Madame la ministre, souhaitez-vous que l’histoire se souvienne de vous comme de celle ayant démantelé les politiques européennes et internationales du ministère de la Culture ?
Hormis les désaccords sur le fond que l’on pouvait avoir avec la nouvelle organisation de l’administration centrale (OAC), elle aurait pu être l’occasion de casser les cloisons construites au moment de la révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2009 et améliorer les coopérations et le travail entre les agents et les services de l’administration centrale. Nous assistons pourtant au contraire : alors que l’administration se veut plus fluide et agile, elle dresse de nouveaux murs. Dans le cadre des instances de dialogue social, nos responsables se targuent de travailler entre eux dans la bonne entente, mais ne mettent rien en œuvre pour qu’il en soit de même avec leurs personnels. Toutes les informations restent bloquées au niveau des chefs de service.
Le ministère de la Culture repose, au sein de la sous-direction des affaires européennes et internationales, sur des équipes dynamiques et compétentes dans leurs domaines d’expertise, convaincues du bien-fondé de l’action européenne et internationale du ministère dans son entier. Elles sont à même de jouer leur rôle auprès des établissements publics, en interministériel et auprès des organisations européennes et internationales pour peu que les lignes directrices soient clairement dessinées et que les délimitations des compétences entre le secrétariat général (SG), chaque direction générale (DG) et chaque établissement public (EP), parfois peu lisibles et très souvent sources de tensions, soient véritablement définies.
La réorganisation de l’OAC ne doit pas détruire ce qui fonctionne et a pris des années à se construire, mais doit au contraire tenter de résoudre les dysfonctionnements existants :
- manque permanent de fluidité dans la transmission des informations entre les services du SG y compris entre les entités au sein de la nouvelle sous-direction et entre la sous-direction et les DG, ainsi qu’avec le Cabinet ;
- illisibilité des modes d’action et de coopération et des délimitations de compétences entre le SG, coordinateur, et les DG, expertes métier ;
- manque de vision d’une politique ministérielle internationale et affaiblissement face au ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE).
Force est de constater que dans l’élaboration de la future organisation, les agents n’ont pas été écoutés ni sur les fonctionnements existants et les nécessaires améliorations ni sur les modalités de travail au quotidien, leurs réels besoins et leur expertise, en particulier sur l’articulation avec les directions métier. Les enjeux toujours plus importants des politiques européennes et internationales n’ont pas été pris en compte.
(Des)organisation du travail qui démontre une méconnaissance profonde de l’action concrète
Concernant le manque de fluidité des informations, il en ressort la volonté de cloisonner et empêcher, ou du moins rendre plus difficile le travail des agents de la SDAEI et des agents des DG. Ce ne doit pas être aux egos de détenir et distiller les informations pour avoir l’illusion du pouvoir. Ces méthodes démontrent une méconnaissance totale du fonctionnement de l’administration centrale et de ses missions, mais également de la réalité de la négociation européenne, de la coopération européenne et internationale ainsi qu’un mépris des agents et de leur travail au quotidien. La hiérarchie devrait plutôt écouter et soutenir ses équipes au lieu de les laisser seules, en première ligne, résoudre les problèmes liés à l’OAC.
La mise en place de la double compétence (géographique et disciplinaire) à la SDAEI, ne recouvre aucune réalité concrète et ne va qu’aggraver les relations de travail et l’organisation interne entre les deux bureaux de la sous-direction, ainsi qu’avec les DG. C’est d’un travail d’intelligence commune en matière européenne et internationale, dans un respect des compétences de chacun, que le ministère a besoin, et non d’une tutelle du SG qui, même s’il avait les intitulés des disciplines et la présence de référents disciplinaires, n’aura jamais l’expertise métier des DG et ne saurait s’y substituer.
