Madame la ministre,
Nos collègues ont le sentiment d’être sur le Titanic, abandonnés à leur sort, face à un iceberg qui se rapproche de jour en jour. L’arbitrage de votre prédécesseure en faveur d’un établissement public de type « fédéral » rendu en toute hâte le 28 décembre ne peut constituer la seule expression de votre ministère. Madame la ministre, il est inconcevable de laisser s’installer cette impression de désertion de vos services et de laisser quelque apprenti sorcier jouer avec nos institutions multiséculaires.
Pour établir « des coopérations, des synergies positives » entre le Mobilier national et la cité de la Céramique Sèvres Limoges (établissements associés, Groupement d’Intérêt Public) d’autres pistes sont ouvertes. « D’abord il faut savoir quel objectif on vise, et on se met autour de la table, et ensuite, évidemment, le reste va en découler », pour citer vos propos à France Inter le 31 janvier 2024. Dans ce genre de situation, la CGT a toujours été disponible pour trouver des solutions et éviter le blocage.
Nous sommes dans l’obligation de vous faire part de l’inquiétude croissante des agents quant à l’intégrité future des deux établissements ainsi que des conditions d’exercice de leurs missions de service public. Les témoignages nombreux qui remontent des services en raison de la fusion annoncée du Mobilier national et de la Cité de la Céramique nous forcent à tirer la sonnette d’alarme.
Budget : un saut dans l’Océan sans bouée !
Comme vous devez vous en douter, les questions budgétaires sont particulièrement préoccupantes. En effet, le premier budget en autonomie de gestion (2023) du Mobilier national n’a pu être maintenu à l’équilibre que grâce à une rallonge significative en fin d’exercice. Pour ce nouvel exercice et pour les prochains, les agents ont le sentiment d’une fusion à marche forcée dans un climat de tensions sur les finances publiques. Les répercussions des coupes majeures imposées par Bercy aux deux établissements sont redoutées à juste titre (- 1 million €).
Or une création d’établissement, ou plus précisément dans ce cas, une restructuration de plusieurs établissements représente un coût élevé. Toutes les hypothèses d’évolution structurelle auront pour conséquence l’ajout de nouvelles couches administratives dans les organigrammes actuels. Claironner que « l’État y pourvoira » quoi qu’il en coûte ne suffit pas à rassurer les inquiétudes légitimes des agents informés et conscients du contexte des finances publiques.
Panique dans l’équipage : sauve-qui-peut !
Les administrations sont déjà exsangues. Nous assistons actuellement à une hémorragie dans les services immédiatement concernés par le projet d’Hervé LEMOINE.
Au Mobilier national, leurs services administratifs croulent sous les tâches de gestion des personnels. Il en est de même pour les services budgétaires et comptable du Mobilier national qui vient de connaitre une énième démission et parvient tout juste à honorer en temps raisonnable les remboursements de frais de mission des agents.
Déjà orpheline de son directeur des ressources humaines, des départs massifs de personnels encadrant et scientifique ont lieu à la cité de la Céramique. Des Encadrants qui manquent, un taux de rotation anormalement élevé dans les fonctions supports, ce sont les équipes sur qui tout repose qui en pâtissent. Au musée Adrien Débouché, il faudra composer avec une nouvelle direction : l’actuelle directrice générale ne renouvelle pas un 5e mandat et l’administrateur part à la retraite. Les agents sur place sont dans une extrême tension : les instances de dialogue régulières (CSA et FSSSCT) sont reportées, exclusivement mobilisées sur le seul sujet de la fusion, et la rumeur d’un transfert du Musée aux collectivités territoriales aggrave la situation.
Sabordage de la mission de transmission des savoir-faire
La situation n’est pas plus favorable dans les ateliers. L’insuffisance de concours dans la filière des métiers d’art dans les spécialités non enseignées en interne fragilise les collectifs de travail et la pérennité des savoir-faire. Le recours aux contrats à durée déterminée, loin de pallier ce manque, crée des situations de précarité des équipes et compromet durablement la continuité de la transmission.
Fait inédit dans la Manufacture des Gobelins, les métiers à tisser vides sont plus nombreux que les métiers occupés. Cette absence de dynamisme dans les ateliers est décourageante pour les jeunes gens formés en interne dissuadés de passer les concours pourtant ouverts chaque année. Les agents de la manufacture de Sèvres sont très attentifs à ne pas connaitre dans leurs ateliers le ralentissement équivalent de leur activité.
Même l’avenir d’un CFA ministériel, sujet sur lequel nous pourrions être d’accord, semble lui aussi hypothéqué. L’administrateur adjoint du Mobilier national, en charge de ce dossier est confronté à de grandes difficultés juridiques et fonctionnelles. Il nous semble manifestement très seul dans la gestion de ce projet. La création de ce centre de formation d’apprentis sensé porté l’ambition ministérielle en la matière ne suffira pas à résoudre à elle seule pas l’ensemble des problématiques rencontrées par les métiers d’art.
Madame la ministre, vous n’êtes pas sans connaître l’extrême sensibilité du sujet du garde-meuble et l’appétence des médias, souvent mal intentionnés envers tout ce qui concerne les missions d’ameublement des palais de la République. Systématiquement, ce sont nos collègues qui en pâtissent, leur honneur de fonctionnaire trainé dans la boue. Dans un contexte de dialogue social compliqué, nous appelons votre attention sur le caractère expérimental et aventureux de ce projet : catégorie d’établissement public de rattachement incertaine, absence de visibilité sur les questions patrimoniales, devenir des musées, notion d’établissement public fédéral absconse, manque d’anticipation sur le projet de centre de formation…
Pour toutes ces raisons, Madame la ministre, nous vous demandons expressément de prendre toutes vos responsabilités politiques pour mieux définir l’objectif poursuivi et arbitrer les voies et moyens de l’atteindre dans le cadre d’un dialogue direct avec les personnels et leurs représentants.
Lettre ouverte à Madame Rachida Dati_avril 2024