Les attentats du début d’année à Paris nous avaient rappelé à la nécessité de résorber les multiples fractures de notre société. S’agissant de la culture, la CGT-Culture avait souligné l’urgence de changer le logiciel des politiques culturelles et nous étions allés jusqu’à réclamer que le ministère de la culture fasse sa révolution (plusieurs communiqués, tracts et articles consacrés à ces questions et développant nos positions sont encore en ligne sur notre site).
Des discussions avaient commencé à se nouer avec la ministre et son cabinet sur ces enjeux absolument essentiels. Puis, comme souvent, la technostructure, la gestionnite aiguë et les affaires courantes ont repris le dessus.
Le mardi 15 décembre, se tenait un comité technique ministériel. Fleur Pellerin a ouvert cette séance par un discours caractérisant la gravité de la situation de notre pays, la violence inouïe des attaques contre la culture et la liberté de création, et retraçant les grandes lignes de son action. Revenant sur les attentats de novembre dernier, la ministre a parlé notamment de fanatisme et d’obscurantisme. Pour notre part, nous n’avons pas hésité à qualifier les auteurs de ces assassinats de masse de « fascistes ».
Cela étant, nous sommes d’accord en grande partie avec la ministre sur le constat mais aussi, évidemment, pour affirmer que la culture et tout particulièrement le ministère de la culture ont un rôle fondamental à jouer dans le renouveau de notre société et pour son avenir.
Nous livrerons un combat sans relâche contre toutes celles et ceux qui s’en prennent à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, à la liberté de création sous toutes ses formes, à la culture dans la force de sa diversité. Et ce combat pour la culture et la fraternité, nous allons le gagner.
« Débattre » par déclarations interposées, ce n’est plus possible
Reste que l’exigence et l’urgence de renouveler la citoyenneté et la démocratie nécessitent de nourrir un débat intense, ouvert, libre et controversé. Or hier, dans ce domaine, nous sommes restés sur notre faim.
La ministre, prise par d’autres obligations a dû quitter le CT-M peu après 11 heures, soit un peu plus d’une heure et quinze minutes après son arrivée. Ainsi, en l’occurrence, le débat s’est résumé en tout et pour tout à une succession de déclarations ; ce qui au total ne fait jamais un débat. On ne peut pas dire comme on l’entend sur tous les tons depuis le deuxième tour des élections régionales le 13 décembre : « nous avons bien reçu le message des électeurs et de la population ; il faut changer les choses radicalement ; il faut faire de la politique autrement… » et, continuer comme avant.
Quand allons-nous enfin prendre le temps d’avoir un débat sérieux et approfondi sur l’évolution des politiques culturelles et sur les grandes orientations de ce ministère pour les mois et les années à venir. Pour l’instant, ce débat n’a pas lieu. Il n’a pas eu lieu en 2015 alors que tous les voyants étaient pourtant au rouge. En tant que citoyens, nous pouvons considérer que la démocratie est en crise. En tant que syndicalistes au ministère de la culture, dans les responsabilités et les mandats qui sont les nôtres, on peut dire que la démocratie sociale est en crise. Alors quand ?!
Renouveler la démocratie, c’est s’ouvrir à toutes les paroles et accepter vraiment le débat
Oui, comme l’a dit Fleur Pellerin, il est indispensable que « tous nos concitoyens puissent encore plus participer à la vie culturelle de notre pays ». Oui, « là où nos concitoyens n’ont pas accès à la culture, la culture doit aller vers eux ». Oui, aucun territoire ne doit être oublié. Oui, la culture doit faire reculer les exclusions et les discriminations et concerner tous les publics. Oui, la culture doit être aussi et beaucoup mieux le reflet de la diversité dans toute son énergie et ses immenses potentialités. Oui, la création dans toutes ses expressions, ses nouveautés et ses libertés doit être défendue et soutenue.
Seulement voilà, cela fait des années que nous militons pour que ces changements soient effectivement et réellement imprimés aux politiques publiques culturelles et qu’ils soient dûment financés.
Voilà des années que nous menons ce combat difficile pour l’essor d’une démocratie culturelle, et nous considérons par conséquent que les organisations syndicales doivent impérativement être associées à ces réflexions. Continuer à ne pas le faire ou continuer à le faire à moitié, de façon superficielle reviendrait à nier le travail de celles et ceux que nous représentons : les personnels, celles et ceux qui continuent à faire avancer ce ministère au quotidien.
Si la démocratie et les modes de représentation sont mal-en-point alors il est urgent de tenir compte de tout le monde et de ne mépriser aucune parole ni aucune expérience.