Il faut absolument et prioritairement que les agents retrouvent des interlocuteurs dans les DG, dont certains ont changé à cause de l’OAC. Et ce n’est pas empêchant les agents des DG de travailler avec leurs homologues des autres ministères ou des institutions sur la partie métier ou technique dans leur domaine de compétence que le ministère aura une meilleure politique européenne et internationale. Car c’est bien la diversité des champs embrassés qui donne au ministère sa place, enviée par nombre de pays de par le monde.
Quant au projet de service, nous regrettons que le format adopté pour les ateliers ne favorise pas l’échange et la libre parole des agents, tout comme nous nous étonnons que le gros de sa construction soit prévu pendant les congés d’été, ne laissant place à aucun dialogue participatif avec les agents…
(Manque d’)ambition politique
Il est important de ne pas confondre les politiques européennes et internationales.
La politique européenne conduite par le ministère doit se saisir des enjeux qui touchent les secteurs culturels dans toutes les réglementations européennes en matière de commerce, de concurrence, de numérique, de modèle social et de statuts des professions de la culture, de protection des œuvres, de pluralité et liberté des médias etc. Le bureau des affaires européennes fait un travail reconnu par tous, en ajoutant son expertise juridique et de négociation à l’expertise métier des DG.
De son côté, la politique internationale du ministère souffre d’un manque de vision, de dynamisme et surtout d’une définition de lignes directrices et d’enjeux stratégiques qui doivent être définis par la Ministre et son Cabinet. La diversité culturelle est pourtant un enjeu essentiel pour notre pays et doit se traduire par des objectifs embrassant l’ensemble de ses dimensions. Cela passe notamment par la promotion des échanges culturels, la construction de partenariats et de coopérations institutionnelles avec d’autres pays et l’accueil des cultures étrangères en France.
L’action internationale et européenne du ministère est l’un des fondements de la défense de cette diversité culturelle, pour l’enrichissement des cultures, la rencontre des cultures française et étrangères. Si nous pouvons comprendre l’intérêt du ministère pour la rentabilité de l’expertise à travers des services facturés, il n’en demeure pas moins essentiel de développer la coopération. Nous soumettons sur ce point l’idée de créer un fond pour la coopération qui serait alimenté par une partie des recettes liées à l’expertise.
Au regard de la situation critique de la sous-direction des affaires européennes et internationales et du manque de considération de l’expertise de ses agents, pourtant reconnue par leurs interlocuteurs et qui prend des années à se construire, beaucoup d’entre eux cherchent – quand ils n’y sont pas invités – à partir. Est-il vraiment opportun pour les responsables de persévérer en ce sens, alors que la présidence française de l’Union Européenne va commencer ?
Afin que l’action européenne et internationale du ministère de la Culture soit véritablement à la hauteur de ses enjeux, nous demandons :
- l’abandon du projet de bi-compétence (zone géographique/discipline) qui ne recouvre aucune réalité de travail et pose des problèmes d’organisation interne ;
- la mise en place de nouvelles et bonnes coopérations avec les DG dans le respect de leurs champs de compétence afin de pacifier le quotidien des agents en première ligne;
- la pleine intégration des agents dans les processus de construction du projet de service ;
- l’organisation d’ateliers qui favorisent l’échange et la libre parole des agents et leur restitution avant fin juin, pour que les agents aient la possibilité de réagir ou ajouter des éléments.
- la prise en compte de la surcharge de travail et la priorisation des dossiers ;
- le recrutement sans délai des 8 postes vacants (4 Europe et 4 International), qui a déjà trop tardé. Le travail supplémentaire porté par la Présidence française de l’UE du premier semestre 2022 a déjà commencé ;
- la création d’au moins quatre postes supplémentaires pour permettre de répondre à la situation de sous-effectif structurel et pouvoir travailler correctement ;
- le respect des agents, de leurs droits et de leur expertise ;
- éviter toute vacance entre le départ du Chef de service et l’arrivée de son ou sa successeure.
Madame la Ministre, faites en sorte que les agents puissent accomplir leurs missions dans la sérénité, l’intelligence et la coopération !
Paris, le 14 juin 2021