Le nouveau projet d’aménagement du Louvre ne naîtra pas de « la cuisse de Jupiter »

CGT-Louvre, 18 mars 2025

Nous le savons, les fuites abondantes de la Direction, largement relayées par la chronique, ont conduit récemment par capillarité le « chantre du ruissellement » à s’exprimer sur les enjeux cruciaux auxquels est confronté notre établissement.

C’est dans ce contexte que le Président de la République a, dans un discours prononcé au musée du Louvre devant la Joconde le 28 janvier 2025, esquissé à grands traits un projet intitulé « Louvre Nouvelle Renaissance » dont la mission salvatrice (après celle de Notre-Dame) lui reviendrait. Il n’aura échappé à personne que cette dénomination fait bien entendu écho au parti politique « Renaissance », rassemblé à l’Assemblée nationale désormais sous le nom du groupe parlementaire « Ensemble pour la République » qui a lui-même succédé au groupe « La République en marche » (LREM) reprenant dans ses dernières lettres les initiales du chef de l’exécutif, Emmanuel Macron.

C’est dire à quel point ce dernier cherche à associer son nom et sa mouvance politique à celle de l’histoire du Louvre, croyant très probablement, non sans une certaine naïveté et par manque de conscience historique, par ce biais donner un second souffle à un parti politique ayant perdu sa vitalité, comme en témoigne les dernières élections législatives.

Il faut dire que le chef d’Etat n’en est pas à sa première affirmation égocentrique puisque, naguère, il était déjà venu consacrer son investiture devant la pyramide du Louvre croyant pouvoir ainsi bénéficier d’un rayonnement culturel et historique susceptible de le faire entrer dans la légende des siècles.

La CGT rappelle que l’enjeu universel de conservation et de transmission de notre établissement dépasse la personne du chef de l’Etat car, pour reprendre le mot de Pascal, « l’homme passe infiniment l’homme » sans qu’il ne retienne très certainement trace d’un Président de la République, qui reste loin d’être, au sens historique du terme, un « grand homme ». En effet, nous réaffirmons que notre établissement n’a pas vocation à laver, d’un trait de plume, ses turpitudes notamment, la plus grossière, celle d’avoir dissous l’Assemblée nationale.

En d’autres termes, le nouveau projet d’aménagement du Louvre ne « naîtra pas de la cuisse de Jupiter » mais bien des forces vives et de l’intelligence collective de celles et ceux qui font vivre et donnent sens à notre établissement. La CGT réclame en conséquence, comme elle a pu l’exprimer lors du dernier conseil d’administration de l’établissement le 11 mars 2025, que le projet de réaménagement du Louvre ne soit pas dénommé sous l’intitulé sous lequel la Direction le présente aujourd’hui.

L’universel contrarié

Au-delà de sa personne, le chef de l’exécutif réaffirme la volonté d’inscrire le Louvre dans un récit national renouant avec l’universel de préservation des œuvres, de transmission des savoirs et du dialogue des cultures.

La CGT souscrit bien évidemment à cette prétention dès lors que les conditions puissent être matériellement créées pour réaliser un tel projet.

Elle salue en particulier le redoublement des efforts pédagogiques annoncés qui devraient permettre aux plus jeunes d’accéder à la richesse de nos collections sous réserve que leur accueil soit réellement accompagné et qu’il n’entrave pas la réalisation des autres missions nécessaires à la poursuite de nos activités.

Quel avenir pour la démocratie culturelle ?

C’est dans cette perspective que la CGT martèle depuis fort longtemps la nécessité de donner son entière consistance à nos missions d’accueil en les renforçant dans leur dimension de médiation culturelle, à travers des efforts de formation spécifiques notamment en langue, en matière d’histoire de l’art et d’utilisation des outils numériques.

Par ailleurs, la CGT considère que, dans un souci de démocratie culturelle, des perspectives supplémentaires devraient être dégagées vers le monde du travail en permettant notamment aux classes sociales les plus démunies d’avoir un égal accès aux collections du Louvre. Pour ce faire, la CGT ne cesse de prôner l’augmentation significative de conclusions de conventions avec les comités sociaux d’entreprise dont une partie du budget peut être consacré aux activités sociales et culturelles au bénéfice des salariés et de leurs familles.

Cette revendication est portée avec d’autant plus de force que les actuelles missions relatives à la démocratie culturelle menées par la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle (DG2TDC) nous semblent menacées d’une relégation au second plan dans le cadre de la création d’une direction générale de l’enseignement et de la démocratie culturelle au ministère de la Culture. 

Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler que, si en 1973 le taux de fréquentation des musées et des expositions chez les cadres était deux fois supérieur à celui des catégories populaires (employés et ouvriers), en revanche, en 2018, il est 3,4 fois plus élevé (source : ministère de la culture – observatoire des inégalités).

