Texte d’orientation du XIIIe congrès de la CGT-Culture – novembre 2023
Missions et organisation
Le réseau des musées nationaux du ministère de la Culture est constitué de 35 musées nationaux, regroupés en 13 services à compétence nationale et 17 établissements publics. Il convient d’ajouter 1222 musées, essentiellement de Collectivités, ayant l’appellation « Musées de France » sur lesquels le Service des Musées de France exerce un contrôle scientifique et technique. Le centre de recherche et de restauration des Musées de France est partie intégrante de ce réseau. La Réunion des Musées Nationaux‐Grand‐Palais assure aussi des mutualisations pour ce réseau.
Gestion des collections
Face aux nombreuses dérives vers la marchandisation, la CGT‐ Culture réaffirme la nécessité de revenir à un pilotage des politiques publiques permettant d’assurer à la fois la cohésion et la vitalité du réseau de l’ensemble des musées, la meilleure conservation des collections dont les musées ont la garde, et leur complet récolement. Au motif de « reconquérir » les publics et « d’élargir » » la fréquentation, des dirigeants de musées, soucieux d’être en phase avec les styles de vie qui font l’actualité, avec les pratiques à la mode, notamment urbaines, sont tentés par le jeunisme, l’entertainment et la « disneylandisation » : événements ludiques ou festifs, défilés de mode, performances avec musiques amplifiées en sono, scénographies de lumières et projections numériques dans les salles muséographiques, en hyperfréquentation (jauges maximales), au milieu des œuvres, au risque de leur bonne conservation préventive. Pour les mêmes raisons, les privatisations d’espaces publics (montage, événement, démontage, souvent sur plusieurs journées successives) ne doivent pas se dérouler en journée et ouverture publique : cela réduit (sans tarif réduit) — voire interrompt complètement — l’accès du public aux œuvres, aux collections et aux expositions. La conception d’expositions internationales, l’ingénierie culturelle, le transfert de compétences et de savoir‐faire « à l’exportation » (Moyen‐Orient, Asie) ont remplacé les coopérations scientifiques par des contrats rémunérateurs pour les musées nationaux qui proposent des expositions clé en main pour des établissements internationaux, publics et privés. Un autre gisement de recettes financières consiste à faire payer une redevance en échange du « prêt » onéreux d’œuvres — en réalité une location tarifée — loan fees aux montants fixés en fonction de la demande. Les collections deviennent itinérantes, avec les risques que cela comporte en matière de conservation préventive et d’empreinte carbone (les œuvres voyageant souvent dans des avions‐cargos distincts).
La CGT‐Culture revendique :
- La recréation d’une Direction des Musées de France pour renforcer le pilotage, la conduite et l’évaluation des politiques muséales et garantir leur cohérence sur l’ensemble du territoire
- Une politique au niveau central des prêts et dépôts, du label « exposition d’intérêt national » et de l’appellation des Musées de France
- Pour le volet budgétaire, elle demande l’octroi de moyens augmentés aux musées service à compétence nationale, qui en reçoivent très peu ainsi que pour le plan musées des contrats de plan État/régions afin de mieux aider les Collectivités en abondant des financements pour le développement des musées de France
Acquisitions d’œuvres d’art
16 à 20 % des recettes de billetterie de droits d’entrée sont fléchées pour les acquisitions d’œuvres d’art ; c’est pourquoi il est tentant pour les dirigeants d’augmenter les tarifs des droits d’entrée. Ceux‐ci ont triplé en vingt ans, bien au‐delà de l’inflation. Or, le marché de l’art atteint des niveaux stratosphériques et les musées ne peuvent plus enchérir dans les salles de ventes publiques pour atteindre la cote pulvérisée d’artistes à la notoriété desquels ils ont contribué.
