Durant l’hiver 2017 une triple inspection des services déconcentrés du ministère de la culture (Finances, administration et affaires culturelles) a eu lieu afin de faire le point sur les missions, l’organisation et les moyens des DRAC dans le contexte d’action publique 2022. Le pire était donc à craindre : abandon de missions, suppression d’effectif, nouvelle décentralisation vers les régions… 150 auditions plus tard, le rapport a été rendu en février 2018. Une présentation sous la direction de la cheffe de cabinet a été faite ce 20 avril aux organisations syndicales (CGT, FSU et SUD étaient présents).
Divine surprise, le travail fourni par les DRAC est reconnu et reçoit un avis très positif des élus, des professionnels et des Préfets, sa dynamique de co-construction est appréciée et le rapport confirme le besoin d’un État culturel en région. Plus encore, c’est une sonnette d’alarme qui est tirée sur un « risque indéniable de dégradation rapide des directions régionales qui pourrait priver le ministère de la culture de ces outils pour diffuser les politiques culturelles de l’État sur l’ensemble des territoires ». L’expérience du transfert de compétence en Bretagne dans le domaine des aides économiques au Livre et au cinéma est étrillée « bien que seulement délégué, l’apport de la DRAC n’est plus mentionné ni mis en valeur, d’où une perte de lisibilité de l’action de l’État ». Ce rapport démontre aussi l’importance des petites subventions, en un mot, le saupoudrage permet des effets leviers bénéfiques.
De plus, le rapport reconnaît que le choix d’une organisation multi-sites avec sites distants spécialisés a imposé des liens hiérarchiques trop complexes, que les DRAC n’ont pas été accompagnées ni soutenues en matière de gestion RH, que la formation managériale n’a pas été anticipée, et que les moyens ont été insuffisants dans le cadre des mobilités accrues, le tout sur fond d’obsolescence et d’insuffisance des équipements et outils informatiques…
Le risque en ressource humaine est présenté sous le prisme du manque d’attractivité des postes, des faibles rémunérations indemnitaires et de l’absence de gestion de carrière.
Ce panorama rejoint par bien des points l’analyse et les dénonciations successives de la CGT culture. On peut même se demander comment les agents ont pu fournir autant de travail, dans un contexte aussi dégradé apporté par les réformes passées et actuelles. Le rapport ne le dit pas mais nous en connaissons la réponse : l’engagement professionnel des agents. Celui encore recensé récemment dans le baromètre social. Mais à quel prix en termes de santé et de conditions de travail.
Par contre ce rapport cherche un peu rapidement un bouc émissaire dans l’administration centrale sans distinction de service et fait des propositions qui vont un peu vite en besogne. Il n’analyse pas non plus la place des Préfets qui menace d’être envahissante.
Tournée vers l’avenir, la CGT culture discute l’ensemble des mesures préconisées et apporte sa pierre au débat.
Mesure 1 : « le plan d’urgence informatique piloté à haut niveau » ne peut que recevoir notre approbation quand nous réclamons un plan orsec informatique pour les DRAC depuis de nombreuses années. Ce défi doit prendre en compte l’évolution des logiciels métiers, la réponse à la dématérialisation des permis de construire, ou encore mettre à niveau les installations réseaux dans certains territoires. Un peu de volontarisme dans ce domaine ne nuira certainement pas, tant les besoins et les attentes sont grands. Nous avons demandé que le pilotage de ce chantier soit le fait du secrétariat général en direct ou de la DAT et non de la seule SDSI.
Mesure 2 : « Alléger et transférer des procédures (bourses, licences d’entrepreneurs de spectacles vivants, gestion des vestiges archéologiques », cette mesure laisse par contre un peu perplexe.
Les « bourses » en question sont en fait des aides individuelles qui ne concernent pas des étudiants, mais des élèves de conservatoires régionaux et départementaux. Cette prestation sociale fournie par le ministère doit continuer à l’être pour une visibilité de l’action de l’État vers une professionnalisation artistique et ne peut être transférée au CROUS qui ne s’occupe que des étudiants.
