La culture est un droit et un bonheur

Lettre ouverte à Rima Abdul Malak, ministre de la Culture

Un ministère pour toutes et tous,

au service de la démocratie culturelle

pour faire humanité ensemble

 

Madame la Ministre,

En ces temps troublés et incertains où les crises s’ajoutent les unes aux autres, notre société tout entière est confrontée aux dangers de la fragmentation sociale, du ressentiment et des passions tristes.

Dans un tel contexte, les politiques publiques sont toutes fortement interrogées. Le mal est si profond que la démocratie représentative dans son ensemble connaît une fragilisation préoccupante.

Bien avant votre arrivée rue de Valois, notre organisation syndicale, ses militants et ses élus, en pleine conscience de la complexité des défis à relever, ont affirmé et réaffirmé de façon constante une manière d’urgence culturelle.

Plus que jamais, nous sommes convaincus qu’il est possible de conjuguer ambition sociale, ambition esthétique et culturelle et ambition républicaine. Mais il ne suffit pas de se réclamer d’une République sociale, culturelle et laïque pour qu’elle advienne.

Il ne suffit pas non plus de déclarer, comme le Président de la République a pu le faire à plusieurs reprises, que la culture est une priorité pour que la prophétie autoréalisatrice se réalise.

Nos revendications et notre combat de longue date pour faire entendre que les politiques culturelles doivent désormais s’appuyer sur les droits culturels a permis l’émergence d’un débat public qui n’est pas prêt de se refermer.

Agir ainsi pour que le logiciel déjà ancien des politiques culturelles évolue, c’était croire à raison à la pertinence et à la nécessité incontournable d’un ministère de la Culture de plein exercice dans un paysage et un écosystème en pleine mutation. Et ni les personnels ni nous n’avons renoncé à cela.

Mais il convient de regarder la réalité en face. A l’orée de 2023, six mois après votre nomination, aucun signe visible du changement de paradigme tant attendu et salvateur n’a été donné. Le ministère de la Culture semble incapable d’ouvrir en grand les portes et les fenêtres pour dialoguer et s’adresser pour de bon à toute la population sur tout le territoire ultramarin et métropolitain. Sous votre ministère comme sous celui de vos nombreux prédécesseurs, nous en sommes encore à devoir marteler que la culture n’est la propriété de personne, qu’elle n’est pas la propriété d’une classe ou d’une élite ni celle d’une capitale.

Les grands efforts de communication déployés quotidiennement ne suffisent pas à masquer l’inertie et les inégalités sociales et territoriales qui perdurent quant au droit de toutes et de tous à la culture, pourtant irréfragable.

Dans la bataille culturelle qui fait rage, l’idée force que les droits culturels relèvent des droits humains fondamentaux et qu’ils constituent à ce titre un référentiel et un rempart central contre les dérives toxiques à l’œuvre, fait heureusement son chemin dans le ministère – jusque dans l’exercice très concret des missions – comme en dehors.

Vous devez prendre la mesure du pouvoir transformateur des droits culturels. Il est de votre responsabilité de rappeler en permanence, et à l’écoute de la citoyenneté, que la culture est à la base des relations humaines et qu’elle est essentielle à la liberté, à l’égalité et à la dignité.

Qu’avez-vous réellement à craindre d’une refondation où nous dépasserions enfin une logique descendante et parfois condescendante pour faire confiance à ce qui s’invente dans les territoires et dans la proximité active de chacune et chacun. Alors que la démocratisation culturelle est régulièrement questionnée, pourquoi retarder plus longtemps la reconnaissance en acte d’une logique de participation, de rencontre et de partage à l’échelle de communs vivifiants et parfaitement républicains.

Mettre en correspondance les politiques de ce ministère avec la société telle qu’elle va n’est absolument pas un renoncement ou un reniement mais au contraire un pari sur l’avenir.

Si ces propositions nécessitent effectivement des engagements et une mobilisation très large, elles n’ont pour autant rien d’utopique ou d’éthéré. Cette transformation est à la portée du ministère à condition toutefois que vous acceptiez de vous pencher sans plus attendre sur le travail des agents, à Paris comme en régions, dans les services et les établissements.

Face aux attaques répétées et aux réformes nocives dont le ministère a été la cible ces dernières années, les personnels ont répondu présent. Non seulement leurs savoir-faire, leurs compétences, et leur expertise sont intacts mais de surcroît ils ne cessent de s’enrichir. Toutes les qualités humaines sont là. De toutes les directions, délégations, services et établissements, les agents ne demandent qu’à travailler ensemble en s’émancipant des cloisonnements et des méthodes de management stupides qu’on leur inflige.

Prenez soin, Madame la Ministre, de leur travail, prenez soin de leurs conditions de travail !

Par-delà les catégories, les métiers et les affectations géographiques, vous devez replacer la personne, le sens, l’initiative et la confiance au cœur.

Ne laissez pas passer cette opportunité historique de mettre le ministère de la Culture au service de l’essor d’une démocratie culturelle.

Faites le choix du respect des personnels, de leur travail, de leur passion pour le service public de la culture.

Faites en même temps le choix du dialogue et de la démocratie sociale et nous irons de l’avant.

Paris, le 28 novembre 2022

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