilier national et de la Cité de la céramique n’ont rien à voir. D’un côté un établissement qui ne peut survivre que sous subvention pour charge de service public en raison de son activité (la construction laborieuse du dernier budget du Mobilier national en témoigne), de l’autre un établissement qui ne peut exister sans une ligne de production, et donc de commande publique, opérationnelle.
Ensuite il s’agirait de fusionner deux établissements dont les collections n’ont ni la même finalité, ni le même statut patrimonial. S’agirait-il dès lors sous prétexte de simplification et d’agilité, de toucher au code du patrimoine, de le rendre plus souple en terme de politique de dépôt, d’achat et de cession pour satisfaire aux exigences de quelques mécènes ? C’est le chemin que semble indiquer la commission de contrôle… elle trouvera face à elle les organisations syndicales sur ce sujet. D’autre part, la Cité de la Céramique a, par délégation, la garde de collections nationales. Nos organisations ont toujours revendiqué, comme un gage légal, la tutelle sur ces collections du Service des Musées de France.
Plus largement, l’enjeu démocratique de la présentation aux citoyens des collections nationales oblige l’administration du Ministère de la Culture à la constitution et à la préservation des grands départements des collections nationales. Qu’en est-il de la coopération avec deux des grands départements de conservation du Louvre : « objets d’art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes » et « arts graphiques » ? De même, quel projet ambitieux de valorisation de ces collections auprès du public ? De cela il n’en est jamais question dans les maigres textes qui nous ont été proposés à la lecture.
Enfin, un volet conséquent de votre projet porte sur l’accolement du mot design à celui de métier d’art. Ce n’est pas pour rien que le Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, est impliqué dans la Stratégie nationale en faveur des métiers d’art. Sachez Monsieur le Président, que les remontées des artisans avec qui le Mobilier national travaille faute de pouvoir à lui seul absorber la charge de travail de restauration… sachez que ces retours sont extrêmement inquiétants et devraient vous alerter. Tous déplorent la mainmise de l’industrie du luxe sur les métiers d’art. Tous déplorent des annonces séduisantes et une emprise toujours plus grande des puissances d’argent se servant de leurs talents pour valoriser une industrie, certes de haut de gamme, mais une industrie et non un artisanat. Et cette orientation pénètre et bouscule jusque dans le fleuron de nos Manufactures que sont l’Atelier de Recherche et de Création (ARC) et la Manufacture de Sèvres.
Pour conclure notre intervention, nous souhaitons aborder toutes les questions pratiques, budgétaires, d’organisations et de droits sociaux de nature à donner les garanties aux personnels et à leurs représentants. Les deux EP ont certes des histoires parallèles ; ces histoires ont créé au fil du temps des organisations de travail et des environnements juridiques distincts et inconciliables.
Nous réitérons la demande de transmission des compte rendus des GT suivants : manufactures et création, musées et collections, développement et rayonnement, administration et fonctions supports.
Pour toutes ces raisons, la CGT considère que la voie la plus raisonnable consiste à maintenir les deux EP dans leur situation actuelle et à privilégier la solution d’EP associés. Des projets et des ambitions communes pourront être portés à travers des conventionnements entre les deux EP et, le cas échéant, d’autres partenaires comme c’est aujourd’hui le cas de la Recherche Appliquée faisant l’objet d’une convention tripartite entre le Mobilier national, la Cité de la céramique et la Fondation Bettencourt Schueller. C’est bien la preuve qu’il est possible d’envisager de nouvelles formes de coopération sans s’engager dans une restructuration avec son cortège de textes, de déménagements, de risques socio-organisationnels et professionnels. De ce point de vue, l’organisation d’une formation spécialisée commune aux deux EP sera une étape indispensable notamment pour y examiner l’étude d’impact.
Paris, le 20 mars 2024
CSA commun Mobilier nat. et Cité céramique – déclaration Cgt-culture 20-03-2024