Sur la licence d’entrepreneur du spectacle, l’inspection suit le cadre gouvernemental de suppression de la protection des salariés imposée par la loi travail. Pour la CGT, tout allégement du dispositif ne ferait que conserver la bureaucratie sans le contrôle effectif. D’autre part le dispositif actuel reçoit une approbation des compagnies et entrepreneurs de spectacles donc pourquoi en changer. Le rapport suggère assez clairement qu’il permettrait de redéployer tout ou partie des 28 ETP qui en ont la charge. La CGT culture propose au contraire de renforcer ces missions par la gestion du fonds pour l’emploi pérenne dans le spectacle vivant (fonds PEPS) qui est actuellement très faiblement consommé.
Sur la gestion des vestiges archéologiques, les expérimentations dans quatre régions avec l’INRAP ne peuvent pas être généralisées avant plusieurs années. Si on peut très bien envisager que l’INRAP joue le même rôle, dans certains dépôts départementaux, que jouent les personnels des collectivités territoriales dans les Centres de Conservation et d’Études qui fonctionnent bien, cela ne supprime pas les prérogatives de l’État confiées par la loi LCAP en matière de réception, de recensement et de conservation des mobiliers archéologiques. Bien appliquée, cette mesure peut clarifier le rôle de chacun dans la chaîne de gestion des mobiliers archéologiques avec un meilleur service rendu aux publics.
Mesure 3 : Redonner des marges de manœuvre aux DRAC dans les recrutements notamment par le maintien du plafond d’emploi (sur la base de 2017).
La volonté du gouvernement de réduire de 25 postes les effectifs des DRAC doit donc être stoppée immédiatement.
Des recrutements par concours réguliers et une facilité de recrutement des personnels du ministère de la culture en faisant sauter les multiples « autorité d’emploi » qui font de toute mutation un recrutement externe doivent être mis en place.
L’annonce d’un concours d’Ingénieur d’Études pour l’année 2019 est attendue par exemple. Il faut aussi être particulièrement vigilant pour les différents corps des personnels des Unités Départementales de l’Architecture et du Patrimoine.
Mesure 4 : la mise en place d’une GPEEC adaptée (gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences). En effet le fort taux de départ en retraite des personnels des services déconcentrés à l’horizon 2025 (plus d’une centaine par an pour 2350 ETP) et des compétences qui reposent sur quelques personnes dans chaque territoire posent clairement le problème d’une continuité de la politique culturelle de l’État.
Mesure 5 : redonner de l’attractivité aux DRAC, le rapport ne s’intéresse qu’au directeur et directeur adjoint sans se soucier des différences de régimes indemnitaires dans la filière administrative, tout corps confondu. Les catégories C, B et A existent aussi, pas seulement les A+. La CGT culture propose un alignement du régime indemnitaire du ministère de la Culture sur celui de l’Intérieur, soit respectivement pour les catégories C, B et A, 5450€ , 7400€, et 12 000 € annuel au lieu des 2500€, 3900€ à 4500 € et 8000€ à 15 000 € actuels.
Mesure 6 : revoir l’organisation territoriale des DRAC issue de la réforme de 2015.
Cette mesure est longuement développée et reprend presque in extenso la position de la CGT culture : suppression des directeurs de pôle avec le maintien d’une coordination de service et création d’un directeur adjoint sur les sites distants. La désorganisation et les situations de souffrance au travail que cela génère vont peut-être trouver un début de solution.
Mesure 7 : appliquer un principe général de déconcentration automatique va créer une masse de travail considérable dans les DRAC sans que les effectifs ne permettent d’y faire face même avec un rééquilibrage d’ETP en direction des services déconcentrés. L’Île -de-France sera particulièrement mise en difficulté du fait de la très forte concentration des dispositifs et établissements culturels sur ce territoire. De plus, certains dispositifs, par exemple dans la démocratisation de la culture, reposent sur des conventions nationales et ce niveau est pertinent. Enfin si l’administration centrale ne veut pas être encore plus hors-sol il faut qu’elle conserve une implication concrète dans certains dossiers. L’alimentation de son expertise est aussi à ce prix.
