Communiqué de presse – Archéologie préventive
Conseil d’administration de l’Inrap du 23 novembre 2018
Depuis l’été, la guerre des prix reprend de plus belle en archéologie préventive, dans un contexte d’activité toujours morose. Les attaques contre l’Inrap sont de retour, avec une nouvelle plainte déposée par les dirigeants d’Eveha, cette fois auprès de la Commission Européenne. La concurrence fait rage, des marchés de fouilles sont attribués dans des conditions parfois douteuses sans que la direction de l’Institut ne réagisse. Ces questions ont été portées par les représentants du personnel CGT lors de la dernière réunion du Conseil d’administration de l’établissement, le 23 novembre 2018. La réponse des tutelles fut sans complexe : instruction a été donnée à l’Inrap de ne pas engager de recours juridique contre son principal concurrent, même si des irrégularités sont constatées dans l’attribution de certains marchés !
C’est reparti pour un tour ! Les dirigeants d’Eveha ont décidément de la suite dans les idées. En septembre 2015, la société saisissait l’Autorité de la concurrence en dénonçant les « pratiques anticoncurrentielles » de l’Inrap. N’ayant pas obtenu gain de cause auprès de cette Autorité pourtant très libérale, Eveha récidivait en mars dernier et annonçait porter plainte contre l’Inrap pour « prise illégale d’intérêt ». Elle écrivant au passage à l’ensemble des préfets pour leur « suggérer » de ne plus délivrer d’autorisations de fouille à l’Inrap lorsqu’un chantier est « FNAPé » (subventionné par le Fonds National d’Archéologie Préventive), sauf à se rendre « complice » de cette « prise illégale d’intérêt ». Voici maintenant que la société Eveha porte plainte auprès de la Commission Européenne. L’information avait « fuité » au début de l’été à l’occasion de la sortie du jugement du tribunal de commerce de Limoges prolongeant la « période d’observation » de la holding Eveha, également en procédure de redressement judiciaire, pour « permettre […] la poursuite de la procédure de plainte devant la Commission Européenne » ; elle a été confirmée il y a quelques semaines par une lettre de la Direction de la Concurrence de Bruxelles reçue par l’Inrap. Dans cette nouvelle attaque contre le service public de l’archéologie, l’obsession des dirigeants d’Eveha est toujours la même : obtenir, coûte que coûte, l’exclusion de l’Inrap du marché des fouilles préventives.
Attaquer l’Inrap d’un côté, relancer la guerre des prix de l’autre, voici aujourd’hui les deux piliers de la stratégie de la direction d’Eveha pour se sortir de l’ornière. Depuis l’été, les personnels des directions interrégionales et régionales de l’Inrap font remonter au siège les cas d’attribution de marchés publics d’archéologie préventive à cette société qui interrogent : tarifs pratiqués extrêmement bas, engagements sur des délais de rendus de rapports irréalistes, opérations de fouilles dont la date d’achèvement est postérieure à la date de fin de période d’observation judiciaire de l’opérateur, etc. Le dernier dossier en date est celui de Vichy1, où la fouille a été attribuée à Eveha à un prix inférieur de plus de moitié à celui présenté par l’Inrap, pour une opération de fouille d’une durée bien supérieure à la durée pour laquelle la société a été autorisée par le tribunal à poursuivre son activité et alors qu’elle ne dispose pas de l’agrément subaquatique pour l’Antiquité – mais, est-ce un problème quand on s’attend à découvrir des vestiges immergés du pont antique de Vichy ou des embarcations romaines ?
L’Inrap a-t-il contesté l’attribution de ce marché ? Non, rien.