En d’autres termes, les inégalités sociales dans l’accès à l’offre culturelle des musées et des expositions s’accroissent. Ainsi,depuis l’étude menée par Pierre Bourdieu et Alain Darbel publiée sous le titre l’Amour de l’art, la reproduction de classes poursuit ses effets sans épargner le monde dans sa dimension culturelle : l’accès aux œuvres artistiques est à la fois ouvert et interdit en fait de plus en plus au plus grand nombre.

Pour contredire cette logique capitaliste de reproduction de classes, encore faut-il notamment développer l’offre culturelle muséale dans le cadre des activités sociales et culturelles proposées en entreprise (à travers une contribution financière nécessaire des employeurs) au bénéfice des salariés et de leurs familles. Tout en étant proposées en complément du processus de production, ces activités, mises en place en 1945 en faveur de la classe ouvrière, participent à l’élargissement des connaissances des salariés, à un meilleur épanouissement personnel et à l’amélioration des conditions de vie et de travail. Tout autant que le développement de la pratique sportive et un accès facilité aux vacances, elles favorisent l’émancipation des salariés par un enrichissement de leurs cultures. La culture (notamment celle des musées plutôt que les attractions d’un parc comme, par exemple, celui du Puy du Fou…) constitue ainsi un véritable vecteur de transformation sociale.

Un financement désavouant l’universel

Outre les interrogations portant sur les contraintes techniques à dépasser pour mener à bien un tel projet dans le respect de la préservation des œuvres (en particulier dans de nouveaux espaces en zone inondable) et des conditions de travail des agents de l’établissement,la CGT se demande si la prétention à l’universel de ce projet n’est pas remise en question à travers le financement envisagé.

Nous noterons au passage que le Président de la République mélange pêle-mêle les formes de financement affectées pour ce projet puisqu’il a affirmé dans son discours que « l’intégralité des travaux de ce nouvel accès sera financée par les ressources propres du musée, les billetteries, le mécénat, la licence du Louvre Abu Dhabi, sans peser sur le contribuable. »

Cette confusion dans l’allocution présidentielle est d’autant plus critiquable que l’idée qui a été largement portée devant l’opinion publique est que ce qui justifie l’augmentation du tarif des billets d’entrée envisagée par notre établissement serait la création des nouveaux espaces et accès au musée du Louvre alors qu’en réalité ce sont la licence de marque du Louvre Abu Dhabi et une campagne de mécénat de niveau international qui seront mobilisés pour financer ces créations. Et ce, alors que le schéma directeur sera financé par une contribution de l’Etat qui devrait être confirmée par le ministère de la culture et par une tarification spécifique pour les visiteurs non européens.

En tout état de cause, les levées de fonds envisagées appellent plusieurs observations critiques.

En premier lieu, soyons clairs : le Louvre envisage une nouvelle fois d’augmenter la tarification des billets d’entrée pour parvenir à un prix exorbitant. Pour la CGT cette mesure qui vient s’ajouter aux différentes augmentations tarifaires significatives observées ces dernières années ne participe pas à réaliser l’universel visé puisqu’il rend l’accès à nos collections plus difficile à travers la mise en place d’un obstacle pécuniaire tendant à devenir dirimant. Cette mesure ne va dès lors pas dans le sens de la démocratisation culturelle escomptée.

Par ailleurs, la CGT condamne le projet de mettre en place dès 2026 une tarification pour les visiteurs non européens. Une telle discrimination ne peut en aucun cas servir l’idéal d’universalité auquel prétend la Direction.

En deuxième lieu, le Président de la République avance sans trop de précaution la possibilité d’atteindre 12 millions de visiteurs par an avec les extensions d’espace envisagées. Il est à cet égard peu probable qu’une augmentation de la fréquentation de 33% sur une surface des espaces rehaussée de moins de 5 % soit de nature à réellement faciliter la circulation et améliorer le confort de visite, malgré la création d’une nouvelle entrée, d’un lieu dédié à la Joconde et de nouveaux lieux de restauration pour les visiteurs.

Autrement dit, ce nouveau projet consacre la fin de la jauge instaurée en 2022 de 30 000 visiteurs par jour. Il annonce donc très certainement la poursuite de la dégradation des conditions de travail des agents de notre musée et de ces conditions de visite.

En troisième lieu, c’est une intensification du mécénat selon une campagne de niveau international qui est programmée. La CGT dénonce cette nouvelle course effrénée à la marchandisation, marquant sans vergogne le désengagement de l’Etat, qui est largement assumée par la Direction du Louvre. Tout au plus cette dernière accepterait-elle de porter un regard plus vigilant sur l’éthique des mécènes sans s’interroger sur les limites du modèle économique déployé.

La CGT alerte en tout état de cause d’ores et déjà sur les dérives auxquelles pourrait conduire ce projet :

  • la privatisation d’espaces au détriment des lieux d’exposition au public ;
  • l’exportation des compétences et des savoir-faire au détriment de la coopération culturelle et scientifique ;
  • l’exploitation accrue du nom du musée comme une marque commerciale, ce qui ne constitue pas sa vocation ;
  • la location d’œuvres au détriment de leur conservation et de la réduction de l’empreinte carbone ;
  • l’ouverture de succursales à l’étranger au détriment des intérêts matériels et moraux de nos établissements muséaux.