La CGT‐Culture revendique :
Une commission nationale placée auprès du ministre de la Culture (service des musées de France) pour vérifier l’authenticité et l’origine des œuvres avant leur acquisition et la suppression des multiples commissions d’acquisitions locales
Modèle économique hybride
La CGT‐Culture dénonce la fuite en avant des grands musées, leur modèle de croissance infinie, d’extension des surfaces muséales, de multiplication des expositions temporaires qui attirent de plus en plus de visiteurs se déplaçant en transports souvent polluants, tout comme les œuvres empruntées. La recherche de financements extérieurs ne doit en aucun cas conduire des personnels des musées à des compromis contraires aux exigences éthiques et aux critères déontologiques du service public. Cependant, les grands musées nationaux sont actionnaires de l’agence France‐ Muséums, une société commerciale qui prospecte de nouveaux marchés.
Contre toutes ces dérives, la CGT‐Culture revendique :
Le retour des Établissements Publics Muséaux au statut de SCN, seule possibilité de garantir l’emploi public, de stopper l’externalisation des missions et la privatisation à tout va. Le modèle économique des SCN est par ailleurs le seul qui ait été viable pendant la crise du COVID, puisque les gros établissements publics surfréquentés se sont retrouvés sans ressources, exposant les personnels à des suppressions de contrats et périodes de chômage.
Un secteur non marchand
L’activité d’un musée national est une mission de service public qui nécessite un financement public, car elle est non marchande et non susceptible, quelles que soient les modalités selon lesquelles elle est accomplie, de susciter un bénéfice ou un profit. Tout musée national doit garder toujours l’entière maîtrise de ses activités, sans se rendre dépendant du clientélisme des multiples contributeurs à son financement, qu’il s’agisse d’entreprises privées nationales ou de firmes internationales. Il ne doit pas se rendre vulnérable aux exigences croissantes des pourvoyeurs de fonds ni à l’origine incertaine de flux financiers complexes ; il ne doit pas s’exposer aux aléas et aux secousses de troubles géopolitiques. Cette recherche de rendement conduit certains établissements à exploiter leur nom comme une marque commerciale. Des musées ouvrent des succursales à l’étranger contre rémunération, sans que leurs intérêts matériels et moraux soient toujours sécurisés, par défaut de vigilance. Le financement et la gestion de nombreux musées nationaux sont devenus hybrides : la part des ressources propres dépasse souvent 50 % du total lorsque le tourisme tourne à plein régime. Plus l’autofinancement augmente, plus les subventions d’État se réduisent.
La CGT‐Culture revendique :
La primauté des subventions d’État pour le fonctionnement et que les ressources propres restent un complément de financements, notamment pour l’investissement
Levée de fonds et optimisation fiscale : des musées pour tous !
La recherche de fonds propres a contraint les établissements à multiplier les stratégies de levées de fonds pour assurer leur équilibre budgétaire, notamment sur leurs investissements, en faisant entrer le privé dans la sphère publique par le biais du dispositif mécénat, en réalité le plus souvent du parrainage (sponsoring) tant le don est fort peu désintéressé : l’entreprise « mécène » retire d’importantes exonérations fiscales de sa contribution ainsi que des contreparties parfois disproportionnées, et au surplus un bénéfice publicitaire corrigeant une image dégradée. Autant de manque à gagner pour l’État (900 millions € par an en moyenne entre 2003 et 2018, « grâce » à la loi Aillagon), aux frais, donc, du citoyen contribuable. Le mot « parrain » (sponsor) est certes moins noble que « mécène », mais c’est ainsi : mécénat et parrainage sont deux notions différentes, et il faut cesser de faire passer des intérêts commerciaux d’image, de prestige et d’optimisation fiscale pour de la générosité.
L’accès des publics les plus éloignés de la culture générale de la société implique que des partenariats conventionnés doivent être établis avec les collectivités territoriales, ainsi qu’avec les structures et associations du champ social, et avec d’autres ministères (Éducation, Justice [PJJ], Santé…) en faveur des publics empêchés, du fait d’un handicap (moteur ou mental) ou d’une impossibilité à se déplacer librement (patient.e.s hospitalisé.e.s, résident.e.s d’EHPAD, personnes sous‐main de justice).
