Lettre ouverte
Madame la Ministre,
Le 19 janvier 2008 a connu un déferlement d’amendements issus de votre majorité qui n’augure rien de bon pour l’archéologie préventive. Il met surtout en lumière le peu de soin que vous avez témoigné à cette mission depuis votre arrivée au Ministère de la Culture.
Si ces amendements devaient être adoptés dans les prochains jours, voire les prochaines heures, ils videraient la loi de 2001 modifiée de son sens mais aussi réduiraient à néant, dans les prochains mois, les efforts portés par l’ensemble de la communauté archéologique pour construire un grand service public de l’archéologie préventive au service de la collectivité depuis plus de vingt ans.
Vous n’ignorez pas que les personnels ont toujours porté une vive attention à leur mission, et devant les annonces de l’automne dernier, ils n’avaient pas hésité à se mobiliser le 25 novembre 2008 pour défendre le service public de l’archéologie, lui trouver des solutions pérennes et d’intérêt général.
Le 26 novembre 2008, et devant la mobilisation massive des personnels, vous rappeliez votre attachement au service public de l’archéologie préventive au travers d’un certain nombre d’engagements notamment en matière fiscale et juridique. En revanche, vous persistiez dans le funeste projet de délocalisation du siège de l’Inrap.
En matière fiscale, vous annonciez votre soutien à toute initiative permettant d’augmenter le produit de la redevance archéologique qui constitue une part importante de la ressource de l’Inrap et permet de financer, notamment, les diagnostics et la mutualisation des fouilles. Les collectivités territoriales ont intérêt aussi à connaître une telle augmentation pour réaliser dans de meilleurs délais les opérations de diagnostic.
D’un point de vue juridique, vous précisiez que, bien que consciente de la nécessité d’améliorer les délais de mise en œuvre des prescriptions archéologiques, vous restiez sur la doctrine libérale de multiplication des agréments, sans vous préoccuper, au fond, de la situation liée à la mise en œuvre de la loi de 2001 modifiée, notamment en matière de délais, légitime préoccupation des aménageurs.
Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la loi de 2001 modifiée a engoncé l’archéologie préventive dans la procédure et la norme à n’en plus finir et jusqu’à l’asphyxie.
Néanmoins, vous affirmiez pour la première fois que vous étiez « défavorable à toute perspective d’inscription dans la loi d’un délai minimum de réalisation des fouilles qui risquerait, en exposant l’aménageur à des découvertes fortuites en cas de dépassement du délai, de provoquer des arrêts de chantier pour éviter la destruction de vestiges et ainsi d’aller à l’encontre du souci d’une meilleure maîtrise des délais. »
Force est de constater que, une fois de plus en matière d’archéologie, vous avez choisi l’option « ne rien faire et laisser les circonstances agir ».
Jugez-en par vous même.
La multiplication, ces derniers jours, des amendements sur les délais dans le Code du patrimoine laisse penser que le message est très mal passé auprès des aménageurs et qu’il reste encore à réaliser un grand travail de conviction de la part du gouvernement, de votre part et de celle de votre Cabinet.
La proposition de réduction des délais d’instruction d’un mois à 21 jours ne change en rien le délai de délivrance des autorisations (PC, etc…) et donc n’accélère pas les programmes de construction, objet même du projet de loi. Cette mesure n’a donc pas d’autre objectif que de plonger les services régionaux de l’archéologie dans la difficulté.
Pis encore sont toutes les propositions des parlementaires qui chaînent l’ensemble de la procédure, de la prescription de diagnostic et de fouille à leurs réalisations, dans des délais très contraints – tout en méconnaissant les us et coutumes de l’aménagement du territoire mais aussi ses règles élémentaires – et qui ont pour volonté de rendre possible la caducité des prescriptions de l’Etat en cas de non respect des délais par les opérateurs. En permettant aux intérêts privés de faire échec aux prescriptions de l’Etat, ces propositions remettent en question le principe même de l’archéologie préventive, et sa dimension de mission de service public.
Le principe est choquant. En outre, les délais proposés par certains sénateurs sont une véritable provocation surtout quand ils ne sont assortis d’aucune augmentation du produit de la redevance d’archéologie préventive.
On voudrait casser ce service public et jeter aux oubliettes la recherche archéologique, on ne s’y prendrait pas autrement ! Est-ce le choix du gouvernement ?
Enfin, l’ultime amendement de la journée du 19 janvier ouvre une porte immense sur les régressions statutaires ; vous-même vous êtes engagée, le 26 novembre, à ce que l’emploi permanent soit pourvu par le contrat à durée indéterminée. Votre gouvernement va-t-il sonner le retour de l’ultra-précarité en tordant le cou au droit ?
Votre gouvernement, sous couvert de plan de relance, va-t-il ignorer et laisser faire des parlementaires qui semblent méconnaître les plus anciennes convention et directive européennes et les lois fondamentales ?
Qui va croire un instant que les amendements déposés par votre majorité vont permettre à l’Etat de « veiller à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. », comme le rappelle la loi ?
Qui va croire que les amendements déposés dernièrement sont l’ultime transposition française de la Convention européenne de Malte pour la protection du patrimoine archéologique ?
Compte tenu de l’extrême gravité de la situation, La CGT-Culture estime que vous devez, dans les heures qui viennent, et avant l’examen de ces amendements au Sénat, recevoir personnellement les organisations syndicales ministérielles pour expliciter quelles sont les positions du gouvernement sur ce dossier.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, nos salutations de syndicalistes vigilants.
Nicolas MONQUAUT
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- 2009 01 20 Lettre ouverte - 138 Ko