Nous relevons également au passage que, dans son allocution, le Président de la République évoque principalement le projet de réaménagement du Louvre dans ses interactions urbaines sous l’angle des effets d’une économie dérivée, prenant notamment pour jalons dans le quartier, la Samaritaine, la Fondation Cartier et la Fondation Pinault, ce qui laisse apparaître une vision bien restrictive de la cité et de ses enjeux.

Enfin, c’est le projet culturel lui-même d’un espace dédié à la Joconde qui exige d’être interrogé.

Certes, le maintien de la présentation de la Joconde dans la salle des Etats doit être questionné en son bien-fondé, en particulier en ce que l’accès à cette œuvre peut sembler en l’état insatisfaisant, heurtant au demeurant nos conditions de travail de plein fouet dans l’exercice de nos missions de service public.

Mais ne prend-on pas le risque en créant un espace unique pour la Joconde de la sacraliser davantage, en la séparant totalement du reste du parcours muséal dans lequel elle s’inscrit et du dialogue qu’elle entretient avec d’autres œuvres auxquelles sa renommée peut faciliter l’accès ?

Force est, à tout le moins, de constater que bien d’autres musées de rayonnement international n’ont pas pris le parti de créer un tarif augmenté pour donner à voir leurs chefs-d’œuvre les plus célèbres, qui, mis en valeurs dans des salles dédiées, ne sont pas pour autant coupées du reste des collections.

A cet égard, si l’on admet que séparer une œuvre dans un espace privilégié ne donne pas en soi plus de clefs de compréhension pour en appréhender la richesse, il resterait au projet de créer un espace dédié à la Joconde surtout sa visée commerciale, faisant, malgré son vernis d’universalité, simplement du Louvre le vaisseau amiral des industries culturelles et touristiques.

Bien plus, le tarif augmenté (couplant collections permanentes du Louvre + Joconde) pourrait faire courir le risque de ne voir Mona Lisa visitée que par les touristes étrangers, se disant qu’un effort pécuniaire supplémentaire peut bien être fait au regard de la distance parcourue pour venir la contempler.

La Joconde diviserait ainsi les publics, ce qui nous éloignerait encore une fois des visées universalistes que l’on voudrait hâtivement assigner au projet de réaménagement du Louvre.

Et Manu, tu descends ?

Lors du dernier CSA du musée du Louvre en date du 4 mars 2025, la Présidente Directrice de l’établissement a affirmé que chaque groupe de travail qui accompagnerait, selon différentes thématiques, le projet de réaménagement du Louvre aurait pour préoccupation majeure les conditions de travail des agents.

Si l’on admet que les représentants des organisations syndicales représentatives de cet établissement ont vocation, du fait de leur légitimité issue des urnes, à connaître de ces sujets, pourquoi la Direction s’oppose-t-elle à ce qu’ils participent à chacun de ces groupes de travail ?

Par ailleurs, la CGT rappelle que, sous les fourches caudines de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la modernisation de l’action publique (MAP), notre établissement a perdu près de 200 emplois en l’espace de quinze ans et ce sont 12 emplois supplémentaires à temps plein qui sont menacés de suppression en 2025. Il va de soi dès lors que l’ambition présidentielle ne saurait être réalisée avec un Louvre exsangue.

La CGT revendique à ce titre de retrouver à tout le moins 200 emplois statutaires à temps plein pour permettre aux agents de cet établissement de mener à bien leurs missions de service public dans des conditions dignes de travail.

Que les chefs de l’exécutif et du gouvernement ainsi que le patronat se le tiennent pour dit : la CGT n’admettra pas que la situation internationale soit instrumentalisée pour imposer l’austérité, les coupes dans les services publics et la remise en cause des droits et des libertés notamment syndicales. 

Nos services publics sont les piliers indispensables de la cohésion de nos sociétés. Il est donc temps de sortir de la brutalité. La véritable audace consisterait à cet égard à privilégier la culture aux canons.

En outre, il ne saurait nullement être admis que la création envisagée de nouveaux espaces fasse ombrage à la nécessité impérieuse de répondre non seulement à l’amélioration des conditions de travail des agents de notre établissement mais aussi à l’obsolescence du bâtiment et des équipements techniques qu’il s’agit de faire évoluer en tenant compte des enjeux environnementaux.

La CGT réclame à cet égard que l’audace de l’Etat s’exerce dans un engagement budgétaire ferme de sa part à la hauteur des priorités de rénovation du Louvre.  Elle revendique de surcroît une revalorisation de nos rémunérations permettant la reconnaissance de nos missions.

L’écriture du Louvre 

Enfin, comme nous avons déjà été amenés à l’indiquer, l’écriture du Louvre qui nous intéresse est celle qui se fait avec le flot puissant du sang qui coule dans les veines des agents et, pour reprendre le mot de Nietzsche,  » tu apprendras qu’il est esprit « .