Voici bientôt dix ans, la loi ouvrait l’archéologie préventive aux opérateurs privés. Ces entreprises se sont rapidement imposées, avec le soutien des pouvoirs publics, dans le nouveau paysage concurrentiel. L’archéologie préventive – et ses personnels – se sont ainsi retrouvés « prisonniers d’une logique commerciale qui n’a rien à voir avec celle de la recherche scientifique »[Appel « [L’archéologie préventive doit être réformée ».]]
Dans un entretien publié par le journal Le Monde du 10 septembre 2012, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, s’inquiétait des « stratégies particulièrement agressives » de ces entreprises privées et déclarait vouloir « revoir les règles sur l’archéologie préventive ». Un mois plus tard, elle installait la commission chargée de rédiger un livre blanc sur l’archéologie préventive, soulignant que « personne ne doit imaginer pouvoir réduire l’archéologie préventive à un simple marché de prestations commerciales »[[Discours prononcé par Aurélie Filippetti , ministre de la Culture et de la Communication, le 5 octobre 2012, à l’ouverture de la première réunion de la commission d’évaluation scientifique, économique et sociale du dispositif d’archéologie préventive..]]
La « commission du livre blanc » vient de rendre ses conclusions [[Commission d’évaluation scientifique, économique et sociale du dispositif d’archéologie préventive, Livre blanc de l’archéologie préventive]]. Curieusement elle ne dresse aucun bilan sérieux des dérives engendrées par l’introduction de la concurrence commerciale en archéologie préventive, pourtant à l’origine de la décision ministérielle d’engager une réforme. Les entreprises privées d’archéologie préventive, les conditions économiques et sociales de la production scientifique dans le secteur privé, sont de grands absents du livre blanc.
Pour tenter de pallier cette absence, la CGT a décidé de rendre public un rapport qu’elle a élaboré sur le secteur privé de l’archéologie préventive.
Ce rapport ne remet pas en cause l’engagement, la qualification ou la qualité du travail des personnels de ces entreprises, qui n’ont bien souvent pas eu d’autres choix pour exercer leur profession. Il s’attache à détailler les logiques à l’œuvre depuis l’ouverture du « marché » à la concurrence et à éclairer les intérêts privés de quelques-uns, qui se cachent derrière le discours sur la défense de l’intérêt général de l’archéologie.
De cette étude, on retiendra les éléments suivants :
Le développement rapide du secteur privé – dont le poids réel est par ailleurs surestimé par ses laudateurs – n’a été possible que par un « partage du territoire » entre les principaux opérateurs, un accès aux financements publics via le FNAP et une politique contraignante vis-à-vis de l’Inrap. Le « marché » de l’archéologie préventive n’a pas trouvé son « point d’équilibre », avec une situation concurrentielle qui n’existe véritablement que depuis la fin des années 2000 et une situation économique globale qui se dégrade. Les dérives engendrées par l’introduction de la concurrence commerciale (dumping sur les moyens d’intervention et d’étude, rupture de la chaîne scientifique, précarisation, etc.), que d’autres pays européens ont connu avant la France, ne font que commencer…
Le développement du secteur privé a profondément déstabilisé l’Inrap et ses équipes mais déstabilise aussi, plus récemment, certains services archéologiques de collectivités locales.
L’archéologie préventive est devenue une activité très lucrative, avec des entreprises privées qui dégagent des bénéfices considérables et rémunèrent grassement une poignée d’actionnaires qui développent des stratégies patrimoniales sophistiquées.
La commission du Livre blanc a souligné la faiblesse du contrôle scientifique à l’occasion de l’attribution des agréments. L’absence de contrôle exercé par les pouvoirs publics sur la situation financière et sociale de ces entreprises privées fait peser des risques importants quant à la pérennité des emplois et entraîne un développement de la précarité pour l’ensemble de la profession.
Sortir de ce système infernal
Selon les promoteurs de la loi de 2003, notamment le directeur de cabinet de Jean-Jacques Aillagon [[Nommé par la suite directeur de la concurrence par Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, Guillaume Cerutti est aujourd’hui président directeur général de Sotheby’s France, numéro deux du marché de l’art.]], le contrôle des opérateurs d’archéologie préventive par les services de l’Etat devait garantir la qualité scientifique des opérations. En termes courtois, la commission du livre blanc relève aujourd’hui la faillite de ce système. Pour ce qui concerne les attributions d’agrément, censées assurer un contrôle a priori, le dispositif adopté en 2003, qui confie cette responsabilité au CNRA, montre toutes ses limites.
Comme l’ont montré les scandales récents du Médiator ou de la viande de cheval, la solution à ce type de question ne peut se trouver dans le développement de l’autocontrôle, type charte de qualité, ni dans la privatisation d’une partie du contrôle, comme envisagé dans la proposition d’un nouvel agrément pour assistance à maîtrise d’ouvrage. En cette période d’austérité, le nécessaire renforcement des SRA ne pourra vraisemblablement pas se faire à hauteur des besoins de contrôle générés par le développement anarchique de la concurrence auquel on assiste sous la pression de la crise.
Pour l’ensemble de la chaîne opératoire de l’archéologie préventive, le retour à un monopole public, déjà validé juridiquement en avril 2003 par le conseil d’état dans son avis 244 139, est aujourd’hui la solution la mieux à même de concilier les exigences d’une réelle protection du patrimoine avec les souhaits d’économie budgétaire et de simplification administrative affichés par le gouvernement. Ce retour à un réel service public permettrait la mise en place d’un pôle public de l’archéologie préventive associant les services et établissements publics du ministère de la Culture, les collectivités territoriales, le CNRS et l’Université. Une telle réforme mettrait fin aux profits indécents dégagés par quelques actionnaires sur l’archéologie préventive, les salariés de ces sociétés pouvant trouver des possibilités de reclassement ou d’intégration dans les différentes institutions publiques.
l’étude en intégralité au format PDF en PJ ci-dessous :
etude CGT secteur prive archeologie preventive