La Maison de l’histoire de France,
« une ambition intellectuelle, culturelle,
politique et sociale » [[Lettre de mission de Frédéric Mitterrand à Jean-François Hébert, chargé de la préfiguration de la Maison de l’histoire de France (et actuel Président de l’établissement public du Château de Fontainebleau), datée du 22 septembre 2009.]] …
mais laquelle ?
« une ambition intellectuelle, culturelle,
politique et sociale » [[Lettre de mission de Frédéric Mitterrand à Jean-François Hébert, chargé de la préfiguration de la Maison de l’histoire de France (et actuel Président de l’établissement public du Château de Fontainebleau), datée du 22 septembre 2009.]] …
mais laquelle ?
« La maison de l’histoire de France est un projet dangereux » ont écrit et argumenté neuf historiens [[Isabelle Backouche (EHESS), Christophe Charle (université de Paris-I), Roger Chartier (Collège de France), Arlette Farge (EHESS), Jacques Le Goff (EHESS), Gérard Noiriel (EHESS), Nicolas Offenstadt (université de Paris-I), Michèle Riot-Sarcey (université de Paris-VIII), Daniel Roche (Collège de France).]] dans une tribune publiée le 22 octobre par le journal Le Monde.
Est-il exagéré de le penser à lire le rapport préparatoire d’Hervé Lemoine, remis en avril 2008, dans lequel « ont été dessinés les contours de cette nouvelle institution » d’après Frédéric Mitterrand ? De la dénonciation des lois mémorielles à la recherche de « l’âme » et « des origines » de la France en passant par la sanctification de l’histoire à la Lavisse et à la Malet-Isaac (les manuels scolaires qui ont dominé l’enseignement de la IIIe et d’une partie de la IVe République, et auxquels l’auteur du rapport attribue la fonction de « ciment national »), une chose au moins paraît peu contestable : dans ses fondements, ce chantier présidentiel intègre une dimension idéologique clairement affirmée !
« La France souffre de son histoire, donc de son identité ». Ainsi débute ledit rapport. Un an plus tard, Nicolas Sarkozy et François Fillon, eux-mêmes, complètent le propos dans la lettre de mission qu’ils adressent au ministre Éric Besson le 31 mars 2009 : « la mise en place du Musée de l’histoire de France contribuera à faire vivre notre identité nationale auprès du grand public ».
Mais « qu’est-ce que la France ? », et « depuis quand la France ? » s’interroge Hervé Lemoine en conclusion de son rapport. Ces deux questions sont justement « au cœur du projet de création d’une Maison de l’histoire » précise-t-il à la ligne immédiatement suivante.
Des orientations et des déclarations franchement préoccupantes lorsque l’on parle d’une institution devant inclure en son sein une kyrielle de musées nationaux, et être étroitement associée (dans son action comme dans sa localisation) aux Archives nationales !
Les Archives, les musées nationaux et leurs collections sont le bien commun du peuple, de la Nation. Ils ne sauraient être accaparés pour promouvoir une vision étroite, réductrice, voire partisane de notre histoire, ni pour conforter les discours déployés par le pouvoir.
Archives nationales : le mauvais coup de trop !
En ordonnant que la Maison de l’histoire de France soit implantée sur le site parisien des Archives nationales, amputant au passage une partie de leurs espaces et capacités matérielles de collecte et de conservation, Nicolas Sarkozy vient remettre très directement en cause les projets de modernisation et de développement de l’institution engagés depuis 2004, et acquis par la mobilisation des personnels, des scientifiques et des utilisateurs.
Troublante coïncidence, qu’on ne peut croire accidentelle, le gouvernement venait huit mois plus tôt de supprimer la Direction des Archives de France au nom de la RGPP et des suppressions d’emplois publics. Les conséquences n’ont pas tardé à s’en faire sentir sur le pilotage, la régulation et l’animation du réseau archives à l’échelle nationale, une mission essentielle de la défunte Direction, aujourd’hui très affaiblie.
Tout aussi grave, le gouvernement persiste dans son refus d’octroyer aux Archives les moyens humains qui avaient été jugés absolument nécessaires cinq ans auparavant par un précédent ministre de la culture. Près d’une centaine d’emplois fait défaut.
Qu’on ne s’y trompe pas. Fragiliser les Archives n’est pas un acte politique anodin. Instituées en 1790 par la Révolution française, les Archives nationales sont bien plus qu’un lieu patrimonial pour conserver la connaissance du passé afin de permettre d’analyser correctement le présent, ses contradictions et ses potentialités. Ouvertes à tous, elles remplissent une fonction citoyenne détenant, répertoriant et communiquant une étendue de documents indispensables pour, par exemple, faire valoir des droits à la succession, à la carrière, à la retraite, et aussi, à la nationalité. Incontestablement, les Archives constituent une dimension importante du combat démocratique.