Semelles de plomb
L’adoption du budget prévisionnel de l’année à venir est toujours à l’ordre du jour du Conseil d’administration de fin d’année. Pour 2019, les perspectives ne sont pas brillantes, avec une activité toujours en berne, mais stable par rapport à 2018, et la projection d’un nouveau déficit estimé autour de 10 millions d’€, qui va grever un peu plus les fonds propres de l’établissement. Dans ce contexte, l’adoption de la comptabilité analytique a un mérite : clarifier la répartition des charges entre secteur concurrentiel (les fouilles) et secteur non-concurrentiel (les diagnostics, la valorisation auprès des publics et la recherche). Elle démontre surtout que l’activité concurrentielle, qui devrait dégager en 2019 un excédent de 13 millions d’€, sert aujourd’hui à financer l’activité non concurrentielle, déficitaire de 23 millions d’€. En d’autres termes, les prix unitaires aujourd’hui pratiqués par l’Inrap sont maintenus à un niveau artificiellement élevé pour compenser le sous financement par l’État des missions de service public. Non seulement l’Inrap ne peut faire valoir ses droits en cas d’irrégularité dans la « compétition » pour l’obtention des marchés de fouille, mais les tutelles ministérielles font courir l’Institut avec des semelles de plomb. Une situation une nouvelle fois dénoncée par les représentants du personnel CGT et qui ne pourra durer sauf à ce que l’Inrap ne replonge dans la crise.
À l’occasion du dernier Conseil d’administration, les représentants des personnels CGT ont interpellé la direction de l’Institut sur sa passivité et son incapacité à défendre l’établissement. La réponse est venue des tutelles ministérielles : instruction a été donnée à la direction de l’Inrap de n’engager aucune procédure contentieuse contre Eveha, quand bien même elle estimerait que la loi n’a pas été respectée et qu’une attribution de marché n’est pas conforme au droit. Vous avez dit « concurrence libre et non faussée » ? Certains compétiteurs ont décidément des entraves aux chevilles, tandis que d’autres se jouent des règles avec la bénédiction de l’arbitre !
Cette position des tutelles ministérielles est particulièrement choquante alors qu’Eveha poursuit ses attaques contre l’Inrap. Elle est d’autant plus inacceptable qu’elle contrevient aux obligations d’impartialité et de neutralité qui s’imposent à tout agent public, et donc à celles et ceux qui, de Bercy à la rue de Valois, exercent la tutelle sur l’Inrap.
Visiblement, l’Inrap n’est pas seul à souffrir de l’absence de volonté de l’État à réguler le système. Fin septembre dernier, le Président du SNPA – le « syndicat » des entreprises privées, dont Eveha ne fait pas partie – adressait un courrier au Premier ministre, à la ministre de la Culture et au ministre de la Recherche pour dénoncer le dumping pratiqué par Eveha. « Depuis quelques mois, écrit-il, malgré sa situation délicate, cette dernière s’est mise à pratiquer des prix anormalement bas, avec des différences allant de 30% à 50%, voire plus, comme l’attestent les nombreux exemples que nous avons fait remonter […]. Dans un marché aussi restreint et spécifique où les marges de manœuvres sont très réduites, ces agissements conduisent à entraîner tous les opérateurs à leur perte dans un délai très rapide. […] Le ministère de la Culture semble faire l’objet de pressions diverses et variées des milieux économiques afin de ne pas compromettre les quelque 220 employés de la société Eveha, alors même que plus de 2 500 salariés des autres opérateurs privés et publics risquent de subir de plein fouet les conséquences de telles pratiques ». La déstabilisation du système est telle que même les plus grands défenseurs de la libéralisation de l’archéologie préventive s’alarment aujourd’hui de l’inaction et de la partialité de l’État !
Face aux attaques dont l’Institut est à nouveau l’objet, face au risque d’une nouvelle spirale déflationniste des prix de l’archéologie préventive, on attend surtout une réaction rapide du nouveau ministre de la Culture. Elle aura clairement valeur de test sur ce que sera sa politique en matière d’archéologie préventive, de défense du service public et de ses personnels et de l’intérêt général.
Paris, le 30 novembre 2018
Contact CGT-Culture : cgt-culture@culture.gouv.fr / tél : 01 40 15 51 70
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1 « Vichy : Eveha l’emporte, le service public boit la tasse ! » – Communiqué de la section Auvergne du SGPA-CGT – https://www.cgt-culture.fr/sgpa-cgt-auvergne-vichy-eveha-lemporte-le-service-public-boit-la-tasse-13352/.
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