Jusqu’en 2017 les crédits du BOP 334.2 ont permis un soutien spécifique par les DRAC au secteur du cinéma et de l’audiovisuel. Ces moyens financiers permettaient notamment l’accompagnement des festivals dédiés au cinéma, la diffusion d’œuvres très diverses auprès d’un public très large, souvent dépourvu d’accès à la culture, et l’animation culturelle du territoire. Les dynamiques des réseaux professionnels de ce secteur étaient également encouragées grâce à ces crédits.
Une décentralisation qui ne dit pas son nom
Fin 2017, la ministre de la culture décrétait le transfert de charge de ces crédits au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).
Le 04 juin dernier le couperet est tombé et c’est précisément ce que nous voulions éviter qui est confirmé : le transfert des crédits du CNC aux Régions.
Nous découvrons le dispositif retenu par la note de service du secrétaire général du ministère aux préfets et aux DRAC :
-élaboration d’un dossier de demande de subvention avec les services de la région ;
-instruction des dossiers par l’État (DRAC) et le conseil régional, chacun selon ses propres critères ;
-attribution d’une seule subvention commune pour l’État (CNC) et le conseil régional, versée par le conseil régional.
Qui peut croire que le versement comptable des subventions par les Régions ne sera pas précédé d’une délégation de crédits du CNC aux régions ?
Mais qu’est-ce qui a bien pu motiver ce changement et quelles en sont les conséquences ?
Ce dispositif de transfert de la charge des crédits revient in fine à une délégation de compétences qui ne veut pas en porter le nom : la charge des crédits est transférée une année n vers un opérateur national, qui l’année n+1 en confie la gestion, donc les missions qui s’y rattachaient jusqu’alors, à la collectivité régionale.
Pourquoi le ministère veut-il avancer masqué sur ce sujet ?
D’abord, il n’ignore pas le bilan plus que mitigé de la délégation de compétences en Bretagne.
Dans le domaine du cinéma, la délégation de compétences n’a entraîné qu’un surcoût de gestion, sans simplification administrative avérée pour les porteurs de projets, et la perte de visibilité de la politique du ministère de la culture. La délégation de compétences ne semble plus être dans l’air du temps, les collectivités territoriales elles-mêmes ne sont plus demandeuses.
Par ailleurs, ce transfert de crédits entérine la disparition d’une politique d’État mise en œuvre depuis plus vingt ans par le ministère, est en contradiction avec les annonces gouvernementales visant à la déconcentration des moyens et à la consolidation des missions et moyens des DRAC, objectif rappelé dans la mesure n° 7 du rapport IGF / IGAC/IGA de février 2018.
S’agissait-il pour le ministère de la culture d’être le bon élève de Bercy en affichant des économies sur son budget ? En réalité ce changement n’est que cosmétique, d’abord parce que les montants transférés sont faibles (les crédits 334,2 représentent 2,4 M€ sur un plan national), ensuite parce qu’il s’agit simplement d’un basculement d’une ligne à l’autre sur le budget de l’État, dont fait partie le fonds de soutien du CNC. Il n’est qu’à voir pour s’en convaincre comment le Parlement peut décider de s’emparer de ce dernier.
Une perte de mission lourde de conséquences
Enfin, ce dispositif consacre le délitement des missions des conseillers cinéma en DRAC et donne un très mauvais signal pour les conseillers des autres disciplines, en contradiction avec les propos du Président de la République, ne souhaitant pas aller plus loin dans le processus de décentralisation.
Ce transfert des moyens de l’État en deux temps vers la collectivité régionale est, en outre, contraire à la charte de déconcentration et aux préconisations du dernier rapport d’inspection des DRAC.
L’association des conseillers pour le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia (ACCAM) des DRAC a pourtant fait des propositions constructives, visant à encadrer (par convention) ce transfert des crédits et à s’assurer de la continuité du travail d’instruction et d’accompagnement des festivals et des réseaux professionnels, réalisé jusqu’ici par les DRAC. Les conseillers cinémas ont rencontré l’association des directeurs de DRAC, le Secrétariat général du Ministère et le cabinet de la ministre. Mais rien n’y a fait !
Le transfert de la charge de crédits 334.2 provoquera en outre une rupture d’égalité de traitement des territoires : les aides ne seront plus allouées en fonction des mêmes critères définis sur un plan national par le ministère de la culture, mais soumis aux aléas des accointances politiques locales ou simplement de choix stratégiques régionaux plus économiques que culturels.
Enfin, ce transfert va percuter les acteurs de la filière cinématographique et audiovisuel, ceux qui militent précisément pour une diffusion la plus large des œuvres et contribuent à l’animation culturelle des territoires, et qui ne souhaitent pas forcément voir leurs projets soumis à la seule appréciation des élus ou des services régionaux.
Quid notamment des plus fragiles, directement concernés par cette mesure, qui sont ceux qui assurent le maillage des territoires ruraux prioritaires, alors même que ceux-ci se sentent déjà lésés par les politiques publiques des nouvelles régions ?
Pour éviter cette liquidation des missions et des moyens des DRAC, il suffirait de ne pas céder aux sirènes du CNC, entièrement acquis à la cause des régions, et qui prétexte une « simplification comptable » pour se retourner vers les régions et leur reverser ces crédits.
Sans cet encadrement du travail d’instruction et des montants alloués par les DRAC, celles-ci se retrouveront immanquablement en concurrence avec les services de la région, et perdront très vite voix au chapitre.
Nous demandons donc que ces crédits ne soient pas confiés aux Régions par le CNC et qu’une convention MCC / CNC vienne vite encadrer ce transfert :
les DRAC restant service instructeur des moyens déployés au service d’une politique d’État, complémentaire aux aides attribuées par les collectivités locales.
Que vive le ministère de la culture en région
Que vive le travail des conseillers au service du plus grand nombre
Paris le 2 juillet 2018actualités