Fiche 25 : Service public de l’archéologie préventive

4 janvier 2024 - par CGT-Culture

Texte d’orientation du XIIIe congrès de la CGT-Culture – novembre 2023

20 ans après la réforme de la loi de 2003, ouvrant les opérations de fouille archéologique préventives aux opérateurs privés, force est de constater que l’économie globale du secteur, tous opérateurs confondus, est plus que précaire et ne tient, dans la grande majorité des cas, qu’au versement du crédit impôt recherche à ces mêmes acteurs. Cette instabilité favorisée par une guerre des prix contribue à la précarisation des personnels, inévitable variable d’ajustement des politiques désormais commerciales, au détriment des conditions de travail et des missions scientifiques. Les attaques juridiques répétées de certains opérateurs privés d’archéologie préventive, contre l’établissement public national, témoignent d’une stratégie consistant à exclure l’Inrap du champ des fouilles. On observe une instabilité généralisée du secteur de l’archéologie préventive soumis, dans le contexte concurrentiel, à une forte rétraction liée à la fin des politiques de grands travaux.

La Loi LCAP de 2016 qui a renforcé le contrôle scientifique et technique de l’État, sans lui rendre la maîtrise d’ouvrage, n’a pas corrigé un dispositif dont plus personne ne semble contester la légitimité et l’existence.

Sous l’effet de l’évolution des politiques d’aménagement (fin de l’hyper consommation des terres agricoles), l’activité se concentre désormais sur la réhabilitation des centres urbains où les surfaces réduites difficilement accessibles et fréquemment polluées renforcent les enjeux d’hygiène et sécurité pour les personnels.

La structure de l’emploi de l’Inrap tend à s’inspirer de celles des opérateurs privés. Le recrutement en CDI ne se fait plus que sur des profils très diplômés et de responsables d’opération. Les techniciens, eux, ne sont plus embauchés qu’en CDD ou presque. Cette dynamique discriminatoire nuit à la diversité sociologique des métiers de l’archéologie et empêche toute progression de carrière en lien avec une montée progressive en compétence.

Les dispositions de la loi LCAP créent des missions supplémentaires (renforcement du contrôle scientifique, examen des offres, notamment) sans que ces services se voient renforcés. La réforme territoriale a multiplié les échelons et augmenté les distances, compliquant considérablement le fonctionnement des services. À ces difficultés s’ajoutent la spécialisation des sites par pôles (Création,  Patrimoines,  Démocratisation  culturelle  et Industries culturelles) et le regroupement des services métiers au sein de ces nouvelles entités.

À l’Inrap comme dans les SRA, la population des archéologues a vieilli. La première génération d’archéologues professionnels préventifs est en train de partir à la retraite, sans qu’aucune mesure anticipée n’ait été prise pour prévenir les départs massifs qui s’amorcent déjà et connaitront leur acmé dans les années 2030. Les campagnes de recrutement des années 2020 ne suffiront pas à endiguer le problème de transition générationnelle et de transmission des compétences. Par ailleurs, venant se superposer à cette situation, semble poindre la question d’un « fléchissement » de l’attractivité de la discipline et du métier d’archéologue, pouvant à terme mettre à mal la pérennité des missions tant à l’Inrap que dans les services régionaux de l’archéologie. Dans les SRA, un seul concours de recrutement d’ingénieurs (IE et IR) a été mis en place entre 2017 et 2023 (2023). 800 départs sont prévus à l’Inrap entre 2023 et 2032. Ces politiques obèrent les possibilités de transmission des connaissances et compétences acquises et tendent également à effacer une culture des métiers de l’archéologie et l’historique des luttes qui leur est propre.

DÉFENDRE LE RÔLE ESSENTIEL DES SERVICES PUBLICS

Les témoins matériels de l’activité des sociétés anciennes, reflets de l’histoire de l’humanité, sont des biens communs universels et inaliénables. Ils sont constitués d’une source limitée d’éléments non renouvelables qui appartiennent à toute l’humanité. La protection de ce patrimoine ne peut tomber aux mains d’intérêts privés ; le service public en est le garant au nom du peuple et veille à cette indépendance face aux intérêts économiques et politiques. Le dispositif actuel ne tient qu’à la condition du maintien en bonne santé (moyens humains d’abord) des services publics qui soutiennent toute la chaîne opératoire (instruction‐prescription‐ diagnostic). Les services régionaux de l’archéologie doivent avoir les moyens de réaliser l’instruction des dossiers d’aménagement et prescrire les opérations nécessaires à la sauvegarde anticipée du patrimoine archéologique. L’Inrap doit avoir les moyens de réaliser, avant même les fouilles, les diagnostics permettant de caractériser les sites et d’ orienter les choix des SRA. Ces missions de service public doivent être soutenues à la hauteur des besoins financiers et humains.

De ces principes découlent nos grands axes revendicatifs :

  • Abrogation de la loi 2003 pour un retour à une archéologie  100 %  publique  et  une  maîtrise d’ouvrage 100 % d’État
  • Lutter contre une gestion comptable de l’archéologie et remettre l’intérêt scientifique au centre des préoccupations ; l’intérêt scientifique doit primer sur « l’aménagement du territoire » et les intérêts financiers
  • Pour le bon fonctionnement de la recherche : indépendance totale des instances scientifiques, ce qui passe par des membres élus et non désignés par le fait du prince
  • Continuer à lutter contre la marchandisation de l’archéologie préventive

Le maintien d’une archéologie de service public forte impose une réforme en profondeur des relations entre les services publics de l’État dont la mission est l’archéologie préventive (SRA, Inrap, Drassm…).

