La souffrance au travail est devenue malheureusement une expression très usitée. On parle – on tend même – pourtant vers l’épanouissement professionnel. Et pour cause, le travail fait partie de notre quotidien et de notre identité. A fortiori quand on travaille dans le domaine culturel et le service public. Pourtant, force est de constater que depuis plus d’un an et demi, les conditions de travail des agents du siège se sont particulièrement dégradées.
Sans triomphalisme aucun, loin s’en faut, le CHS Paris-Emmerainville de décembre aura marqué un cap fondamental : la reconnaissance de la souffrance au travail des agents de l’hôtel de Sully. Souffrance non pas individuelle mais d’ordre collectif. Et ce n’est pas rien.
Mais avant d’entrer davantage dans les détails, un petit retour en arrière s’impose. La CGT, interpellée l’été dernier par des agents du siège, a immédiatement contacté le président du comité d’hygiène et de sécurité ministériel afin que les agents bénéficient d’une médecine de prévention, interlocuteur privilégié non seulement pour diagnostiquer un état de souffrance au travail mais également pour que chacun puisse s’exprimer en toute confidentialité. En effet, toute la difficulté de l’exercice étant que si des agents étaient en souffrance, il ne voulait pas pour autant être identifiés par leur hiérarchie.
S’il est à saluer que des agents ont parlé de leur souffrance auprès de la médecine de prévention, il est également important de signaler que d’autres se sont déplacés pour témoigner de celle de collègues. Des solutions ne pourront apparaître que si les situations sont connues, les causes recherchées et la solidarité en de telles circonstances est primordiale. Car une personne en souffrance est une personne isolée professionnellement et qui entraîne parfois même un isolement au sein même de sa famille. L’isolement est la première chose à briser et la solidarité et la parole doivent être rétablies.
Les choses bougent doucement – certes – mais d’une situation d’isolement vécue par certains, on arrive à ce que des collègues se mobilisent, que la médecine de prévention est à l’écoute à qui la sollicite et vienne en écho aux alertes lancées par les organisations syndicales. Car si ces dernières sont souvent considérées par la direction comme trop alarmistes, la direction a dû néanmoins encaisser le rapport de la médecine de prévention lors du CHS des 4 et 17 décembre. Ainsi, le compte-rendu de ces CHS que chaque agent peut consulter sur intranet et qui doit être diffusé dans les services fait état du rapport du médecin coordinateur du ministère, le docteur Odette Tencer : « Une vingtaine de personnes a déjà été reçue et d’autres sont encore en attente. Elles ont ainsi pu mettre en évidence une souffrance collective. Ainsi, la nouvelle organisation du travail mise en place à l’arrivée du Président a engendré une modification du contenu de certains postes dont les agents ne voient pas la finalité. Ils se sentent niés dans leurs compétences professionnelles et dans leur intelligence opératoire. (…) Certains sont obligés de travailler tard, de modifier leurs dates de congés, etc, pour répondre aux urgences permanentes. (…) Cette situation a des conséquences sur leur vie privée et ont été observées des troubles du sommeil, de la mémoire, de la fatigue, l’augmentation d’alcools, de tabac et de médicaments. Ils notent une peur et une agressivité diffuses (…).
Ce qui aura valu à la Présidente du CMN d’adresser un courrier le 15 janvier à la CGT et à la CFDT indiquant « A l’occasion de la réunion du 17 décembre 2009 du CHS Paris-Emmerainville, les médecins de prévention ont présenté les premiers résultats des consultations qu’ils ont menées sur la souffrance au travail au siège des monuments nationaux. Après avoir rappelé que les victimes de souffrance au travail sont toujours des personnels investies qui ont à cœur d’atteindre leurs objectifs, et sur la base de la vingtaine d’entretiens qu’ils avaient alors réalisés, ils ont diagnostiqué une « souffrance collective » prenant sa source, notamment, dans une incompréhension des finalités de la nouvelle organisation mise en place au 1er juin 2009, ainsi que les nouvelles méthodes et comportements qui l’ont accompagnée. (…) Nous sommes tous d’accord, médecins de prévention, organisations syndicales et direction de l’établissement pour dire qu’il faut remédier à cette situation dans les meilleurs délais et de manière concrète. (…) Le CHS Paris-Emmerainville doit rester l’instance de concertation et de proposition privilégiée sur la souffrance au travail au siège. Une première réunion exceptionnelle tenue d’ici la mi-février prochain permettrait d’examiner les propositions concrètes que l’établissement envisage de mettre en œuvre et les professionnels extérieurs qu’elle souhaite associer. »
Cela aurait pu être de bon augure : la direction qui reconnaît qu’il y a une véritable souffrance au sein du siège, qui cherche des solutions « dans les meilleurs délais et de manière concrète ». Et bien non. Madame Lemesle continue d’employer encore et toujours les bonne vieilles méthodes : décider et dicter.