La CGT‐Culture revendique :
- La suppression de ces niches fiscales et la réaffectation des recettes fiscales générées (900 millions €/an) en subventions publiques au réseau des musées nationaux
- La consolidation et la valorisation des services éducatifs et de médiation culturelle des musées ; la cohérence, la vitalité et la continuité de leurs actions doivent être une des priorités de leurs objectifs. Ces missions sont très larges : elles vont de l’éveil artistique à la formation préprofessionnelle, en passant par l’insertion
Emplois et métiers : des concours pour tous les besoins permanents
La CGT‐Culture revendique :
- L’organisation régulière de concours afin d’assurer le renouvellement des effectifs des services, autant les remplacements de tous les départs (retraites, mutations…) que les extensions de besoins et d’activités. Afin de renforcer leur attrait face au recul des vocations, les concours doivent assurer des perspectives d’évolution réelle et valorisante de la carrière de chaque lauréat.e
- L’organisation de concours pour répondre aux nouveaux besoins en compétences techniques, administratives ou scientifiques pour lesquelles il n’existe pas toujours de corps de fonctionnaires ou de spécialités. Ces besoins doivent donner lieu à la création de corps spécifiques ou de spécialités et des concours de recrutement statutaires afférents, externes et internes
- Le maintien des filières de Recherche et de Documentation contre l’extinction des corps de Technicien de Recherche et de Secrétaire de Documentation programmée au 1er janvier 2028
- Pour le développement des activités de démocratisation culturelle (jeune public, champ social…), le recrutement des personnels qualifiés ; le rôle clé des personnes assurant la médiation culturelle doit être mieux reconnu, par une revalorisation de leur statut d’emploi pérenne répondant à des besoins permanents, et de leurs missions
- Un plan de formation professionnelle transversal aux musées, adapté aux spécificités des métiers
Pour un plan de résorption de la précarité
L’emploi temporaire sur contrat saisonnier est en constante augmentation, non en raison d’une hausse des activités saisonnières, mais du fait d’une précarisation de l’emploi permanent. Ces salarié.e.s en emploi saisonnier sont à + de 50 % des jeunes de moins de 25 ans (étudiant.e.s mais aussi personnes en recherche d’emploi), et aussi de nombreux seniors. Qu’il s’agisse de saisonniers d’une seule saison ou de multiples saisons, les problèmes sont les mêmes : salaires au SMIC, qualifications non reconnues, précarité des contrats courts souvent à temps incomplet imposé pour les besoins des plannings, parfois hors horaires d’ouverture habituels. L’emploi temporaire sur besoin occasionnel pour les expositions temporaires est en réalité souvent un besoin permanent, compte tenu du nombre d’expositions annuelles dans les sites et des durées de montage et démontage.
La CGT‐Culture revendique :
Un plan durable de résorption de la précarité de ces contrats fractionnés en courtes durées et à temps incomplet imposé.
L’abus des emplois hors plafond « mécénés »
Le dispositif des emplois mécénés est fondé juridiquement sur des missions temporaires liées à un projet spécifique exceptionnel nécessitant des compétences spécialisées, pointues et de haut niveau (informatique, architecture et travaux…) L’emploi « mécéné » génère des exonérations fiscales avantageuses pour l’entreprise « mécène » qui les finance et a donc un coût fiscal pour le contribuable. La CGT‐ Culture conteste le recours abusif et détourné, comme variable d’ajustement de gestion ordinaire des missions statutaires d’accueil‐surveillance des espaces publics d’expositions temporaires, et de préposés‐vestiaires, sur des contrats courts à temps partiel au SMIC.