Budget : une progression en trompe l’œil
La ministre a fait valoir ses efforts pour défendre son budget. Elle a ainsi rappelé que celui-ci progresserait de 2,7% l’an prochain. Il faut probablement voir dans ce chiffre la volonté du Premier ministre de « remettre la culture au premier rang des priorités ». C’est cependant oublier un peu vite que sur les exercices 2013 et 2014 (les exercices budgétaires qui suivirent le retour de la gauche au pouvoir), le budget de notre département ministériel a été amputé de près de 7%. Notre ministère a ainsi payé un lourd tribut à la politique d’austérité et à cette idéologie – dangereuse pour la cohésion nationale – qui fait du service public et tout spécialement de la Fonction publique ses cibles favorites.
On ne peut pas par ailleurs ne pas faire le lien entre les priorités que s’est elle-même fixée la ministre en matière de politiques culturelles et les besoins de financement que ces priorités impliquent. Or, en cette fin 2015, force est de constater que ce gouvernement poursuit dans la voie de ses prédécesseurs : les moyens alloués à la culture, priorité nationale ou pas, demeurent ridiculement bas et tout à fait dérisoires. Hélas, entre les paroles et les actes, il y a un fossé énorme et ceci explique pour beaucoup les difficultés qui sont celles de notre démocratie aujourd’hui.
Agenda social et avancées concrètes pour les personnels : on est loin du compte
Dans le domaine social, la ministre détermine trois axes : la promotion et la préservation des conditions de travail ; la réduction des écarts indemnitaires entre le ministère de la culture et les autres ministères en donnant une priorité aux personnels de catégorie B et C ; l’amélioration des carrières et des parcours professionnels des agents.
Conditions de travail : les effets inévitables de choix politiques contraires au service public
S’agissant des conditions de travail, nul n’oserait prétendre aujourd’hui que le baromètre est au beau fixe. Chacun s’accorde à dire au contraire qu’elles se sont fortement dégradées et ce un peu partout : en administration centrale, dans les services à compétence nationale, dans les établissements publics, à Paris mais aussi dans les régions et les services déconcentrés.
Si la ministre et son cabinet ne sont pas très diserts sur cette question et surtout pas très efficaces, c’est qu’ils savent bien au fond que les suppressions d’emplois année après année ont des conséquences concrètes sur le travail. Ils savent aussi, en vérité, qu’on ne peut pas continuer à maintenir les salaires à un niveau si bas et à verrouiller les débouchés de carrière sans que cela n’abîme et la vie au travail et la vie tout court.
Dans cette période difficile où nombre d’agents témoignent d’un malaise important, on notera néanmoins avec satisfaction la création d’un bureau de la santé, de la sécurité au travail et de la prévention des risques professionnels que l’on doit aussi à l’action des représentants du personnel dans les CHSCT.
Emploi : il faut stopper immédiatement toute suppression d’emploi
Si les dirigeants de ce ministère sont vraiment attentifs aux conditions de travail qu’ils commencent par annoncer l’arrêt de toute suppression d’emploi. Nous avons rappelé pour la énième fois à Fleur Pellerin que ce ministère avait perdu près de 2000 emplois dans les années RGPP, et que de 2012 à 2014, 681 emplois ont été supprimés, encore ; et que fin 2015, nous en serons probablement à plus 700 ! Sur ce point extrêmement grave, la ministre n’a pas pipé mot. Est-ce à dire que ce gouvernement va continuer à s’en prendre à nos emplois et à nos métiers au nom d’économies marginales et absurdes… ?
Salaires et carrières : là encore les revendications de la CGT-Culture restent pleinement d’actualité
On ne s’attendait pas à ce que la ministre nous annonce l’augmentation du point d’indice et cela ne s’est pas produit. Et pourtant ce fameux point d’indice, gelé depuis très longtemps par les gouvernements successifs, est le seul vrai levier que l’on connaisse pour asseoir une évolution équitable des salaires des fonctionnaires et des contractuels.
On sait bien que cette mesure urgente et indispensable n’est pas directement du ressort de la ministre de la culture. Il n’empêche : Fleur Pellerin n’a rien dit qui permette de penser qu’elle fera pression au sein du gouvernement pour une augmentation immédiate du point d’indice, base du calcul du traitement des fonctionnaires et des contractuels. Pour la CGT dans son ensemble, il est indispensable de procéder au dégel immédiat du point d’indice gelé depuis 2010. C’est la mesure la plus équitable et permettant vraiment de rompre avec les pertes de pouvoir d’achat des agents de la Fonction publique.
Mesures indemnitaires : un piètre substitut à l’absence d’évolution salariale et de déroulement de carrière
La priorité de la ministre réside dans la réduction des écarts indemnitaires en donnant la priorité aux catégories B et C. Nous regrettons l’absence de dialogue sur cette question pourtant fondamentale. La politique indemnitaire étant une attribution des comités techniques, il est indispensable que les représentants du personnel soient pleinement associés.
