Réforme des retraites antisociale : le Sénat joue les éclaireurs
Le 12 novembre dernier, dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances 2023 de la Sécurité sociale (PLFSS – 2023), le Sénat a adopté par amendement un mécanisme de réforme des retraites portant l’âge légal de départ à 64 ans, et visant à allonger la durée de cotisation, au-delà encore de ce que contenait déjà la réforme Touraine.
Le Sénat, dont la majorité de droite ne cache pas ses intentions, a de toute évidence voulu mettre la pression sur le gouvernement, contraint à cette occasion de dévoiler son jeu. Si le Président de la République et la Première ministre expriment des nuances imperceptibles sur la méthode en tentant de mettre en avant un semblant de concertation, dans les faits, ils partagent totalement les objectifs du Sénat.
Derrière les effets de manche, le gouvernement prépare une réforme profondément régressive
Après un premier quinquennat marqué par l’accentuation des réformes du marché et du droit du travail, et une réduction significative des prestations chômage, Emmanuel Macron entend enfoncer le clou en menant à bien au terme de son second mandat quatre projets participant tous de la transformation libérale du modèle français de protection sociale.
Il en va ainsi :
- d’une nouvelle offensive contre l’assurance chômage (en conditionnant les droits à la conjoncture économique) ;
- de la mise sous condition d’activité du RSA (dans un mouvement de fusion avec les autres minima sociaux) ;
- de la réforme du service public de l’emploi (Pôle Emploi devenu France travail étant chargé de durcir le contrôle et les sanctions contre les personnes en recherche d’emploi) ;
- et, donc, de la dégradation du système de retraite par répartition par une double action sur l’âge de départ légal et la durée de cotisation.
L’exécutif et la majorité gouvernementale portent un projet de rupture sociale que nous devons combattre de toutes nos forces
A entendre les piètres éléments de langage du gouvernement et des membres de la majorité, la réforme des retraites en approche viserait à établir de nouveaux équilibres et à garantir l’équité dans la durée. Mais il n’y a pas à se tromper, ce projet est d’abord et avant tout animé par le dogme de la réduction structurelle des dépenses, et la volonté d’ouvrir toujours plus la protection sociale au marché et aux intérêts privés.
En s’attaquant ainsi aux retraites, qui constituent l’un des piliers fondamentaux de notre modèle social et l’un des plus grands acquis sociaux de notre histoire, le gouvernement expose directement les travailleurs du privé comme du public aux chocs et à la violence de l’économie de marché.
De quoi ce projet de réforme est-il le nom, concrètement
- Un projet qui s’inscrit dans une trajectoire de réduction des droits des travailleurs
Avec la réforme Touraine, votée en 2014, la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein augmente progressivement pour atteindre l’objectif de 172 trimestres, soit 43 années de cotisation pour les Français ayant vu le jour en 1973.
La réforme Macron-Borne, reportant l’âge légal à 64 ans, porterait le nombre de trimestres nécessaires à une retraite à taux plein à 180 trimestres.
- En vérité, le projet Macron-Borne conduit à une baisse du niveau des pensions clairement corrélée au dogme de la réduction structurelle des dépenses
Si l’on prend en compte l’âge moyen d’entrée dans la vie active (qui ne cesse d’augmenter notamment en conséquence de l’élévation du niveau d’instruction) ainsi que le taux d’emploi des seniors très faible, on arrive mécaniquement à une amputation des pensions réellement versées.
- Des taux de remplacement en baisse constante (c’est le rapport entre le montant de pension net perçu et la moyenne des derniers salaires nets)
Selon le dernier rapport du COR (Conseil d’orientation des retraites), les taux de remplacement médians observés sont en baisse constante au fil des générations, et cette tendance est encore plus marquée dans le secteur public que dans le secteur privé. D’un taux de remplacement de 80% pour les générations 1938-1948, nous tangentons bientôt les 70% ! Or la réforme Macron-Borne creusera inéluctablement ces écarts en défaveur des travailleurs.
- La paupérisation des agents prépare la paupérisation des retraités
Hélas, la démonstration n’est plus à faire : les agents de la Fonction publique se paupérisent sous l’effet conjugué du gel du point d’indice et de grilles indiciaires totalement obsolètes. Si l’on ajoute à cet état de crise la part croissante des primes dans la rémunération (l’essentiel de l’éventail des primes est exclu du calcul des pensions de retraite), on aboutit, là aussi mécaniquement, à une spirale insensée condamnant les futurs retraités à une pauvreté insupportable.
- Focus sur le taux d’emploi des seniors, une donnée fondamentale et préoccupante
Ce gouvernement suffisant qui ne recule devant aucune contradiction voudrait donc nous faire travailler plus longtemps. Il doit pourtant accepter d’être confronté à son incurie.
Du fait d’une conception du travail et de modèles RH délétères, et de politiques de management qui tiennent de l’âgisme (passé 50 ans, on est tout juste bon pour les voies de garage), mais également de politiques publiques en déshérence, le taux d’emploi des seniors en France est très faible et parmi les plus bas de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
Selon des données de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) publiées en avril 2022, seulement 53,8 % des personnes entre 55 et 64 ans étaient en emploi en 2020. Ce taux chute à 33,1 % pour les 60-64 ans. Ces chiffres se suffisent à eux-mêmes et se passent de commentaires supplémentaires.
- Espérance de vie en bonne santé où le projet gouvernemental confine au cynisme
On ne peut pas décemment aborder ces questions du recul de l’âge légal de départ en retraite et de l’allongement de la durée de cotisation sans considérer la réalité de l’espérance de vie en bonne santé et les inégalités sociales inacceptables qu’elle révèle.
En France, selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE, l’espérance de vie en bonne santé s’élève à 65,9 ans pour les femmes et 64,4 ans en 2020 pour les hommes.
Des situations sociales et professionnelles aggravantes : dans un rapport de 2018, l’INSEE rappelle que « plus on est aisé, plus l’espérance de vie est élevée. Ainsi, parmi les 5 % les plus aisés, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres, soit 13 ans d’écart. Chez les femmes, cet écart est plus faible : 8 ans séparent les plus aisées des plus pauvres. » Dès 2008, l’INSEE allait jusqu’à parler de « double peine » pour les ouvriers dans un rapport spécialisé : « Les ouvriers ont une espérance de vie plus courte, et au sein de cette espérance de vie plus courte, ils ont également plus d’années à vivre avec des incapacités. » Faut-il donc en dire plus.
Méthode et calendrier, un nouveau coup de canif dans le contrat social et démocratique
On connaît les conditions compliquées de l’élection d’Emmanuel Macron. Assurément il a été élu, mais certainement pas pour passer en force par la voie du 49.3 ou d’un amendement à la hussarde au PLFSS, début 2023, pour une mise en œuvre de la réforme à l’été prochain. Cet autoritarisme et cette arrogance affaiblissent un peu plus la démocratie et mettent le pays sous tension.
Un choix de société réactionnaire
Ce projet va à rebours de l’évolution de la société et des attentes nouvelles des Français et du monde du travail. La crise de la Covid-19 a modifié les points de vue. Les temps de la vie et le rapport au travail sont fortement interrogés. Nous ne pouvons pas accepter, sans nous battre, un tel programme réactionnaire et guidé par des considérations comptables, quand notre époque appelle comme jamais à des solidarités intergénérationnelles et des communs refondés.
Tous ensemble,
nous pouvons faire barrage à cette réforme antisociale
Voter CGT,
c’est déjà se mobiliser et se donner les moyens de gagner
Paris, le 25 novembre 2022