Externalisations
La CGT‐Culture revendique :
La réinternalisation de missions permanentes externalisées par certains musées : caisse‐ contrôle, vestiaire, accueil, surveillance des abords et des accès, surveillance de salle, installation‐montage d’œuvres d’art, médiation culturelle…). Nous réaffirmons notre opposition à cette gestion libérale destinée, sous couvert d’économies financières et de qualité de service jamais démontrées, à détruire des postes de service public, à privatiser les missions des personnels et à alimenter économiquement le secteur privé avec des budgets publics. La CGT‐Culture alerte, avec la CGT‐Spectacle, sur le recours abusif à la sous‐traitance et à l’auto‐entrepreneuriat pour la programmation de spectacles et d’événements dans les musées.
Salaire
Nous contestons le déploiement d’une politique de rémunération basée sur la hausse de la part des primes individuelles, au détriment du traitement de base, écrasé, et qui pour beaucoup d’agent.e.s se « smicardise ». De fait, les primes se substituent aux augmentations salariales (valeur du point d’indice). L’aplatissement des carrières génère un sentiment de stagnation, qui crée de fortes frustrations et de la démotivation, que ne compense nullement la distribution de primes, et qui concourt à affaiblir le niveau des pensions.
En dix ans, le volet indemnitaire des titulaires est passé de 8 % à 15 % de la rémunération pour la catégorie C, et de 14 à 25 % pour la catégorie A. Faire bien son travail ne suffit pas ou plus ; il faut intensifier le travail, en raison des postes vacants non pourvus. Le surtravail s’intensifie par manque d’effectifs. Les primes variables sont source de potentielles discriminations (par exemple sur l’état de santé, ou sur le temps partiel), à la main des responsables hiérarchiques N+2, dans une certaine opacité ; elles affaiblissent la cohésion des équipes.
La CGT‐Culture rappelle :
La vigilance nécessaire dans les conseils d’administration sur la gestion directe de la masse salariale par les établissements et les grilles de rémunération déplafonnées pour les contractuels, qui favorisent l’entre soi des recrutements.
La CGT‐Culture revendique :
- L’intégration des primes et services faits dans l’assiette des cotisations du traitement pour une meilleure contribution à la pension civile ;
- La revalorisation a minima au taux de l’inflation de l’indemnité pour travaux supplémentaires, nocturnes, jours fériés, travail dominical et le taux horaire des privatisations/locations d’espaces muséographiques (« heures mécénées ») avec application du taux majoré dès 22h et non plus minuit.
Conditions de travail
Les ressources propres sont devenues la pierre angulaire des investissements. En matière de travaux, les financeurs privés achètent du prestige ; ils soutiennent les rénovations d’espaces muséaux de chefs‐d’œuvre, dont refaire la couleur des cimaises est la signature de bien des présidents de musée fraîchement nommés. En revanche, l’entretien des bâtiments, les réparations liées à la vétusté, moins chic et moins médiatisable, sont fréquemment reportés à long terme.
La CGT‐Culture revendique :
La priorité dans les plans décennaux d’investissement, pour chaque musée national, de l’entretien du clos et couvert, la lutte contre les infiltrations, les fissures et la corrosion, la réfection des locaux techniques et de travail, des salles de repos et des sanitaires, des vestiaires et des douches, l’amélioration de l’isolation thermique et phonique, ce pour chaque musée.
La digitalisation ne doit pas marginaliser la présence humaine
Le déploiement du télétravail a connu un essor important dans le secteur public, répondant aux aspirations des agent.e.s pour mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, en s’affranchissant notamment des trajets domicile‐travail. Cet essor a des conséquences sur la cohésion des collectifs de travail et il est source d’inégalités entre agents publics : les agent.e.s aux missions de terrain et d’accueil du public se sentent invisibilisé.e.s, oublié.e.s et dévalorisé.e.s. et vivent comme une injustice d’être exclu.e.s de la possibilité d’organiser leurs modalités de travail avec souplesse, à distance. Leurs métiers perdent de l’attractivité.
La CGT‐Culture revendique :
(au même titre qu’il existe une indemnité de télétravail) : La valorisation financière des métiers non télétravaillables, au contact du public en « première ligne », la proximité avec les usagers étant essentielle au modèle du service public muséal.