La première lecture à l’assemblée nationale du projet de loi relatif à « la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine » (LCAP) s’est achevée à l’Assemblée nationale ce mardi 6 octobre par l’adoption d’un texte largement amendé par rapport au projet initial. Pour l’archéologie préventive, les débats parlementaires ont permis quelques avancées notables, faisant suite au rapport parlementaire de Martine Faure et grâce à la mobilisation des personnels. Mais le projet reste, sur ses fondamentaux, dans une logique de toilettage de la loi de 2003, sans remise en cause de la marchandisation de l’archéologie. Que retenir de cette première étape parlementaire ?
L’Etat régulateur ?
Le projet de loi, dans sa nouvelle version, réaffirme le rôle de l’Etat qui « veille à la cohérence et au bon fonctionnement du service public de l’archéologie préventive dans ses dimensions scientifiques » mais aussi « économiques et financières ». Derrière cette affirmation très générale et faisant suite au rapport de Martine Faure, le projet introduit ici la possibilité d’une régulation du « marché » de l’archéologie préventive par une possible régulation du nombre d’opérateurs. Le ministère de la Culture et de la Communication souhaitait créer une commission indépendante pour endosser ce rôle de régulateur, mais il n’y a pas été autorisé par le gouvernement. Dans ces conditions, il est bien difficile aujourd’hui d’évaluer la portée de ces nouvelles dispositions.
Reconnaissance des missions de service public des collectivités territoriales
Le projet induit des évolutions notables dans le cadre d’intervention des services archéologiques de collectivités territoriales. La loi reconnait ainsi, ce qui n’était pas le cas auparavant, la contribution de ces services « à l’exploitation scientifique des opérations d’archéologie qu’ils réalisent et à la diffusion de leurs résultats » et leur participation « à l’exploitation scientifique des opérations d’archéologie réalisées sur le territoire de la collectivité ». Les services de collectivité ne sont plus soumis à agrément pour la réalisation des diagnostics ou des fouilles – celui-ci est donc réservé aux seuls opérateurs de droit privé – mais à une habilitation délivrée par « arrêté des ministres chargés de la culture et de la recherche » et adossée à une convention entre le service territorial et l’Etat. De cette réaffirmation des missions de service public des services archéologiques des collectivités découle une capacité d’intervention pour les diagnostics et les fouilles limitée au seul territoire de la collectivité ou du groupement de collectivité, avec la possibilité de nouer des partenariats avec d’autres services de collectivité ou avec l’Inrap pour des opérations en dehors de ce territoire.
Contrôle plus exigent dans la délivrance et le renouvellement des agréments
Le projet relève clairement le niveau d’exigence requis pour l’obtention d’un agrément en précisant que le demandeur doit démontrer sa « capacité scientifique, administrative, technique et financière » et « son respect d’exigences en matière sociale, financière et comptable ». L’agrément peut être temporairement suspendu, ce qui n’était pas le cas précédemment, et l’opérateur agréé devra produire chaque année – et non plus seulement au moment de sa demande de renouvellement – « un bilan scientifique, administratif, social, technique et financier de son activité en matière d’archéologie préventive. » Le contenu des textes d’application (décrets) de ces nouvelles dispositions sera déterminant pour juger de la portée de ces nouvelles dispositions.
Renforcement du contrôle a priori des projets d’intervention scientifique
Le contrôle a priori (en théorie, avant que l’aménageur n’ait choisi l’opérateur auquel il souhaite faire appel) des projets scientifiques d’intervention (PSI) était une mesure « phare » du projet de loi initial. Avec le nouveau texte, les modalités de ce contrôle a priori sont précisées : les dossiers transmis par les aménageurs doivent comprendre les PSI mais aussi « le prix proposé et une description détaillée des moyens humains et techniques mis en œuvre. », ce qui doit permettre aux services instructeurs de juger de la crédibilité du projet. Les services régionaux de l’Archéologie ne procèdent plus seulement à la vérification de la conformité de ces projets aux prescriptions mais « note[nt] le volet scientifique et s’assure[nt] de l’adéquation entre les projets et les moyens prévus par l’opérateur. » Ils vérifient par ailleurs que « les conditions d’emploi du responsable scientifique de l’opération [en d’autres termes la nature et/ou la durée du contrat] sont compatibles avec la réalisation de l’opération jusqu’à la remise du rapport de fouilles ». L’introduction d’une notation constitue une évolution importante par rapport au projet de loi initial. Pour autant, on attend toujours une traduction concrète des engagements de renforcement des effectifs des SRA, qui ne pourront assurer ces nouvelles missions de contrôle sans moyens humains complémentaires. Surtout, faute de revenir à une maîtrise d’ouvrage publique (cf. infra), ce classement des projets scientifiques n’est pas opposable à un aménageur qui, en dernier ressort, reste bien le seul décideur dans le choix de l’opérateur. Pour peu que le PSI soit conforme au cahier des charges, rien ne l’empêchera de choisir l’opérateur proposant le tarif le plus bas, quelque soit la « note » sur son projet scientifique, même si la différence de prix est faible avec les autres offres.
