Texte d’orientation du XIIIe congrès de la CGT-Culture – novembre 2023
Les usages d’une langue, qu’elle soit française ou de France, politisent et orientent, dans une relation dialectique, les personnes qui partagent une même pratique linguistique.
La langue combine un potentiel de domination à une faculté d’émancipation. Quand la norme opprime et sert à discriminer, dans le même mouvement, la philosophie et la poésie ouvrent à l’humanité des horizons de liberté et d’autonomie. Pour ces raisons, la langue constitue un enjeu de premier plan pour les responsables politiques.
Les actions du gouvernement actuel concernent la francophonie, mais aussi la promotion du plurilinguisme.
La langue est primordiale aussi dans le monde du travail :
« Parce que les langues sont au cœur des relations de travail, nous estimons qu’il faut penser la question des langues du travail et du plurilinguisme dans l’entreprise à l’aune des conditions de travail, l’hygiène et la sécurité. Dans sa responsabilité d’acteur social, l’entreprise doit être un pilier de la lutte contre l’illettrisme. L’attention à l’égard des travailleurs allophones doit être totale. »1
Le rôle confié au ministère de la Culture est modeste par rapport aux autres institutions qui mènent des politiques linguistiques. Sans entrer dans le détail, il faut en particulier citer l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), l’Académie française, le ministère de l’Éducation nationale pour toutes les questions d’enseignement à l’intérieur des frontières, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) pour toutes les actions menées à l’étranger…
De plus, au sein du ministère de la Culture, quatre acteurs au moins cohabitent avec la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) :
- L’Institut français, EPIC en cotutelle avec le MEAE (dont la subvention est vingt fois plus importante que celle de la Culture…) avec notamment ses Alliances françaises
- Les SCN du périmètre du Service interministériel des archives de France qui conservent les archives des politiques publiques linguistiques
- Le Musée d’histoire de l’immigration, EPA qui conserve la mémoire des populations étrangères installées en France et en particulier celle de leurs spécificités linguistiques
- La très récente Cité de la francophonie, hébergée au sein du château de Villers‐Cotterêts et dont la gestion est confiée au Centre des monuments nationaux
Cette configuration d’une complexité particulière ne permet pas de mener à bien des politiques publiques linguistiques cohérentes et pénalise leur lisibilité autant que leur efficacité.
Missions et organisation
La DGLFLF est chargée d’animer et de coordonner la politique linguistique de l’État, en l’orientant dans un sens favorable au maintien de la cohésion sociale et à la prise en compte de la diversité de notre société.
Service à vocation interministérielle rattaché au ministère de la Culture, la DGLFLF mobilise pour son action un ensemble de partenaires impliqués dans la promotion du français et de la diversité linguistique. Par ailleurs, elle nourrit un dialogue constant avec les élus pour conduire une politique des langues au plus près des territoires. Au plan international, la DGLFLF inscrit son action dans des réseaux de coopération, francophones et européens, ainsi que dans des dispositifs bilatéraux, d’échange de bonnes pratiques et d’expertises sur les politiques linguistiques.
La DGLFLF soutient la mise en œuvre de projets qui contribuent à renforcer l’effet de sa politique dans la société. Ces soutiens ont un rôle essentiellement incitatif.
Emplois et métiers
L’effectif de la DGLFLF compte 26 emplois dont un est vacant tandis que deux agent.e.s cumulent deux fonctions distinctes : la cheffe de la mission maîtrise de la langue et action territoriale est également conseillère pour l’action territoriale auprès du délégué général tandis que le chef de la mission emploi et diffusion de la langue française est également conseiller pour l’action interministérielle auprès du délégué général. On dénombre 26 emplois, mais 23 agent.e.s.
L’effectif semble notoirement insuffisant au regard des missions qui relèvent de la délégation.
Un appui ministériel et interministériel à consolider
La DGLFLF doit consolider son rôle de tête de réseau tant dans son action ministérielle que dans son travail interministériel. Le rôle éminent de la langue dans les droits culturels serait ainsi renforcé.
Les agents sont eux‐mêmes confrontés à une incertitude liée à leur sort quand s’annonce un changement de politique de la langue initié au plus haut niveau de l’État. Les vicissitudes s’étendent jusqu’à des problématiques managériales inadéquates et des risques psychosociaux avérés par la suite d’un management invasif, erratique et inadéquat.
Une politique de la langue à préciser et à renforcer
Malgré un décret qui définit ses missions et son périmètre, la politique de la DGLFLF doit dans la vie quotidienne être plus efficace contre l’invasion d’une novlangue technocratique véhicule de la pensée capitaliste qui se traduit par un appauvrissement de la langue française et un usage tout azimut d’un anglais vulgarisé, bien souvent subi et incompris.
Il convient de renforcer les politiques portées par la DGLFLF. La langue ne doit pas être le parent pauvre de la politique de l’État, mais doit avoir tout son soutien en termes de moyens. Quelques données, issues du rapport sur la langue française présenté en 2023 au Parlement, documentent l’ampleur des enjeux.
Le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde, avec environ 321 millions de locuteur.trice.s. En France, une personne sur deux se déclare gênée lorsqu’elle doit utiliser une langue étrangère au travail ; deux sur trois jugent utile qu’une loi garantisse l’emploi du français dans la société ; plus de 2,5 millions de personnes sont en situation d’illettrisme, auquel 10 % des demandeur.euse.s d’emploi sont confronté.e.s.
Ce que la CGT-Culture revendique :
- Une politique volontariste d’alphabétisation et de sortie de l’illettrisme
- Une application véritable de la loi du 4 août 1994 sur la langue française (Loi Toubon) avec en particulier la mise en place de mécanismes de sanction et d’incitation
- Une utilisation prioritaire du français au travail et une généralisation de l’enseignement du français au titre de la formation professionnelle, à la charge des employeurs
- Un soutien et un développement de la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions en application de la circulaire du 6 mars 1998, afin de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et de lutter contre les discriminations sexistes
- Un vrai soutien politique du ministre et de son cabinet pour la DGLFLF
- Une politique ministérielle et interministérielle cohérente et intégrée de la langue française et des langues de France avec un plan d’action sur plusieurs années (triennal ou quinquennal) en lien avec les problématiques de l’illettrisme et de la cohésion sociale
- Un périmètre d’action clair qui définisse une politique de la langue comme le préalable à toute confrontation entre les diversités culturelles et aux droits culturels à conforter
- Des effectifs et des crédits à la hauteur des enjeux humains, sociaux, d’intégration, mais également de défense de la langue française dans un contexte mondialisé
- Une définition claire des missions pour les agent.e.s de la DGLFLF et une meilleure reconnaissance de leur professionnalisme
- Des effectifs permanents en nombre suffisant au château de Villers‐Cotterêts
- La ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires
La DGLFLF doit promouvoir activement l’idée que la langue constitue un préalable indispensable à toute intégration sociale et culturelle.
1 Céline Verzeletti, in Rapport au Parlement sur la langue française, 2023, p.30.