UNE COMMANDE SOUDAINE ET ILLÉGITIME
Le 12 juillet, alors démissionnaire et en charge des affaires courantes, la ministre de la Culture a chargé le secrétaire général de réorganiser l’administration centrale, en visant explicitement l’enseignement supérieur et la recherche culture (voir lettre de mission en PJ et notre communiqué du 25 juillet). Cette mission, soi-disant justifiée par un « éclatement » et des « coûts de coordination », ne repose sur aucun diagnostic. Le secrétaire général a en effet toujours refusé de dresser un bilan de l’Organisation de l’administration centrale (OAC) mise en place en janvier 2021, malgré les nombreuses demandes des représentants du personnel.
UNE ERREUR STRATÉGIQUE ET DE VÉRITABLES RISQUES
Sur le fond, ce projet remet complètement en cause le point d’équilibre, probablement encore perfectible, entre les prérogatives de la délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle (DG2TDC) et celles des directions métiers concernées : la direction générale de la création artistique (DGCA) et la direction générale du patrimoine et de l’architecture (DGPA), qui conservent à juste titre leurs attributions en termes d’enseignement supérieur et de recheche en raison de leurs liens avec les professionnels de leurs secteurs. Près de 100 écoles formant aux métiers de l’architecture, du patrimoine, des arts plastiques, du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel sont ainsi sous la tutelle du ministère.
- La sous-direction de la formation et de la recherche de la DG2TDC élabore et coordonne la stratégie ministérielle en matière d’enseignement supérieur et de recherche en lien avec les services des directions métiers: vie étudiante, évaluation des parcours et de l’insertion professionnelle, définition de la stratégie relative à la formation professionnelle et continue, pilotage et secrétariat du CNESERAC, définition de la stratégie pluriannuelle financière et immobilière des établissements d’ESC, participation à l’analyse des modèles économiques de ces établissements, portage des positions du ministère auprès du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI), coordination de la stratégie ministérielle de recherche.
- La DGPA exerce la tutelle pédagogique et budgétaire des 20 – bientôt 21 – écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA), de l’école de Chaillot, de l’école du Louvre (EDL), de l’institut national du patrimoine (INP).
- La DGCA exerce la tutelle pédagogique et budgétaire des 10 écoles nationales supérieures d’art (ENSART), des conservatoires nationaux supérieurs de musique et danse de Paris et Lyon (CNSMDP et CNSMDL), du conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) et la tutelle pédagogique des 75 établissements d’enseignement supérieur territoriaux en matière d’arts visuels et de spectacle vivant.
- Le CNC exerce la tutelle pédagogique et budgétaire de l’école nationale supérieure des métiers de l’image et du son (Femis) et de l’institut national de l’audiovisuel (INA).
À titre d’illustration, le rattachement de l’ordre des architectes à la tutelle du ministère – tutelle assurée par la DGPA en son service de l’architecture – affirme cette nécessaire complémentarité entre formation initiale et exercice d’une profession règlementée (présence des membres de l’ordre dans les conseils d’administration, à la direction d’écoles, jurys d’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre).
Dans le domaine des arts et du spectacle vivant notamment, l’articulation entre la formation des écoles et la pratique professionnelle des artistes doit être maintenue et améliorée dans la perspective d’une réussite professionnelle dans des champs disciplinaires souvent complexes.
Cette spécificité propre à notre ministère assure la cohérence des différents enseignements supérieurs Culture (parcours scolaire, diplômes, insertion professionnelle, suivi de l’évolution des secteurs professionnels). Disons-le sans détour : revenir sur ces équilibres reviendrait à dire que l’OAC conduite sous la houlette du même secrétaire général en 2020 était totalement à côté la plaque !
UNE INDIFFÉRENCE AUX BESOINS RÉELS
Dans les établissements nationaux d’enseignement supérieur et de recherche culture
Pour mémoire, les écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA) ont connu en 2023 une mobilisation massive. En bloquant les écoles, les étudiant.es dénoncèrent l’absence de dialogue social. Ce mouvement révéla au grand jour le manque criant de moyens, la précarisation des agent.es, l’obligation faite aux écoles de rechercher des fonds issus du secteur privé ou des collectivités territoriales déjà exsangues. Tous les acteur.ices de la profession ont pris conscience de l’urgence de faire évoluer leur métier, du besoin de repenser les enseignements professionnels et la recherche à l’aune notamment du bouleversement climatique. Le nécessaire pilotage de cette transition par la puissance publique rend primordial le maintien d’une liaison forte entre métier et enseignement/recherche au sein du ministère de la Culture.
De leur côté, les écoles nationales supérieures d’art (ENSART) sont toujours en attente d’une instance représentative des personnels commune aux Écoles nationales d’art (CSA des ENSART), dont l’absence aggrave la balkanisation des écoles et l’hétérogénéité des conditions de travail d’un établissement à l’autre. En outre, la rémunération des enseignant.es titulaires des écoles nationales d’art (PEN) et contractuel.les n’est toujours pas à la hauteur de l’engagement exigé des personnels et, comparativement, de celle constatée dans les autres établissements d’enseignement secondaire et supérieur. La refonte du statut des enseignant.es et la reconnaissance de leur activité de recherche se font toujours attendre, tandis que le projet de réécriture de l’arrêté du 16 juillet 2013 portant organisation de l’enseignement supérieur d’arts plastiques, conduit sans aucune concertation avec les personnels, modifierait l’équilibre des cycles d’études et introduirait l’alternance dans l’enseignement supérieur des arts plastiques et du design !
