Déclaration unitaire au Comité Technique Ministériel du 4 juillet 2022

 Madame la Ministre,

Qu’il nous soit permis tout d’abord de vous souhaiter la bienvenue au ministère de la Culture. Vous incarnez désormais la première des responsabilités à la tête d’un ministère qui puise sa puissance d’agir et sa légitimité dans le travail et l’expertise remarquables des personnels et leur engagement sans faille pour la qualité et la réussite des politiques publiques.

Vous prenez cette responsabilité dans un contexte particulièrement compliqué. Alors que la guerre fait rage au cœur de l’Europe, menaçant dangereusement la paix et la sécurité internationales, la crise sanitaire se poursuit et la crise climatique est devenue une préoccupation mondiale. Notre pays, comme tant d’autres, est confronté à des difficultés économiques et sociales majeures. Il traverse également une crise politique et démocratique inédite comme en témoignent les chiffres record de l’abstention aux dernières élections et les résultats de l’extrême droite.

Le président de la République venu célébrer les 60 ans du ministère de la culture à l’été 2019 n’hésita pas à inviter notre ministère à « inventer quelque chose de neuf pour s’inscrire pleinement dans une ambition de transformation, de justice et d’émancipation ».

Nul ne doute, en tous cas pas ici, que la culture est l’une des réponses essentielles aux défis du moment. Le ministère que vous dirigez désormais est parfaitement à la hauteur de cette exigence. Toutes les compétences sont là, prêtes à penser et à enclencher dans le débat et la participation la plus large le changement de logiciel nécessaire.

Paradoxalement, alors que l’horizon s’obscurcit, une opportunité exceptionnelle nous est donnée de rebâtir un autre ministère, un ministère autrement, à l’écoute de la société et de ses mutations, un service public tourné pleinement vers les usagers, vers les territoires, vers la population dans toutes ses composantes, dans toutes ses différences et ses potentialités inouïes. La tâche est immense, Madame la Ministre, mais parfaitement exaltante. Et si donc vous êtes venue pour cela, les agents répondront présent et leurs représentants également.

Ce lundi 4 juillet, vous découvrez le comité technique ministériel (CTM) que vous présidez pour la première fois. Nous vous remercions d’être présente aujourd’hui et nous vous invitons solennellement à assurer personnellement cette présidence le plus régulièrement possible, non pas par formalisme mais bien parce que le CTM – appelé à devenir bientôt un comité social d’administration – est le lieu où vous pouvez entendre tous les agents du ministère par la voix de leurs représentants.

Dans cette instance, ces élus, qui font vivre la démocratie sociale, parlent au nom de tous les personnels, de leurs missions, de la réalité de leur travail, de leurs nombreux métiers, de leurs attentes et de leurs besoins.

Or il nous faut lancer une alerte fort et clair sur la détérioration considérable du dialogue social qui confine objectivement à une remise en cause des droits des agents. Jamais auparavant comme lors de ces cinq dernières années, un cabinet ministériel n’a autant tenu à l’écart les organisations syndicales représentatives et les représentants des personnels. Jamais assurément le dialogue social, malgré tous nos efforts et nos appels à la raison, n’a été aussi malmené.

Prendre ce problème à la légère ou en faire peu de cas reviendrait à jouer avec le feu. La situation de notre pays et l’état de nos institutions sont, nous le savons toutes et tous, étroitement liés à un niveau de colère et de ressentiment qui déborde. Cette situation nous oblige toutes et tous, au ministère comme ailleurs, à tous les échelons de la société.

Vous êtes donc attendue, Madame la Ministre, sur le terrain de la restauration du dialogue social, et il n’est pas question en l’occurrence d’une vaine polémique mais de notre capacité commune et de notre volonté de faire ministère, avec pour boussole partagée la justice sociale et l’égalité de traitement des agents partout où ils se trouvent dans ce ministère, à Paris comme en régions, en administration centrale comme dans les services déconcentrés, dans les services comme dans les établissements publics.

Il y a véritablement urgence à imprimer un virage à 180 degrés en matière de dialogue social. Cela passe certainement par la construction d’une culture de la négociation. Mais d’abord et avant tout cela relève de votre implication et de votre responsabilité et de celle de votre cabinet. Entendez bien que vos prédécesseurs, en renvoyant systématiquement toutes les questions à l’administration, ont considérablement abîmé la démocratie et érodé la confiance indispensable au progrès social.

Voilà un mois et demi que vous êtes arrivée rue de Valois et nous ne connaissons toujours rien de vos intentions s’agissant de l’agenda social dont le compteur est aujourd’hui bloqué. Certes, constituer une équipe prend un peu de temps, mais en attendant les sujets sociaux s’empilent et les agents attendent.

Pour notre part, à partir des responsabilités qui sont les nôtres, de notre connaissance du terrain, et de la confiance que nous accordent les personnels, nous nous devons de vous présenter leurs revendications prioritaires.

Dans la dernière période, de ce côté de la table, nous avons beaucoup parlé d’urgence sociale, mais il faudrait mettre la formule au pluriel.