La future Maison de l’histoire de France et les Archives nationales verraient, nous dit-on, leurs actions fortement jointes. Comment ? Les Archives nationales perdent au minimum 30 kilomètres linéaires de rayonnages (sur 75 km prévus dans le projet initial), soit l’espace nécessaire à l’accueil des archives notariales du XXe siècle, ce qui mettrait un terme à la mission de collecte des archives sur le site de Paris. De plus, tout porte à croire qu’une partie – essentielle ! – des missions des Archives, la valorisation, va être rapidement prise en main par cette nouvelle structure vers laquelle convergeront tous les moyens. Et au delà du « comment ? », se pose aussi la question du « pourquoi ? ». Pourquoi vouloir confisquer à une administration qui a naturellement vocation à l’exercer cette mission de valorisation, au profit d’une entité dont rien ne permet aujourd’hui de connaître les véritables objectifs ? Les Archives nationales seraient-elles inaptes à valoriser le patrimoine dont elles ont la charge, inaptes à établir et à développer des coopérations avec les scientifiques, historiens et bien d’autres ? L’action culturelle et éducative, dépossédée de ses espaces, risque également d’être démantelée.
Moyens matériels et humains, missions, politique scientifique et culturelle, c’est en déshabillant les Archives que s’érige la Maison de l’histoire de France ! C’est précisément contre cette politique de casse du service public que se dressent, unis, les personnels des Archives par la grève entre le 24 et le 28 septembre 2010, par l’occupation de l’Hôtel de Soubise, jour et nuit, depuis le 16 septembre et par le lancement d’une pétition qui a recueilli près de 5 000 signatures de soutien en seulement un mois et demi.
Rattachement des musées de Cluny, Compiègne, Ecouen, Fontainebleau, Malmaison, Pau, Saint-Germain, des Eyzies et des Plans-reliefs au futur établissement public de la Maison de l’histoire de France :
… derrière, encore et toujours, la RGPP !
Comme toutes les notes d’étape de la RGPP en attestent depuis décembre 2007, l’Élysée ne cesse de harceler le ministère pour que soit mis fin, au nom de la sacro-sainte autonomie des musées, à tout lien organique pouvant encore exister entre les musées nationaux et la Direction des musées de France (DMF). La finalité réelle de l’intégration des musées actuellement dotés du statut de service à compétence nationale (SCN) à l’établissement public de la Maison de l’histoire de France est donc très éloignée de ce que peut raconter le ministre. Il s’agit en fait d’achever une fois pour toutes le démembrement de la DMF et du réseau unifié, régi par le principe de mutualisation, des musées nationaux. En dépossédant la DMF des quelques leviers de pilotages qu’elle avait conservés, Frédéric Mitterrand entend mener à son terme un processus engagé depuis la création des premiers établissements publics dans les années 90, dont les transformations récentes de Fontainebleau, Sèvres et du musée Picasso sont les derniers épisodes. Tout ceci au grand détriment d’une véritable politique nationale des musées (enrichissement et gestion des collections, exercice du contrôle scientifique et technique de l’État, élargissement des publics, etc.) déjà considérablement affaiblie dans sa cohérence et sa lisibilité !
Au passage, que deviendront les autres musées SCN, ceux n’étant pas appelés à rejoindre le giron de la Maison de l’histoire de France ? « Certains musées et monuments nationaux pourront être confiés aux collectivités territoriales » indiquaient les premières mesures RGPP pour la culture en décembre 2007, … que le gouvernement n’a jamais enterrées comme le démontre si bien ce qui précède.
La DMF, aujourd’hui réduite elle aussi à un simple service, n’a par ailleurs pas fini d’être dépouillée de ses missions. En attribuant à la Maison de l’histoire de France la fonction de « tête de réseau » du millier de musées d’histoire de notre pays, Frédéric Mitterrand retire objectivement à l’administration centrale des musées, du même coup, une grande part de ses prérogatives pourtant durablement inscrites dans les textes fixant ses missions et son organisation.
Et qu’adviendra-t-il concrètement des neuf musées nationaux devant constituer le « socle » de l’établissement public de la Maison de l’histoire de France, dont la structuration interne (opérationnelle, administrative et financière) demeure encore un secret bien gardé. Qui concentrera tous les leviers de décisions, fixera les orientations, les priorités et, en particulier, qui déterminera la politique de l’emploi et l’allocation des moyens musée par musée ? Par définition, le dirigeant de l’établissement public, et personne d’autre !
Il n’aura échappé à personne que le Président de la République et le ministre de la culture ont tous deux omis d’évoquer la question des postes supplémentaires censés accompagner la création de la Maison de l’histoire de France. Il n’y en aura pas puisque l’on détruit actuellement des centaines d’emplois partout à la culture, comme le projet de budget pour 2011-2013 vient encore de le confirmer. La solution ? « Externaliser les emplois de la filière accueil et surveillance des SCN entrant dans la maison de l’histoire de France » ! Voici la recommandation faite au Premier ministre il y a dix mois par une inspection de Bercy, mise en œuvre presque instantanément dans son établissement par le Président du Château de Fontainebleau, également préfigurateur de toute la Maison de l’histoire de France ! Le ton est donné.
Les semaines à venir seront décisives.
Les personnels des Archives et ceux des musées doivent unir leurs forces pour faire barrage à cette douteuse opération,
particulièrement dangereuse pour les premières
comme pour les seconds.
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