L’alignement des planchers indemnitaires des services déconcentrés sur ceux d’Ile de France va dans le bon sens. La question se pose de l’application de cette mesure pour les agents fonctionnaires relevant du T3 (Louvre et Bnf) et pour les agents affectés en province. Autre problème : les agents de la filière ASM des services à compétence nationale semblent exclus du dispositif.
Filière administrative : RIEN
On le sait également, l’amélioration durable des carrières et des rémunérations passe par la revalorisation des filières et notamment leur repyramidage. Ainsi, on pouvait penser que Fleur Pellerin se pencherait sur le problème urgent de la filière administrative. Il n’en est rien. Les réponses aux revendications de cette filière sont dilatoires. On nous renvoie à des arbitrages en haut lieu, sans cesse reportés. En clair, on se moque du monde et c’est insupportable au regard des efforts consentis par tous les personnels administratifs.
Filière recherche : quelques avancées mais encore insuffisantes
Après l’entrée des Techniciens de recherche dans le nouvel espace statutaire au 1er janvier 2016 et sans fusion dommageable avec d’autres corps, l’ajout de deux échelons à la grille du corps des assistants ingénieurs et l’amélioration du ratio statutaire des promotions pour le corps des ingénieurs d’études, la ministre s’est engagée à mener un travail approfondi sur cette filière trop longtemps négligée et pourtant essentielle aux missions du ministère. La CGT-Culture revendique depuis longtemps une revitalisation de l’ensemble de la filière qui connaît de nombreuses suppressions d’emplois depuis les années RGPP.
Filière métiers d’art
les améliorations statutaires enfin portées au corps des chefs de travaux d’art, au regard notamment de leurs responsabilités nouvelles, est une avancée importante.
Levée de dérogation : quand les « patrons » traînent des pieds, il est urgent d’attendre
On ne le sait que trop bien : les « patrons » des établissements publics* ne voient pas d’un bon œil la levée de la dérogation. Et pour cause, ils sont jaloux de leur autonomie et veulent à tout prix faire la loi chez eux. Sauf que nous ne l’entendons pas de cette oreille : pour nous les personnels contractuels de part un régime dérogatoire que rien ne justifie doivent pouvoir, s’ils le souhaitent (c’est le droit d’option), pouvoir devenir fonctionnaire et bénéficier du statut général et d’une carrière et de mobilités que permettent les statuts particuliers des corps de fonctionnaires de la Fonction publique.
La ministre, qui doit pourtant agir en faveur de cette évolution positive et attendue, va de réponse dilatoire en réponse dilatoire. A présent, elle nous renvoie à un arbitrage du Premier ministre – encore un – qui pourrait intervenir en janvier. Sur ce sujet, à force d’attendre, ce gouvernement va finir par trahir un engagement pris devant les organisations syndicales de la Fonction publique. Nous nous refusons à ce que nos collègues des établissements publics fassent les frais de cette volte-face.
*Les établissements publics dérogatoires par décret sont : le Centre Georges Pompidou ; le musée du Quai Branly ; le Centre des Monuments Nationaux ; le musée Rodin ; la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration ; l’Opérateur du Patrimoine et des Projets Immobiliers de la Culture ; le Château et Domaine de Versailles.
*Les établissements publics dérogatoires de par la loi sont : l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives ; le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
Non à la délocalisation du ministère
A entendre la ministre, avec le scénario « domanial » nous serions sauvés. C’est là un raccourci facile et peu crédible. Au passage, Fleur Pellerin oublie en effet de nous parler de la vente de l’immeuble de la rue des Pyramides : cette scandaleuse affaire de spéculation financière offerte sur un plateau par France Domaine, avec l’assentiment du MCC, à des investisseurs très bien avisés dont, bien sûr, nous ne connaissons pas encore le nom… Cette affaire-là fera peut-être, le moment venu, les choux gras de la presse satirique mais cela ne retirera rien à l’affaire. Le ministère ferait une lourde erreur en se privant de la rue des Pyramides, pire une faute. Il se priverait en effet délibérément de l’un des leviers incontournables de son indépendance immobilière.
Le fameux scénario « domanial » fait aussi l’impasse sur la situation réelle des Archives nationales qui doivent aujourd’hui faire face à la fermeture programmée, pour cause de fragilisation du bâtiment, du site de Fontainebleau ; l’un de leurs trois sites de plein exercice et qui abrite à ce jour 120 kilomètres linéaires d’archives contemporaines. Il y aurait donc comme une petite équation à résoudre en s’appuyant non plus sur trois sites mais sur les deux restants : les archives à Paris dans le Marais (le quadrilatère Rohan-Soubise) et les archives à Pierrefitte-sur-Seine… Un tout petit problème que la ministre n’aurait pas vu ?
