Monsieur le Président,
Vous avez placé votre mandat sous le double signe du rassemblement des Français et de leur confiance retrouvée. Vous faites de ces exigences la voie incontournable du renouveau de la démocratie et de la devise républicaine.
La campagne électorale est venue nous rappeler, s’il en était encore besoin, les multiples fractures, les inégalités et les divisions qui fragmentent notre société. Le désenchantement, le sentiment d’abandon et la colère sont tels que la candidate d’un parti d’extrême droite aura recueilli près de 11 millions de voix au second tour de l’élection présidentielle ; ce qui constitue à la fois un choc mais aussi un échec cuisant et une alerte pour nos institutions et la classe politique dans son ensemble.
C’est donc dans ce contexte singulièrement compliqué et tendu que vous avez accédé à la plus haute des fonctions. Les défis auxquels notre pays est confronté sont immenses. Ils nécessitent, nous le croyons, d’instruire une culture nouvelle du débat et du dialogue, et de donner une place centrale et renforcée à la démocratie sociale.
Vous avez pris à de nombreuses reprises l’engagement de faire de la culture l’une des priorités du quinquennat. Nous nous en réjouissons et nous voulons souhaiter la bienvenue à Madame Nyssen rue de Valois.
Le maintien d’un ministère de la culture de plein exercice constitue en soi un signal fort. Pour autant, nous savons bien que mettre en correspondance les politiques de ce ministère avec la société d’aujourd’hui et les attentes de nos concitoyens requiert énormément de travail, infiniment de détermination, le temps du débat et de la concertation.
Les politiques de démocratisation de la culture conduites depuis la création du ministère de la culture en 1959 auront permis sans conteste de favoriser l’accès à la culture. Elles auront également largement contribué, au travers d’investissements importants, à l’aménagement et au développement du territoire : ce que l’on appelle parfois le maillage territorial est effectivement essentiel à l’idée d’ouvrir la culture à toutes et tous, en toute égalité, sur l’ensemble du territoire.
De toute évidence, notre pays connaît une fracture culturelle certaine et préoccupante. Toutes les études existantes sur la portée des politiques publiques conduites par l’État et les Collectivités territoriales montrent une forme d’effet de seuil. D’aucuns diront que les politiques culturelles patinent, d’autres qu’elles sont en grande partie obsolètes. Reste que nombre de nos concitoyens, en particulier dans la France rurale, les zones périurbaines et les banlieues, sont de fait exclus de la culture, et comme tenus à l’écart de ce qui pourtant se révèle indispensable à faire société. De ce point de vue, la démocratisation de la culture est un objectif qui reste à atteindre.
Mais dans un monde marqué par l’accélération du temps et des changements tout aussi profonds que disruptifs, nous considérons que le ministère de la culture doit être capable de faire sa révolution. En étroite collaboration, naturellement, avec les Collectivités territoriales, et en proximité avec le réseau admirable que constituent les acteurs et les professionnels de la culture et de l’éducation populaire, et avec le monde du travail, ce ministère va devoir changer de paradigme.
L’heure est à la reconnaissance, enfin, du droit de chacun à l’émancipation. C’est le chemin indispensable vers la dignité et la citoyenneté effectives. Or les droits culturels figurent bien au centre des droits essentiels à la vitalité de notre démocratie. Ils ne peuvent être entravés plus longtemps.
Changer de paradigme, c’est sans nul doute aussi se donner les moyens de se départir d’une conception verticale et descendante de la culture. La culture, quand elle va du haut vers le bas ne va, hélas, le plus souvent nulle part. Elle laisse alors de côté des populations durablement en souffrance et pour ainsi dire invisibles aux politiques institutionnelles. Toutes les cultures, dans leur diversité et leurs potentialités inouïes, doivent être entendues et représentées. La diversité n’est ni un problème ni un danger, c’est au contraire une chance et l’espérance d’une société apaisée, sûre d’elle-même, forte de sa pluralité et par conséquent ouverte aux autres et au monde.
Malgré les attaques dont il a été la cible par le passé, le ministère de la culture a su conserver des savoir-faire, des compétences et une passion intacte. Il est donc parfaitement légitime à être l’un des principaux acteurs d’une transformation démocratique, le porte-drapeau généreux d’une République sociale et laïque.
L’évaluation des politiques publiques culturelles est certainement l’une des clés de leur réussite. Accepter l’évaluation de notre action, c’est en même temps s’autoriser l’audace des expérimentations et de l’innovation. Ainsi repensées et mieux dimensionnées, nos politiques pourront demain, nous en sommes persuadés, favoriser la rencontre, le partage, la beauté et la puissance d’un imaginaire pétri de controverse, d’impertinence, de tolérance et de fraternité.
Le ministère de la culture pourra ainsi, dans son action singulière mais en permanence conjuguée à celle des autres ministères, prendre toute sa part à l’éclosion de l’idée régénératrice de communs. Une idée qui fait en effet son chemin alors que la révolution numérique laisse entrevoir la possibilité de procès collaboratifs et de projets participatifs susceptibles d’agir contre les exclusions et les discriminations.
La culture est partie intégrante des communs. C’est pour nous le sens d’une proposition alternative qui peut faire concrètement contrepoids à ce consumérisme aveugle et mortifère qui va jusqu’à clôturer, privatiser et commercialiser le vivant, et par conséquent la culture. Ce concept est aussi le fondement du combat sans relâche pour la défense de l’exception culturelle, de la liberté d’expression, de la liberté de création et de diffusion ; la défense de l’art et des artistes.
Il ne s’agit pas, vous l’aurez compris, Monsieur le Président, de faire le deuil de la démocratisation de la culture et de la diversification assumée et heureuse des publics sans aucune exclusive, non.
Mais il vous revient désormais, avec Madame la Ministre, de donner l’élan tant attendu à l’essor raisonné, serein mais résolu d’une démocratie culturelle, une démocratie émancipée et refondée.
Nous avons l’honneur, Monsieur le Président, de vous prier d’agréer l’expression de notre très haute considération.
Pour la Cgt-Culture, Valérie Renault Secrétaire générale et Jean Paul Leonarduzzi Secrétaire général adjoint
Paris, le 21 juin 2017