Le 3 janvier dernier, le ministère de la Culture publiait un rapport réalisé conjointement par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires culturelles. Ce rapport, dont la presse s’est fait largement l’écho, est venu confirmer, si besoin était, que la culture apporte beaucoup, et bien plus qu’on ne le pense communément, à l’économie de notre pays.
Aurélie Filippetti aura certainement voulu insister sur ces données économiques pour éviter que le budget de son ministère ne connaisse de nouvelles baisses. C’est bien là le moins qu’un Ministre puisse obtenir quand on sait que ce budget a subi des coupes drastiques depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande : -4,5% en 2013 ; -2% en 2014.
La Ministre et son cabinet semblent donc résolus à brandir prioritairement l’argument du poids économique de la culture. Et on serait presque tenter de lui emboîter le pas en toute bonne foi tellement les services centraux et déconcentrés sont exsangues et alors que les établissements publics connaissent à leur tour de grosses difficultés financières comme en matière d’emploi.
Ceci étant, l’objectif affiché par le gouvernement de réaliser 50 milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques pour la période 2015-2017 fait injustement de la culture une cible toute trouvée, tandis que les budgets qui lui sont alloués restent à un niveau ridiculement bas par rapport aux enjeux de société qu’elle représente.
Si l’on peut aisément considérer qu’il n’est ni choquant ni inutile d’aborder ces questions économiques, on peut en revanche légitimement s’élever contre le fait que le débat sur la fiscalité en général, et sur le financement des politiques publiques culturelles en particulier, soit tronqué et pour finir confisqué par nos dirigeants.
Le ministère et ses établissement sont pourtant entrés dans une zone de turbulences extrêmement dangereuse. Les cures d’austérité successives imposées par la droite hier et par la gauche aujourd’hui ont conduit les établissements publics à développer, toujours plus, la
part de leurs ressources propres.
Cette évolution devient en effet quasi inéluctable lorsque l’Etat se désengage et qu’il diminue année après année le montant des subventions allouées à ces établissements pour charge de
service public. Ceci est si vrai que les ressources propres sont à présent majoritaires dans le budget de plusieurs établissements et non des moindres.
Et ce tout particulièrement au détriment des publics déjà les plus éloignés : ces ressources sont en effet souvent assises sur des hausses tarifaires très importantes, pour tout dire assez scandaleuses, et parfaitement contraires au principe même de la démocratisation de la culture. Chacun aura noté au passage l’électrochoc que constitue dans ce domaine la suppression de la
gratuité le 1er dimanche du mois au Louvre, sans qu’Aurélie Filippetti n’y ait trouvé à redire.
Mais ces fameuses ressources propres sont aussi dépendantes, et de plus en plus, de financements privés, de l’intervention dans le domaine public de ceux qu’on appelle de façon impropre « des mécènes » ; en vérité la plupart du temps des multinationales expertes dans la défiscalisation et, pour certaines d’entre elles dans l’évasion fiscale, quand elles n’ont pas des accointances avec les paradis fiscaux.
Nous constatons, non sans une certaine amertume, que les questions économiques focalisent toute l’attention de la Ministre et que, dans cette dernière période, elles accaparent sa parole politique.
Au moment où une nouvelle étape de la décentralisation – dispositif législatif à l’appui – ouvre la possibilité aux collectivités territoriales de « récupérer » nombre des compétences et des prérogatives parmi les plus importantes du ministère de la Culture et des DRAC, nous
sommes en droit d’attendre autre chose de la Ministre.
Ce ministère a certes besoin d’être offensif pour mieux se défendre dans l’adversité. Mais pour ce faire, il ne doit pas craindre de se pencher sur le renouveau de ses politiques. Il ne doit pas craindre de signifier le plus clairement possible le sens et l’importance de la création artistique, des médias, et de la culture dans une société tiraillée par la crise et sous la menace de plus en plus pressante de replis, d’oppositions et de divisions terribles.
Le ministère de la Culture ne doit pas hésiter à réaffirmer que ses missions et son action sont transversales à tous les domaines d’intervention de l’Etat, au service de l’intérêt général et de l’égalité.
Ce débat sur l’évolution des politiques culturelles et sur la capacité du service public à contribuer à la fois au droit fondamental à la culture, à la citoyenneté, et à l’essor d’une démocratie culturelle qui rassemble dans le respect de tous, nous le réclamons depuis l’arrivée d’Aurélie Filippetti rue de Valois.
Et si nous persistons dans cette demande, c’est que nous sommes convaincus que l’économie ne doit pas l’emporter sur l’humain, que l’imaginaire n’a pas de prix, et que l’art et la culture sont la clé de voûte de la démocratie et du progrès social.