La CGT revendique de redonner aux services régionaux de l’archéologie, les moyens d’animer et de coordonner la recherche publique, de favoriser les logiques de coopération et de complémentarité, en lieu et place d’une chaîne opératoire cloisonnée et d’une concurrence exacerbée. La CGT veille à porter une articulation raisonnée des missions et compétences entre les différents services publics de l’archéologie.

Elle revendique un retour aux fondamentaux d’une recherche archéologique une et indivisible au profit de l’intérêt scientifique et de la sauvegarde du patrimoine archéologique.

L’obligation de détection et de sauvegarde du patrimoine archéologique doit être assortie d’un mode de financement public, pérenne, d’un volume suffisant pour couvrir décemment l’ensemble des missions (diagnostics, recherche, conservation et étude des biens archéologiques mobiliers). La part de la taxe d’archéologie préventive en 2023 affectée à l’archéologie préventive demeure insuffisante La CGT se bat pour que les moyens donnés correspondent aux besoins réels et que les modes de financement stables et pérennes, permettent de sortir des politiques de réabondements épisodiques favorisant les tensions sociales, économiques et scientifiques.

Les besoins permanents dans les services régionaux de l’archéologie et à l’Inrap doivent être pourvus par des emplois statutaires. Compte tenu de la pyramide des âges et du défi que représentent la transition générationnelle et la transmission des compétences, il est urgent de recruter. Ce constat est établi dans un contexte de forte activité opérationnelle continue depuis 2019. Il faut aussi noter que les conditions de travail et des manières d’emploi dégradées provoquent un phénomène nouveau ces dernières décennies : celui de démissions nombreuses et d’un désengagement des métiers de l’archéologie par des professionnels chevronnés et désormais, par de jeunes archéologues. Pour la CGT, il faut des plans de recrutement annuels incluant des processus de déprécarisation  afin  de  compenser  les  départs  et  de transmettre les savoirs et les savoir‐faire. Ces recrutements doivent s’appuyer sur une reconnaissance des missions réelles exercées par les agents et de leurs métiers.

À l’Inrap, la CGT doit lutter pour obtenir une politique d’évolution de carrière et de mobilité au sein du service public. Nous devons continuer à nous battre contre les manières d’emploi indignes des agents CDD, devenus variable d’ajustement précarisée du secteur concurrentiel. Le droit des agents précaires doit être respecté notamment en matière d’indemnisation du chômage. Par ailleurs, une prime de précarité de 15 % doit être instaurée. Les droits des précaires doivent être scrupuleusement respectés, des droits spécifiques doivent permettre le remboursement systématique des frais engagés dans le cadre des missions et des déplacements. L’ancienneté doit être un critère prioritaire de recrutement des CDD et de promotion des CDI.

Après l’obtention et la mise en œuvre d’une revalorisation des rémunérations des agents (indiciaires et indemnitaires) pour la triennale 2022‐2024, la CGT doit prolonger les négociations et ouvrir le chantier d’une revalorisation pluriannuelle permettant le rattrapage complet des écarts observés avec les corps de recherche équivalents du ministère. Au‐delà d’une nécessaire augmentation générale de tous les salaires par l’augmentation du point d’indice, l’action sociale doit être renforcée, notamment en matière de logement.

Quelles que soient les améliorations des conditions de travail, l’exercice de l’archéologie préventive gardera un fort caractère de pénibilité. Celle‐ci doit être reconnue et ouvrir des droits à départ anticipé à la retraite.

La protection du patrimoine archéologique repose notamment sur une politique de zonage archéologique ; elle est impulsée et évaluée par la sous‐direction de l’archéologie et mise en œuvre au niveau déconcentré par les directions régionales des affaires culturelles.

Le classement des sites archéologiques sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO fait l’objet d’une attention renforcée de la sous‐direction de l’archéologie qui assure le suivi de l’instruction de ces dossiers et vient en appui des services déconcentrés. L’acquisition foncière doit être encouragée pour une meilleure protection de ces sites.

La sous‐direction de l’archéologie doit être la tête de réseau du service public de l’archéologie pour concevoir et porter des politiques du patrimoine archéologique avec les acteurs publics du réseau. Elle coordonne ces politiques en garantissant l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire. Elle conçoit aussi les politiques de développement des métiers et de l’emploi de l’archéologie, suit leur évolution, les anticipe, élabore le plan de formation ministériel à destination des professionnels du secteur public. Elle est chargée de l’évaluation de ces politiques. Elle assure la tutelle sur l’Inrap et veille au respect de son modèle économique. Elle lutte contre le dumping social et scientifique et agit contre la dispersion des données archéologiques.

L’archéologie est une science avec un volet participatif très fort au sein de la population. La sous‐direction de l’archéologie, avec tous les acteurs publics du réseau, doit impulser et évaluer une politique encourageant la participation des amateurs en lien avec les professionnels du secteur afin de mieux partager le recensement des sites, leur protection et leur connaissance.

La valorisation et le « porté à connaissance » des données scientifiques font partie des missions de service public. Les acteurs participent en ce sens à la plus large diffusion des résultats notamment par une mise en ligne numérique des données  accessibles  sur  les  serveurs  publics  de  type « données ouvertes ». La sous‐direction de l’archéologie doit assurer un pilotage raisonné de la mise en place de ces outils et assurer qu’elle respecte les temps et les processus nécessaires à la recherche et aux chercheurs.