Cette nouvelle déconcentration ne peut donc être réalisée qu’au cas par cas, en relation étroite avec les services déconcentrés concernés, et après discussion avec l’administration centrale. C’est un dialogue, une co-construction qu’il faut faire vivre et non une inversion des flux, du déconcentré vers l’administration centrale qui remplacerait le flux descendant actuel.
Ce volet de la ré-articulation de la relation Drac – Administration centrale est donc particulièrement inabouti.
La situation des DRAC n’est pas le résultat, contrairement à ce qui est écrit, « de l’organisation de l’administration centrale dont les défauts se répercutent directement sur elles », mais des réformes successives, RGPP, RéATE qui ont ébranlé la structure des deux entités puis la réforme territoriale qui a fortement désorganisé les services déconcentrés. Plus récemment, ce sont les effets d’annonces, les plans com, les demandes incessantes en notes et indicateurs de Françoise Nyssen et de son cabinet qui plongent dans les difficultés les services centraux et déconcentrés.
Mesure 8 : Approfondir la relation opérateurs nationaux-DRAC peut en effet renforcer le ministère de la culture dans ces domaines du Livre et du Cinéma mais ne clarifie pas la place des conseillers en DRAC dans l’économie culturelle, ni qui doit être chef de file pour les budgets. La représentante des directions des DRAC présente à la réunion de présentation a également évoqué la confusion que peut engendrer des relations directes du CNC, CNL avec les territoires sans en avertir les services déconcentrés.
Mesure 9 : repositionner le pilotage des DRAC, par la création d’un service dédié dont le département de l’action territoriale (actuellement 12 personnes) deviendrait le noyau. La constitution d’une véritable direction renforcerait indéniablement la place des DRAC au sein du secrétariat général du ministère surtout en matière budgétaire, d’informatique et de gestion des ressources humaines. Par contre, la position de l’inspection, que cela se fasse au détriment des directions métiers y compris dans leur dimension stratégique, de contrôle et d’expertise, est inacceptable. Un besoin de clarification du rôle de chacun est nécessaire afin de clarifier les demandes incessantes de la centrale en indicateurs divers et variés. Les DRAC subissent aussi les demandes des préfectures dans un contexte où le quotidien est déjà assez surchargé comme cela.
En conclusion, ce rapport dresse un tableau réaliste de la situation humaine et organisationnelle des DRAC qui correspond bien à ce que ne cessent de répéter les représentants du personnel. L’administration centrale est présentée comme le bouc-émissaire de la situation ce qui est dommageable car si un rééquilibrage et une meilleure articulation entre les deux échelons est souhaitable, il doit se faire dans le dialogue et sur des bases concrètes, politique publique par politique publique.
Les préconisations sont très disparates, certaines de bon sens recueillent notre agrément :
-maintien du plafond d’emploi sur la base de 2017,
-mise en place d’une GPEEC,
-mise en place d’un plan d’urgence informatique,
-redonner une attractivité aux DRAC dans le déroulement de carrière et la revalorisation des régimes indemnitaires,
-revoir l’organisation des DRAC « fusionnées ».
La suite donnée à ce rapport doit se concrétiser très vite : quatre blocs de réflexion doivent se mettre en place sur :
-les moyens humains et matériels,
-les procédures,
-les ressources humaines et la GPEEC,
-l’organisation des services déconcentrés
Nous avons exprimé fortement la volonté d’y participer. La CGT culture est disponible !
Par contre, la cheffe de cabinet ne s’avance pas sur l’abandon des 25 suppressions de postes dans les DRAC en 2018, le ministère de la culture doit avoir sa part de réduction des effectifs voulue par Emmanuel Macron.
Selon la proposition de la représentante des directions des DRAC, un passage dans les CT locaux s’impose aussi pour discuter et trouver démocratiquement des solutions.
Ce rapport est donc un point d’appui important, vu la conjoncture d’AP 2022, pour l’amélioration des conditions de travail, de l’organisation générale du ministère et du service rendu aux publics.
Que vive le ministère de la culture
et
le travail remarquable de ses services déconcentrés.
PS : à notre demande, le rapport sera rendu public par le ministère très rapidement, chacun pourra ainsi juger sur pièce.
Paris, Nantes, Niort, le 23 avril 2018