Donc, à cette instance de « concertation » qu’aurait dû être le CHS Paris-Emmerainville « spécial souffrance au travail », les représentants des personnels se sont vus convoquer sans aucun dossier. Le CMN s’est contenté de leur présenter les trois consultants qui avaient déjà (ou peu s’en faut) été recrutés. Parmi ces trois consultants donc, à noter la présence de l’inénarrable Geneviève Defenin de MG formation, la grande spécialiste des « réseaux kinesthésiques » et qui fait déjà fortune au CMN avec sa fameuse (et contestée) formation « accueil : un état d’esprit ». Qu’en dire si ce n’est qu’on a cru toucher le fond. Sur son petit fascicule on pouvait lire comment « résoudre les relations difficiles au travail », « diminuer le stress, l’inquiétude, l’angoisse », « changer de fonction » tout cela grâce à un « Audiovisuel de relaxation minute en situation de travail : un apprentissage de gestes et respirations permettant une récupération minute de son énergie »… On est évidement loin, très loin des propositions syndicales de faire appel à des professionnels en matière d’organisation du travail : psychologue du travail (que le Ministère de la Culture s’associe dorénavant), sociologue… Les agents vont pouvoir « apprendre » à se dire bonjour, merci et au revoir, que leurs collègues ont un « vécu » qui peut expliquer des mouvements d’humeur… Cette formation obligatoire dispensée à des centaines d’agents dans les monuments était déjà très contestable en soit, mais là, mis à part engraisser une entreprise qui ne connaîtra pas la crise en 2010, on a du mal à voir la finalité de la démarche. Ce fût dit, mais là encore, on fait fi de ce que peuvent dire les représentants des personnels, on leur rappelle même quelques règles de courtoisie et de bienséance (pourtant le langage fut châtié). A la question, quelle formation avez-vous et votre entreprise est-elle agréée par le ministère du Travail, la réponse laisse coi : sophrologie et pas d’agrément ! Bref, autant dire que cet organisme n’a pas soulevé l’enthousiasme si ce n’est celui de la direction.
Le deuxième consultant « Françoise Kourilsky associés » prône « le management de l’efficacité, du changement de la vitalité », « accompagne au changement »… Bref, s’il y a des problèmes de souffrance, c’est que les personnels ne comprennent pas, on va donc les y aider. Pas de remise en cause des méthodes de management ni de l’organisation du travail. La réorganisation des services du siège ? On y reviendra pas. Le déménagement ? Il est prévu et il se fera dans très rapidement. Le CMN et sa présidente ne semblent à aucun moment se remettre en question.
Et on termine par, the last but not the least : « Théâtre à la carte », on aura même eu droit à une saynète…
Les agents du siège auront donc droit à trois formations, histoire que les nouvelles méthodes leur entrent bien dans le crâne…
Tout était déjà bouclé avant même que ne débute le CHS. Le calendrier des formations a été lâché : de mars-avril à la mi-juillet. Le médecin de prévention lui même a émis des réserves sur les solutions « concrètes » que se propose d’apporter le CMN. Quant aux questions, aux inquiétudes que nous ont fait remonter les agents : augmentation du temps de trajet pour se rendre à Porte des Lilas, aucune réponse. Sur la possibilité d’aménager les horaires de travail, les solutions proposées sont loin d’être satisfaisantes. Sur l’opportunité de laisser le choix du système de restauration (conserver les tickets restau ou la cantine), aucune ouverture. Rien non plus sur la restitutions des audits pour les agents concernés.
Alors que nous avions à de mainte reprises demandé une enquête sur les arrêts maladie et des départs volontaires (démissions) toujours le même refus de la direction.
Le CMN se contente de la propagande –oups la communication – habituelle via la « Lettre », le nouveau « Monuments en ligne » tous les quinze jours, ainsi qu’un journal « spécial déménagement » toutes les semaines (auquel les agents peuvent faire remonter leurs question par l’intermédiaire de leur hiérarchie).
Un CHS où tout était déjà joué d’avance, alors pourquoi donc nous y avoir convoqués ? Pour y apporter notre caution ? Nous avons signifié à la direction qu’il en était hors de question.
Nul doute que ce CHS nous a laissé un goût amer… mais une chose est sûre c’est que nous n’en resterons pas là ! La CGT sera toujours à l’écoute des agents, à leurs côtés que se soit de manière collective ou bien individuelle. Les autorités ministérielles sont alertées et si la situation ne s’améliore pas, le ministère ne pourra pas indéfiniment se dérober.