Il y a d’abord une urgence salariale, une urgence sur le pouvoir d’achat des personnels et sur leur capacité à vivre dignement de leur travail au service de l’État. Vos prédécesseurs avaient fini par se ranger à ce constat incontestable : ce ministère est un ministère pauvre. Si les choses ont quelque peu bougé sur le versant indemnitaire, la question des grilles salariales, avec ce que cela comporte de conséquences graves sur le niveau des pensions de retraite, reste entière.

Il y a indéniablement aussi une urgence sur l’emploi, sur le statut des personnels, sur la progression de la précarité sous toutes ses formes, sur la montée en puissance de la déréglementation du travail et de l’externalisation de nos missions. Chacun sait bien, sauf à nier l’évidence, que l’absence de concours ou leur raréfaction participe à l’asséchement de l’emploi statutaire au bénéfice d’une contractualisation de l’emploi qui fragilise à terme l’exercice même du service public.

Ce ministère qui souffre donc d’une crise salariale, d’une crise de l’emploi et d’une crise statutaire, souffre également, et ce n’est pas une mince affaire, d’une crise du travail. En dépit d’un attachement profond des personnels à leurs missions, c’est le sens même du travail, en ce qu’il a d’essentiel dans nos vies, qui est affecté. On a pu dire que notre époque souffrait d’une fatigue démocratique, on devrait dire aussi qu’elle est marquée par une crise du travail, certainement sans précédent.

Celle-ci n’épargne pas notre ministère, malheureusement, et vous devriez vous en préoccuper avant que les collectifs de travail ne se délitent un peu plus et que la santé des agents n’en subisse l’impact immédiat.

Nous ne pouvons pas ne pas évoquer non plus le sort inacceptable réservé à nos métiers, pourtant si précieux. Ce ministère est un tissu fragile de compétences rares, c’est aussi un conservatoire des métiers. Ce sont ainsi des filières entières qui sont expressément menacées faute d’anticipation, de transmission. Voilà bien, encore, une autre urgence et non des moindres car c’est le substrat du service public de la culture qui est en jeu, et donc son devenir qui en dépend.

Il est impossible d’être exhaustifs ici ce matin tant les sujets sont nombreux et complexes mais il vous faudra également prendre à bras-le-corps la question de l’égalité femmes-hommes. Car si nous avons avancé dans le bon sens, beaucoup reste encore à faire dans ce domaine.

Retenez aussi, Madame la Ministre, que le ministère que vous dirigez désormais sort d’une longue séquence où la division du travail a fait énormément de dégâts. Les ruptures d’égalité de traitement des personnels placés sous votre responsabilité et votre tutelle sont patentes. Leur caractère polymorphe sépare les agents et les isole trop souvent. Non seulement cette gestion managériale et sociale fragmentée n’a pas amélioré les conditions de travail et d’emploi des agents, loin s’en faut, mais elle a dressé des barrières supplémentaires entre nous. Cette dérive que nous avons combattue de toutes nos forces finit par menacer la cohésion et l’unité de notre ministère.

S’il n’y avait qu’un seul cap à suivre, il se résumerait sûrement dans l’idée d’une unité et d’une communauté retrouvée de droits et de valeurs au service de toute la population.

Ce ministère parfois décrié mais toujours convoité a vu beaucoup de femmes et d’hommes se succéder à sa tête. Comme chaque fois qu’une ou qu’un nouveau ministre prend ses fonctions, les interrogations sont nombreuses, les revendications s’expriment et c’est bien normal.

Vous êtes la huitième ministre de la culture depuis dix ans. Mais cette réalité ne peut seule excuser la faiblesse voire l’absence de cap, l’absence de politique culturelle structurante. Cette absence de ligne a pour conséquence une faiblesse de programmation en moyen et long termes, y compris en ce qui concerne les moyens humains, les métiers, les carrières, mais aussi dans la définition des missions des services et de l’exercice de la tutelle sur les établissements. Cette absence de ligne politique a abouti à un ministère de plus en plus gestionnaire, dont le pouvoir d’impulsion s’est incontestablement émoussé.

Reste que cette fois, la situation est différente, pour ne pas dire inédite. Il y a, énormément de travail pour redresser ce ministère et le préparer à affronter les mutations en cours et les crises de demain. Si la question démocratique est centrale aujourd’hui, et c’est le cas sans aucun doute, elle nous oblige à réunir toutes nos forces pour enfin changer de paradigme et imaginer des politiques culturelles élaborées avec et pour la population, des politiques publiques ancrées dans la réalité des territoires et s’inscrivant dans l’ambition réaffirmée d’une démocratie culturelle.

L’ambition sociale des représentants des personnels pour les agents est intacte. Elle est même plus forte que jamais. Il y va de même s’agissant des politiques publiques dont seul notre ministère peut réellement garantir l’accès et l’appropriation la plus large, sans exclusive ni discrimination.

La question sociale, les politiques de contenus, les orientations stratégiques et les missions qui en découlent forment un tout. Croyez-bien que nous sommes résolus à travailler sur tous les sujets sans perdre de vue leur articulation.

Mais, naturellement, nous sommes impatients, Madame la Ministre, de savoir ce qui fonde votre ambition pour ce ministère et les axes majeurs et structurants de votre projet.

Paris, le 4 juillet 2022

Cgt-culture ()