Monopole de l’Inrap pour la réalisation les fouilles archéologique subaquatiques réalisées dans le domaine public
Dans le projet de loi adoptée en première lecture, « les opérations de fouilles sous-marines intervenant sur le domaine public maritime et la zone contiguë […] sont confiées à l’établissement public » (l’Inrap), qui disposera donc d’un « monopole » d’intervention pour l’archéologie subaquatique dans la bande côtière, de 0 à 24 milles nautiques.
Sécurisation du financement des opérations en cas de défaillance d’un opérateur
En cas de défaillance d’un opérateur, l’Inrap a aujourd’hui pour obligation de finaliser les travaux et les études des opérations de fouille inachevée. Cette mission de service public est confirmée par le nouveau projet de loi qui précise les conditions de reprises de ces opérations (l’Inrap « élabore un projet scientifique d’intervention soumis à la validation de l’État ») et sécurise leur financement, avec obligation faite à l’aménageur de conclure un nouveau contrat avec l’institut.
Régime de propriété du mobilier archéologique
Sur cette question de la propriété du mobilier archéologique, le texte initial du projet de loi n’a pas été modifié. Pour les opérations de fouille et pour les découvertes fortuites présentant un intérêt, le mobilier archéologique est présumé appartenir à l’Etat lorsque le terrain a été acquis après la promulgation de la nouvelle loi. Pour les terrains acquis antérieurement à la nouvelle loi, c’est le dispositif actuel de partage qui continue de s’appliquer, sous réserve que le propriétaire du terrain ou, en cas de découverte fortuite, l’inventeur, fassent valoir leurs droits. Dans le cas contraire, « la propriété des biens archéologiques mobiliers mis au jour est transférée à titre gratuit à l’État ».
La fin du crédit impôt recherche pour les dépenses d’archéologie préventive
Malgré l’insistance des organisations syndicales, la question du crédit impôt recherche (qui permet à certains opérateurs agréés de droit privé de se faire rembourser une part significative des dépenses engagées dans le cadre d’opération d’archéologie préventive) n’était pas traitée dans le projet de loi. Pour mettre fin à cette distorsion de concurrence, les députés ont fort heureusement adopté, à une large majorité et contre l’avis du gouvernement, une disposition qui exclut du bénéfice de ce crédit d’impôt les dépenses engagées dans le cadre des opérations de fouille préventive (les dépenses de recherche archéologique autre que celles engagées dans le cadre de contrats de fouilles préventives restent éligibles).
Les passerelles interinstitutionnelles et la question du statut des personnels de l’Inrap
A l’occasion des débats en commissions des affaires culturelles, la ministre de la Culture et de la Communication s’est engagée à ouvrir une négociation sur les questions de la mobilité interinstitutionnelle et du statut des personnels de l’Inrap pour faire des propositions à l’occasion de la seconde lecture à l’Assemblée nationale. Pour les organisations syndicales, la question est bien celle de la titularisation des agents de l’Institut.
La maîtrise d’ouvrage scientifique
Toujours dans les suites du rapport de Martine Faure, le nouveau projet de loi introduit la notion de « maîtrise d’ouvrage scientifique » de l’Etat sur les opérations de fouille. En l’état du projet, cette notion se résume en fait aux prescriptions, à la désignation des responsables scientifiques et au contrôle des opérations de fouille. La majorité gouvernementale se refuse donc toujours à sauter le pas d’une maîtrise d’ouvrage publique ou d’une maîtrise d’ouvrage partagée entre l’Etat (ou les collectivités) et l’aménageur, qui permettrait réellement, à la puissance publique, de peser dans le choix de l’opérateur de fouille.
Malgré quelques avancées, le projet de loi adopté à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale ne s’attaque donc pas au fond du problème de la marchandisation de l’archéologie préventive. La majorité gouvernementale a beau renforcer les contrôles (des projets d’opération, des opérateurs agréés, etc.), c’est toujours l’aménageur qui reste le décideur en dernier ressort. Chacun sait pourtant que son intérêt premier est une fouille réalisée à moindre coût, dans les délais les plus brefs et que les préoccupations scientifiques ou les risques de dispersion des données lui importent bien peu. Finalement, en l’état, le projet de loi n’apporte aucune réponse aux attaques lancées par quelques opérateurs privés contre les services publics de l’archéologie.
Le cycle des discussions parlementaires ne fait que commencer. Les mobilisations des personnels des deux dernières années ont permis de faire évoluer sensiblement le projet de loi initial, totalement indigent. Cette mobilisation doit se poursuivre et s’amplifier, à l’occasion de la première lecture du projet au Sénat, puis la seconde lecture à l’Assemblée nationale, pour imposer d’autres choix et assurer la pérennité du service public de l’archéologie préventive.
Paris, 12 octobre 2015.
Communiqué de l’intersyndicale archéologie (CGT/SUD/FSU/CNT)
PS 1 : Alors que la représentation nationale nous avait, par le passé, habitués à quelques « débordements », on retiendra aussi de ces débats parlementaires l’absence de remise en cause du principe même de l’archéologie préventive. Il y a là, par rapport au début des années 2000, une évolution et une reconnaissance notable de la discipline.
PS 2 : Le compte-rendu intégral des débats concernant l’archéologie (articles 20 et 20bis) peut être consulté ici : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016/20160002.asp
Le projet de loi, dans sa nouvelle version après adoption de l’assemblée nationale, peut être téléchargé là : http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0591.asp
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