Comme la liberté, la démocratie n’a pas de prix. Si elle n’est pas négociable, elle n’en demeure pas moins excessivement fragile. Pour la consolider, il faut sans cesse l’interroger, la construire et la reconstruire, la prolonger tout en la transformant. La démocratie est une tâche immense et un combat permanent et exaltant qui n’a d’égal que les rêves de paix, l’espoir de la rencontre et du dialogue des différences, celui de la multiplication des pluriels.
Nos fractures et nos fraternités
Les attentats infâmes perpétrés en ce tout début d’année sont venus nous rappeler à la mémoire de nos fragilités et de nos fractures. Ces événements qui ont fait chanceler tout un pays ont aussi suscité un élan de solidarité et de fraternité extraordinaire en France comme au plan international. Des rassemblements et des manifestations hors du commun par leur ampleur et leur spontanéité ont symbolisé et signifié la volonté de se retrouver dans une même foi de valeurs communes et de faire peuple.
La République sans fard
La stupeur et l’émoi passés, le temps est venu d’ouvrir en grand la réflexion sur les raisons profondes de l’irruption d’une telle violence. Si la gravité et la monstruosité des actes sont inouïes, on ne pourra pas feindre de ne pas en avoir vu les signes annonciateurs. La crise économique et sociale qui frappe au cœur une part toujours plus importante de la population est le terreau d’une forme de désespoir et de déshérence. Elle alimente, hélas, les divisions, les replis, tous les racismes et les dérives sectaires, les extrémismes les plus irréductibles et les plus dangereux.
Il faut certainement avoir enfin le courage de regarder en face que la République a peu à peu relégué pour ne pas dire abandonné des territoires entiers, se trouvant alors incapable de se faire entendre et de reprendre langue, émotion et raison avec celles et ceux qu’elle a fini par oublier. A trop parler des quartiers pour mieux les écarter, on ne voit plus non plus la tragédie des solitudes périurbaines et des campagnes en friche. Ces cécités sont une faute. L’exclusion engendre l’exclusion pour conduire à l’irréparable.
De la dérive gestionnaire à l’indispensable refondation
A voir la situation depuis le ministère de la culture et plus particulièrement du point de vue de l’engagement syndical qui est le nôtre depuis des années, on ne peut s’empêcher de considérer que le service public est passé à côté du plus important. Tournées vers des priorités économiques et gestionnaires imposées par le dogme libéral, et cadenassées par des contraintes budgétaires intenables, les politiques publiques culturelles auront manqué le virage des changements et des refondations indispensables.
Entendre les invisibles
N’hésitons pas à affirmer que le concept de démocratisation de la culture qui présida à la création du ministère de la culture en 1959 doit pouvoir être questionné et dépassé. Car s’il s’agit de diffuser la culture du haut vers le bas, alors elle ne va vraiment nulle part et laisse de côté des populations depuis longtemps en souffrance et pour ainsi dire invisibles aux réseaux institutionnels.
Une insulte permanente à la diversité
A-t-on seulement idée de la peine et du ressentiment des gens auxquels nous voulons tant bien que mal transmettre la Culture, quand leurs cultures ne sont quasiment pas représentées et si souvent tout simplement niées. Le spectacle affligeant d’un pouvoir engoncé dans un entre-soi et des notabilités inexpugnables est une insulte permanente à la diversité.
Pour une République sociale et laïque
Sauf à s’aveugler pour le pire, le ministère de la culture auquel nous sommes tant attachés se doit de bousculer un modèle incroyablement élitiste et de toute évidence à bout de souffle.
Malgré les attaques répétées dont il a été la cible sous la droite comme sous la gauche, le ministère a su conserver des forces et des compétences humaines irremplaçables qui peuvent lui permettre de réagir et de devenir l’un des principaux acteurs d’une transformation démocratique, le porte-drapeau généreux d’une République sociale et laïque.
Ensemble pour une culture populaire
Les politiques et les actions du ministère de la culture doivent favoriser la rencontre et le partage, la beauté et la puissance d’un imaginaire pétri de controverse, d’audace, de tolérance et de fraternité.
Plutôt que de céder au pessimisme ambiant et à un déclinisme mortifère, nous sommes convaincus et nous voulons convaincre que l’Etat et le ministère de la culture peuvent participer de la renaissance d’une culture populaire. L’Etat et le ministère le peuvent incontestablement à condition d’ouvrir en grand portes et fenêtres et d’agir en étroite collaboration avec les collectivités territoriales, le tissu associatif, les acteurs sociaux, le monde du travail dans ce qu’il porte au travers des confrontations les plus vives, et a fortiori dans l’expression libre et reconnue des populations.
La démocratie est une bataille culturelle que nous allons gagner ensemble.