Enfin ce scénario fait fi du passé récent du site des Bons Enfants et des effets délétères de la RGPP sur l’administration centrale. Fleur Pellerin ne peut certainement pas se souvenir de la façon dont ont été conduits les derniers déménagements sur ce site où il est souvent question de « densifier » mais les personnels, eux, si.
Comme nous l’avions fait le 14 décembre devant la conseillère de Manuel Valls pour la Fonction publique, à l’occasion de la remise de la pétition intersyndicale signée par près de 2300 agents, nous avons demandé à Fleur Pellerin de surseoir à ce projet de délocalisation de l’administration centrale et de rouvrir la concertation avec les organisations syndicales sur de nouvelles bases.
Entre-temps : Le Conseil Immobilier de l’Etat a eu lieu le 16/12. Le ministère en a fait à peu près le compte rendu suivant : « Le MCC, avec le soutien de France Domaine a proposé de retenir le scénario domanial qui repose sur la préservation des sites de Valois et des Bons-Enfants et sur la valorisation d’une partie des espaces du Quadrilatère Rohan Soubise demeurant vacants, depuis le déménagement des fonds postérieurs à la Révolution française dans le Centre des Archives de Pierrefitte-sur-Seine. »
Ou encore : « Le CIE devrait rendre son avis début 2016. Par la suite, le Gouvernement arrêtera sa décision dans le courant du premier trimestre. Si le scénario domanial est retenu, le projet pourrait rapidement entrer dans une phase opérationnelle, en étroite concertation avec les représentants du personnel. L’emménagement dans le Quadrilatère pourrait alors avoir lieu fin 2018. »
Et juste pour rire : « Le dialogue se poursuit sur ce dossier avec les représentants du personnel, auxquels les études de faisabilité du projet sur le quadrilatère seront prochainement présentées. »
Réforme territoriale et devenir des DRAC : tout va très bien, tout va très bien
En ce qui concerne l’un des dossiers les plus cruciaux et les plus redoutables de l’histoire de notre ministère, Fleur Pellerin s’est voulue très rassurante. La ministre aurait préservé les DRAC du pire. Elle les aurait sauvées… les DRAC ainsi que leurs personnels, tous. Elle aurait même décroché des moyens supplémentaires pour… les DRAC.
La ministre est certainement très combative. Las, l’histoire retiendra néanmoins que le Premier ministre de la France aura voulu à tout prix et au pas de charge conduire une réforme territoriale visant à modeler notre pays à l’image d’une grande Europe des régions et qu’il aura aussi, ce faisant, porté l’un des coups les plus rudes à notre ministère.
Car enfin comment croire encore que cette vaste entreprise de fusion et de restructuration administrative (13 régions au lieu de 22) n’aura pas d’effet sur les DRAC et leurs agents.
C’est d’ailleurs déjà le cas très concrètement comme l’a démontré le CT-M du 15 décembre.
Nous avons en effet assisté au spectacle d’une administration elle-même décontenancée et « un peu » perdue par les injonctions contradictoires du dossier et sa complexité caricaturale, façon super usine à gaz, à des années lumière des attentes réelles des usagers qui n’ont rien demandé à personne. Des usagers qui, si on leur demandait enfin leur avis, diraient certainement qu’ils veulent de la proximité, de la simplicité, de l’efficacité et la présence de la culture et de l’état partout en France et pour tout le monde.
En attendant, c’est un joyeux bazar et les personnels ont toutes les raisons d’être inquiets pour leurs missions et leurs conditions de travail.
Quant à nous, nous devons être plus que jamais à leurs côtés. Nous nous y engageons. Nous devons aussi exiger de l’administration qu’elle pose et clarifie les choses et qu’elle harmonise au mieux les objectifs et l’organisation des DRAC.
En tout état de cause, ce ne sont pas des arrêtés ni fait ni à faire, bourrés de contradictions et de contresens qui peuvent fixer le cap des DRAC de demain. L’administration doit impérativement et sans délai revoir sa copie.
C’est pourquoi les organisations syndicales présentes ont voté à l’unanimité une résolution exigeant l’ouverture d’une concertation en janvier à toutes fins de définir un socle de missions commun à toutes les DRAC. On ne peut pas en effet laisser les choses partir ainsi à vau-l’eau. Nous allons donc nous battre avec la plus grande énergie.
Faut-il le rappeler : mener une politique de gauche c’est peut-être déjà commencer par entendre les revendications sociales. La lutte continue !!!
Paris, le 14 janvier 2016
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