Monsieur le Premier ministre,
Nous, soussignés, usagers, professionnels, créateurs, personnels des services et établissements du ministère de la culture, tenons à vous exprimer nos plus vives inquiétudes et notre opposition résolue au projet de délocalisation de plusieurs milliers d’agents des services de l’administration centrale que préparent conjointement le ministère de la culture et le Conseil de l’Immobilier de l’État. Ce projet devrait vous être présenté en septembre prochain.
Dans le cadre de son schéma pluriannuel de stratégie immobilière, et sous couvert de réduction des coûts et du nombre de ses implantations immobilières à Paris, le ministère de la culture a annoncé travailler à l’élaboration de trois scénarios. Ceux-ci lient densification des locaux existants, abandon des baux locatifs, vente des bâtiments actuellement détenus en pleine propriété, délocalisation des services et des agents, et enfin amputation des locaux du site historique des Archives nationales de Paris.
C’est dans ce contexte déjà particulièrement tendu que nous avons découvert sur le portail de l’Economie et des Finances une annonce qui en dit long sur les intentions de votre gouvernement. L’annonce ainsi libellée est tout à fait explicite : « L’État recherche 6 000 m² ou 27 000 m² de bureaux ; l’État (France Domaine) recherche une solution immobilière pour le relogement des services de l’administration centrale du Ministère de la culture ; selon le scénario, la recherche porte sur une surface maximale de 6 000 m² ou 27 000 m² à la location (avec option d’achat) dans un immeuble bien desservi par les transports en commun, situé à environ 30 minutes du site de la rue de Valois, Paris 1er ».
Cette opération immobilière d’une rare ampleur, prévue dans un délai très court, est donc conduite avec brutalité, sans aucune concertation préalable. Elle signe le lancement d’une nouvelle phase du désengagement de l’État ainsi qu’un nouvel affaiblissement du ministère de la culture, de son rôle, de ses missions, et de sa capacité à les assurer. C’est d’autant plus inquiétant, et vous le savez pertinemment, que la disparition du ministère de la culture lui-même est régulièrement envisagée depuis plusieurs années.
Monsieur le Premier ministre, durant dix longues années, le ministère de la culture et ses personnels ont été malmenés et extrêmement affaiblis. Suppressions d’emplois par centaines ; RGPP ; réorganisation permanente des services ; baisse des budgets et des crédits d’intervention ; abandon des missions et externalisations/privatisations ; autonomisation, marchandisation, et mise en concurrence des établissements publics ; dégradation des conditions de travail ; décentralisation Raffarin et ReATE ; précarisation des emplois : le rythme des attaques fait froid dans le dos.
Or, force est pour nous de constater que cette politique hostile s’est poursuivie et même amplifiée depuis 2012. A ce titre, les coupes historiques opérées aux budgets du ministère en 2012 (-4,3%) et 2013 (-2,8%), les suppressions d’emplois (encore 135 seraient supprimés entre 2015 et 2017 dans les services centraux), les lois MAPTAM et NOTRe adossées à la MAP dans la suite de la RGPP sont autant de signaux négatifs envoyés aux agents, aux professionnels de la culture, aux créateurs, et plus largement à toute la population de ce pays, ainsi qu’en témoignent l’inquiétude des milieux culturels et le bilan désastreux dressé par la « cartocrise » (http://umap.openstreetmap.fr/fr/map/cartocrise-culture-francaise-tu-te-meurs_26647#6/49.361/0.066)
Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré le 17 mai dernier que : « Cela a été une erreur au cours des deux premières années du quinquennat de François Hollande de baisser le budget de la Culture. » Vous avez ajouté : « Il ne faut jamais donner de mauvais signe quand on parle de culture ».
C’est avec solennité que nous attirons votre attention sur la nocivité de ce projet immobilier qui ne vise qu’à faire des économies de bouts de chandelle en sacrifiant un ministère pourtant au cœur de la démocratie et de son exercice. Nous vous rappelons qu’à l’heure où beaucoup d’hommes politiques ont systématiquement à la bouche les mots de valeurs républicaines, le ministère de la culture, dont de nombreuses institutions sont nées avec la Révolution française, est l’expression même de cette tradition républicaine. Défendre le ministère de la culture dans toutes ses acceptions, c’est défendre la République et ses valeurs.
Quelle politique culturelle l’État pourra-t-il élaborer et mener s’il ne dispose pas d’une administration structurée et des compétences humaines nécessaires ? Comment le ministère de la culture pourra-t-il assurer normalement toutes ses missions s’il n’est pas préservé dans son fonctionnement, s’il se trouve éloigné des centres institutionnels et culturels, des établissements dont il assure la tutelle, et de ses partenaires ?
Monsieur le Premier ministre, mesurez-vous les conséquences destructrices d’une telle opération qui se concrétiserait par des ventes d’immeubles, de nouveaux déménagements, des suppressions d’emplois, alors que ceux-ci se sont succédé ces dernières années ?
Nous exigeons l’abandon de ce projet désastreux de délocalisation qui ne tient pas compte des réalités et des besoins du ministère de la culture. Il porterait gravement atteinte, voire un coup fatal, à l’exercice des missions qu’il porte encore vaille que vaille, grâce à l’énergie admirable que continuent de déployer ses personnels. Nous refusons que le ministère de la culture soit sacrifié sur l’autel de la spéculation immobilière. Nous refusons toute nouvelle dégradation de nos conditions de vie et de travail, nous refusons toute nouvelle suppression d’emploi, nous refusons les arbitrages dogmatiques et purement comptables de France Domaine et du Conseil de l’Immobilier de l’Etat.
Nous demandons une solution viable et pérenne pour nos collègues de la Direction Générale de la Création Artistique menacés par une prochaine fin de bail, solution qui ne remette nullement en cause les implantations géographiques et les conditions de travail des autres composantes de l’administration centrale.
Enfin, nous exigeons l’ouverture d’une vraie réflexion concertée sur le devenir des Archives et combattrons de pied ferme toute tentative d’amputation de leurs surfaces. Il en va de la mission même des Archives nationales qui n’est autre que la sauvegarde de la mémoire de ce pays.
Signez la pétition en ligne :
http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2015N48070
Paris, le 21 juillet 2015