Du côté des conservatoires supérieurs nationaux de musique et danse de Paris et Lyon (CNSMDP et CNSMDL), les personnels enseignants se sont récemment mobilisés pour l’amélioration de leurs conditions d’emploi et de leurs salaires, attendue depuis 15 ans, le ministère n’ayant jamais publié l’arrêté devant définir les fonctions, les modes de recrutement et les rémunérations de ces personnels à la suite de la publication du décret de 2009 portant statut de ces conservatoires. Des négociations sont actuellement en cours pour les accompagnateur.ices et assistant.es. Par ailleurs, la politique de recrutement est très opaque : bon nombre d’enseignant.es ayant des contrats précaires, notamment en raison de l’absence d’un cadre d’emploi. Au conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD), c’est la mise à jour de la grille des emplois et de la grille des rémunérations qui est en suspens depuis plus de 2 ans, tandis qu’un fonctionnement en bi-site doit débuter à la rentrée scolaire 2025. Cette nouvelle organisation du travail s’annonce extrêmement compliquée compte tenu notamment du manque de personnel (seuls 3 ETP supplémentaires seraient accordés). Sans compter que des travaux devront être engagés sur le site historique à l’ouverture du 2e site.
À l’institut national du patrimoine (INP), des travaux sont en cours pour sortir de la précarité les enseignant.es et les chef.fes d’ateliers pour la restauration du patrimoine. À l’école du Louvre (EDL) se pose la question de la précarité et de l’éloignement du corps pédagogique des chargé.es de travaux dirigés devant les œuvres (TDO) qui sont recruté.es à la « vacation pédagogique » sur lettre de commande !
En plus de la nécessité impérieuse d’avoir davantage de moyens humains et budgétaires au sein des établissements d’ESC, les priorités majeures sont bien la revalorisation salariale, l’évolution statutaire des personnels titulaires et contractuels/vacataires, et la déprécarisation de ces dernièr.es qui ne cessent d’enchaîner des contrats courts sur des besoins permanents ouvrant pourtant droit à des CDI.
Et la recherche dans tout ça ?
Au-delà des établissements d’enseignement supérieur, la recherche se déploie dans tous les champs disciplinaires et dans de très nombreuses structures ou services du ministère, comme dans les musées nationaux, à l’INHA, l’AFR, l’INRAP, au CNAP, au LRMH, au C2RMF, au CNC, etc.
Le ministère de la culture est ainsi pleinement un ministère de recherche : des enjeux fondamentaux pour l’avenir dont la ministre fait pourtant très peu de cas dans cette fameuse lettre de mission au secrétaire général…
Vers une perte de cohérence et un affaiblissement des missions de la DG2TDC
La DG2TDC, créée dans le cadre de l’OAC après des débats sur la nécessité pour le ministère d’œuvrer en faveur de la démocratie culturelle et « la participation et […] l’accès de tous les habitants à la vie culturelle, dans le respect des droits culturels », a été conçue comme une entité cohérente, travaillant transversalement avec de nombreux acteurs (directions générales, Drac, ministères, collectivités, associations, etc.). Si elle devenait une direction « aux compétences élargies » en ESC et recherche, et en réalité majoritairement consacrée à ces enjeux, cela affaiblirait ses missions initiales de promotion des pratiques et droits culturels, de développement des politiques culturelles territoriales, d’élaboration des politiques ministérielles en matière d’éducation artistique et culturelle, d’accessibilité et de handicap, de diffusion de la culture scientifique et technique, etc.
DE SÉRIEUX ÉCUEILS MÉTHODOLOGIQUES
Qu’en est-il de la concertation avec les principaux concernés, comme les personnels de l’administration centrale, celles et ceux des établissements d’enseignement supérieur culture, les conseillers Drac et leurs représentant.es ? Aucun échange n’a eu lieu avec les personnels ou syndicats. Nous savons pourtant où nous conduisent les réformes autoritaires et brutales.
Un véritable bilan de l’enseignement supérieur culture et de la recherche, ainsi qu’une étude d’impact rigoureuse basée sur un projet objectif et sérieux, sont essentiels. Le calendrier « flash » fixé par la ministre (rapport pour fin octobre, mise en œuvre début 2025) rend ce travail impossible. Et ce d’autant plus que la réflexion en chambre du secrétaire général a commencé pendant la fermeture estivale des établissements pour s’achever en pleine période de rentrée toujours très chargée.
Tout ceci témoigne une fois encore d’un manque total de considération pour les personnels!
Par ailleurs, cette réorganisation précipitée viendra percuter et remettre en cause ce qui avance timidement en matière d’enseignement et de recherche, tels que les efforts entrepris par le service de l’architecture pour mettre progressivement en place une nouvelle organisation et tenter d’améliorer les coopérations de travail entre ses deux sous-directions.
Est-ce là, madame la Ministre, la réponse que vous apportez aux attentes de nos étudiant.es, des personnels de nos établissements d’ESC et d’administration centrale ? Cette réorganisation faite à la hussarde ne cache-t-elle pas la volonté inavouable de faire des « économies d’échelle » et de se conformer en vérité à la cure d’austérité budgétaire imposée par le Premier ministre et son gouvernement ?!
Nous exigeons par conséquent l’arrêt immédiat de cette « nouvelle fausse bonne idée »
Pour comprendre les enjeux, vous tenir informé.es et faire savoir à la ministre que votre avis compte, la CGT-Culture et ses syndicats vous invitent à
UNE HEURE MENSUELLE D’INFORMATION
pour les personnels de l’administration centrale,
des établissements d’enseignement supérieur et de recherche Culture,
des DRAC et toutes personnes intéressées par cette réorganisation
MARDI 8 OCTOBRE A 13H
en salle Viollet-le-Duc au ministère et en visio conférence
Paris le 3 octobre 2024
STOP au projet brutal de reorg de l’ESCR HMI nationale le 8 oct 2024